Microéconomie
L'application de la microéconomie classique au marché des drogues illicites : des résultats... stupéfiants ?
Réflexion économique et réflexion sociale vont de pair. D’une part, ce qui apparaît à une époque déterminée comme un « problème de société » oriente tout naturellement le cours des investigations des économistes ; de même que la question d’un possible équilibre de sous-emploi a accompagné la grande récession américaine, le problème posé aujourd’hui par le commerce des drogues illicites suscite des interrogations nouvelles sur les possibilités de régulation (à défaut de suppression) qu’offrent les différents flux. D’autre part, on peut remarquer que ces interrogations concernent directement les économistes, dans la mesure où la motivation des entreprises présentes dans ce secteur semble éminemment pécuniaire, et où le lieu d’interaction des différents agents constitue bien un marché.
Cela ne signifie pourtant pas qu’une approche des comportements criminels puisse facilement se construire à partir d’une considération d’acteurs visant à maximiser leur intérêt économique dans un cadre d’équilibre général. La rationalité des comportements criminels, plus que toute autre, s’institue au sein d’un espace au sein duquel l’information est limitée — le caractère occulte de l’activité impliquant une diffusion discrète, voire secrète, de l’information. Ceci représente évidemment une limite pour l’approche de l’économiste, confronté à des statistiques nécessairement parcellaires, lacunaires, voire erronées. Mais cette limite concerne également le criminel lui-même, forcé de se mouvoir dans un environnement rendu doublement incertain, d’une part par le caractère aléatoire de l’information qui lui parvient de la part des agents économiques eux-mêmes (producteurs, vendeurs et acheteurs), et d’autre part par le caractère évidemment non divulgué des procédures et des stratégies que les pouvoirs publics mettent en place pour réprimer ses activités. Or le caractère limité de l’information est précisément, comme l’ont par exemple montré les travaux d’Herbert Simon, ce qui permet de donner une consistance véritable à une approche microéconomique raisonnant en termes de firmes. Parler de stratégies d’entreprises dans le domaine des biens illicites est rendu légitime, à la fois par le caractère organisationnel des agents qui s’y rencontrent (gangs, cartels, etc.) et par le type de relations que ces agents entretiennent (relations hiérarchiques de double monopole, relations strictement concurrentielles, etc.), mais aussi par le type de rationalité qu’une information limitée induit nécessairement.
C’est la raison pour laquelle un certain nombre d’études ont, depuis une quinzaine d’années, tenté d’appréhender et de modéliser les dynamiques du marché des biens illicites à travers différents dispositifs formels issus de la microéconomie classique, et notamment la théorie des monopoles.
Or ce qui rend particulièrement intéressantes ces tentatives de modélisation, ce sont les écarts que la confrontation des données empiriques et des modèles classiques fait apparaître ; il ne s’agit pas ici d’écarts concernant la mesure de phénomènes réellement observés, qu’il serait évidemment vain de vouloir corréler immédiatement aux prévisions effectuées à partir d’un cadre d’analyse microéconomique théorique. Les écarts soulignés par des économistes comme Eatherly [1974], Shiray [1989], et plus récemment par Kopp [2006] ou Poiret [2006] indiquent que c’est au niveau des principes eux-mêmes, c'est-à-dire au niveau des causalités de base (relations prix / demande, avantage comparatif des rentes de monopole, etc.) que le cadre classique de la microéconomie se trouve partiellement remis en cause par les dynamiques du marché des drogues illicites.
C’est à une brève présentation de ces écarts que nous nous consacrons ici, à travers l’élucidation sommaire de deux points d’achoppement principaux : d’une part la théorie des prix, en ce qui concerne notamment la relation entre l’équation des prix et la courbe de demande inverse, et la relation existant entre les coûts de production et les prix de vente des marchandises. Nous présentons d’autre part quelques dispositifs théoriques (notamment ceux de Lee et de Poiret) qui permettent de rendre compte de l’avantage stratégique que peut représenter pour les vendeurs, en contexte d’intensification de la concurrence, une structure strictement concurrentielle des marchés, la dissolution des monopoles, et l’ouverture du marché à de nouveaux acteurs.
Microéconomie des drogues illicites : des résultats stupéfiants
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