Wittgenstein
Lire Wittgenstein est (c'est bien connu) une expérience. S'il semble toujours absurde de lire un texte philosophique sans effectuer la tentative paradoxale visant à "penser par soi-même"... ce qu'un autre a écrit, c'est évidemment le cas lorsqu'il s'agit de Wittgenstein. Même lorsqu'il s'agit des "Cours" dispensés à Cambridge, il apparaît assez vite que le rapport que l'on doit avoir avec ce qui est dit consiste moins à assimiler les réponses apportées à un ensemble de questions, qu'à parvenir à se poser les questions que Wittgenstein lui-même se pose. C'est ce qui rend la lecture des articles écrits sur Wittgenstein souvent décevants (même lorsqu'il s'agit, comme c'est souvent le cas, de bons articles) ; car si le but est de parvenir à s'approprier, à "habiter" le questionnement de Wittgenstein, le meilleur guide est sans doute... Wittgenstein lui-même.
On peut lire Wittgenstein ; le paradoxe est d'ailleurs que la langue de celui qui est souvent présenté comme un auteur "difficile" soit l'une des plus limpides qui soient, du moins à partir des années 30. Mais il est très délicat de "l'expliquer" ou de le "commenter", si ce n'est sous la forme (d'ailleurs récurrente dans le corpus du commentaire wittgensteinien) du récit d'histoire de sa pensée ; on peut alors se livrer au jeu de la décomposition : Wittgenstein 1er, Second Wittgenstein, etc.
Quiconque s'est attardé à la lecture des textes de Wittgenstein sait qu'il s'agit d'une expérience, dans la mesure où devenir l'auteur de questions "à la Wittgenstein" est une démarche qui ne mène pas à un contenu que l'on pourrait ranger dans les rayonnages de la mémoire philosophique. Cela conduit le plus souvent à une forme de perplexité, au sentiment récurrent que "la question n'est pas bien posée" -- sentiment qui peut à son tour devenir une pose, assez stérile (et agaçante pour l'entourage), dès qu'elle cesse d'être un inconfort authentique pour devenir une forme d'ironie implicite par laquelle on manifeste une insatifaction à l'égard de tout énoncé, sans prendre soi-même le risque de dire quelque chose.
Quant à l'utilité de cette perplexité, peut-être faut-il la considérer (très sérieusement) comme une utilité d'ordre esthétique, au sens où le critère de la valeur esthétique est précisément de ne jamais se laisser traduire en termes d'utilité. S'il est toujours un peu inquiétant de rechercher l'utilité d'un texte philosophique, on pourrait dire qu'en ce qui concerne Wittgenstein, il s'agit de se tenir d'emblée à l'écart de toute perspective d'utilisation philosophique du discours. C'est probablement ce qui permet de trouver des résonnances entre la pensée de Wittgenstein et celles d'auteurs qui n'ont par ailleurs pas grand chose à voir avec la philosophie analytique, comme Chestov.
Enfin, il faut garder à l'esprit (et c'est l'une des limites de la recherce proposée en bas de cette page, que de ne pas l'avoir fait suffisamment) qu'il existe une tension forte, chez Wittgenstein, entre ce sur quoi porte le discours philosophique-logique, et ce qui importe réellement. On a souvent cité la formule conclusive du Tractatus comme un mantra ; mais si ce qui ne peut pas être dit doit être tu, cela n'empêche pas que, pour Wittgenstein, ce qui échappe ainsi à l'emprise du discours logique est réellement ce qui importe le plus ; et c'est l'un des mérites de ce long commentaire que Bouveresse a consacré à la pensée de Wittgenstein (dont l'un des derniers jalons est le petit livre, dont nous essaierons prochainement de proposer une anthologie : "Que peut-on faire de la religion ?"), que de ne pas avoir laissé à la marge le questionnement proprement esthétique et éthique de Wittgenstein... sans chercher à reconstituer une "éthique wittgensteinienne", évidemment impossible.
Les contenus ci-dessous n'ont donc pas vocation à parler de Wittgenstein, mais bien de proposer des supports de lecture, qui ne pourront jamais se substituer à la lecture des textes mais qui peuvent aider à y entrer ou s'y repérer. La plupart ont été conçus dans le cadre d'une recherche universitaire. Le document auquel a abouti la recherche elle-même (qui a bien dû se résoudre à parler de Wittgenstein... sous un angle historique !) est proposé au bas de cette page ; mais ce qu'il y avait de plus utile dans la recherche elle-même était sans doute ce travail de "défrichage" que constituent les index, les anthologies, les lectures commentées que nous proposons ci-dessous.
Ces index n'avaient pas, à l'origine, vocation à être diffusés ; c'est ce qui fait l'une de leur principales limites, mais aussi, peut-être, leur intérêt. Car ce travail d'indexation visait moins à cerner les textes d'une oeuvre qui pouvaient être, pour un lecteur X, mis en rapport avec une notion-clé (critère, règle, etc.) qu'à marquer les extraits qui me semblaient, à moi, particulièrement pertinents pour l'étude d'une question ou d'un problème. Dans certains cas, ce caractère "subjectif" de l'index a pu être corrigé ; c'est ainsi que plusieurs index comportaient l'entrée "Quine", non pas parce que le nom de Quine s'y trouvait (chose évidemment peu probable dans un texte de 1929), mais parce qu'ils me semblaient entrer en rapport avec le problème-clé que Quine a posé (inter-traduction des grammaires). Mais dans la plupart des autres, ce travail n'aurait pas eu grand sens ; le but des "documents" qui sont proposés sur ce site (cf. le "mot de présentation") est de frayer un chemin entre le commentaire et l'oeuvre. Ces index, dans leur dimension subjective, satisfont donc le critère (au sens wittgensteinien) de ces documents. Ni ostension, ni invention, mais exposition (au sens que prend ce terme dans un musée) de la pensée de Wittgenstein.
Les nombres indiqués renvoient au numéro des pages des éditions indiquées par l'image ; un nombre souligné indique une importance particulière de la référence. L'index et l'anthologie les plus développés sont ceux des cours de 1939 (sur les fondements des mathématiques), parfois délaissés au profit des livres publiés, mais qui peuvent être considérés comme l'un des points d'aboutissement de la pensée de Wittgenstein.
Les cours de Cambridge, 1930-32
Les cours de Cambridge, 1932-1935
1. Les cours de 1932-33 : Index thématique + anthologie
2. Le cahier jaune (extraits) : Index thématique + anthologie
3. Cours de 1934 : Index + anthologie
4. Cours de 1935 : Index + anthologie
Les cours de Cambridge, 1939
(Cours sur les fondements des mathématiques)
Dictées de Wittgenstein
à Waismann et pour Schlick
Grammaire philosophique
Le cahier bleu et le cahier brun
1. Le cahier bleu : Index thématique
2. Le cahier bleu : Index thématique
Notes sur l'expérience privée et les sense data
Investigations philosophiques
Commentaire critique (aperçus et traductions) :
P. M. S. Hacker
Insight and Illusion, Themes in the Philosophy of Wittgenstein
Rogers Albritton
On Wittgenstein's Use of the term "Criterion"
(Journal of Philosophy)
(Attention : toutes les remarques entre crochets sont rajoutées)
J. Bouveresse
La rime et la raison
Une étude de la genèse de la distinction critère-symptôme :
Sens et genèse de la distinction symptôme-critère chez Wittgenstein,
des Carnets aux Remarques philosophiques
Dans cet article nous défendons, d’une part, que la notion de critère ne peut s’éclaircir réellement que si on la rattache aux problématiques du Tractatus concernant le statut de l’analyse, la notion de variable et le rôle des pseudo-propositions ; et d’autre part, que la notion de critère, dans son opposition au symptôme, est une notion qui n’est introduite par Wittgenstein que pour répondre à une interrogation portant sur le sens, et non sur la vérité. Enfin, nous plaidons pour un réexamen du « vérificationnisme » des années 1929-30, tendant à montrer en quoi les Remarques constituent bien, dans le parcours de Wittgenstein, une articulation-clé au sein de laquelle le doublet symptôme-critère n’est en rien une "roue tournant à vide"...
Sens et genese de la distinction critère-symptome chez Wittgenstein