Oeuvres Complètes 1

 

Le premier tome des "Oeuvres" de Bataille publiées chez Gallimard est un véritable feu d'artifice théorique et stylistique. Aussi bien d'un point de vue littéraire (dans la manière d'écrire, dans le jeu du fond et de la forme, qui n'a rien de virtuose chez Bataille) que philosophique (selon des volets que l'on pourrait regrouper autour de pôles classiques : physique, métaphysique, éthique, esthétique et politique), ces premiers articles de Bataille sont les textes au sein desquels émergent toutes ses intuitions fondamentales. Et si certaines de ces intuitions n'ont pas encore trouvé la maturité et le développement qu'elles trouveront dans les livres ultérieurs (et notamment ces grandes synthèses que constituent "L'expérience intérieure" et "La part maudite"), elles trouvent dans ces textes une simplicité épurée, voire une forme de radicalité qui tend parfois à s'épuiser dans les ouvrages plus conséquents.

Nous proposons ici une sélection de textes issus de ce premier tome, qui sont mis en rapport avec une présentation des principaux axes de réflexion de Bataille durant cette période. Le paragraphe en italique introduit, pour chaque thème, une suite d'affirmations qui, chacune, indiquent l'idée principale de l'un des textes de l'anthologie. La référence en fin de ligne correspond au numéro du texte de la sélection. 

Le texte "L'Apprenti Sorcier" est, quant à lui, redonné dans son intégralité (à la fin du recueil), tant il rassemble, dans une sorte de gerbe apocalyptique, les principales intuitions du "premier" Bataille.

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La réalité humaine

Tout au long de ses premiers articles, Bataille cherche à dégager ce que l'on pourrait appeler l'essence du sujet humain (au sens où Corbin pouvait traduire le Dasein heideggérien par la notion de « réalité humaine »). Cette réalité ne peut s'accomplir que dans une existence qui, tranchant radicalement avec les exigences de la survie, rejette le principe bourgeois de la dépense productive pour y substituer les concepts paradoxaux d'angoisse, d'horreur et d'extase, par lesquels la vie humaine devient « vie devant la mort ». C'est cette clarification de l'authenticité humaine qui fonde le volet politique-prophétique de la pensée de Bataille, en tant qu'appel révolutionnaire à un humanisme intégral.

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Gravure Masson - Georges Bataille : Le Mort

André Masson, Georges Bataille : le mort

Idéalisme et logocratie

Le rejet de la dépense productive rejoint le geste global par lequel Bataille récuse le principe de rationalisation de l'existence humaine. Suivant en cela la voie tracée par son maître Chestov, il refuse toute dictature de l'Idée, de la « Raison », sur la vie humaine. Toute connaissance objective, désintéressée, ne peut reposer que sur une rationalisation abusive du réel, dont elle partage le caractère illusoire. Le réel ne se laisse pas connaître comme un objet docile à la raison, il ne peut se donner que dans expérience au sein de laquelle le sujet se risque lui-même.

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Georges Bataille, Dessin sans titre, pour Soleil Vitré

Ce qu'est réellement la liberté

Du refus de l'idéalisme rationaliste découle la redéfinition par Bataille de la liberté. Celle-ci ne peut plus être fondée sur une autonomie formelle, et échappe même à tout concept par lequel on prétendrait la réduire. Si la logocratie est le siège de l'oppression, la liberté exige de s'affranchir du concept et de la loi pour atteindre à la cruauté du jeu.

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Illustration de Hans Bellmer pour Madame Edwarda de Bataille

L'absolu comme catastrophe (mystique et effondrement)

Les réflexions de Bataille s'enracinent dans ce que l'on pourrait appeler une « ontologie négative ». Pour Bataille, il n'y a ni fondement, ni « fondement-sans-fond » du réel : il n'y a qu'un abîme qui ne peut être expérimenté que sous le mode de la catastrophe. L'élan mystique authentique ne peut ainsi aboutir qu'à l'absence de Dieu, c'est-à-dire à l'expérience d'un effondrement au sein d'un néant dans lequel nous ne pouvons pas même nous dissoudre. Bataille radicalise ainsi le propos de Chestov en faisant de la crise l'expérience même d'un absolu qui, loin d'être l'Être par excellence, n'a pas même la consistance d'un « non-Être ».

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Illustration de Damien Daufresne pour L'être indifférencié

Sémiologie du réel

Pour Bataille, saisir le sens d'une chose ou d'un mot, c'est l'arracher à la trame de l'homogénéité qui le dissout dans un système (de choses, de signes) dont la consistance est d'autant plus logique qu'il est imaginaire. Saisir un sens, c'est ressaisir la chose dans son hétérogénéité, lui redonner sa signification « sauvage » ; c'est justement ce qui, dans une chose, est irréductible à un concept qui constitue sa réalité.

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Illustration d'André Masson pour l'Histoire de l'oeil

Le rachat du temps

Le temps, chez Bataille, est le paradigme de ce qui se trouve annulé par toute objectivation, toute conceptualisation. Toute saisie objective du temps se ramène à une spatialisation qui en est en fait la détemporalisation. Libérer le temps, c'est au contraire le déspatialiser, l'arracher à la nécessité des enchaînements causaux, mécaniques, et donc aussi à la planification rationnelle des moyens et des fins. Le temps retrouve ainsi sa dimension ontologique, ce qui implique qu'il ne peut être vécu qu'au sein d'une expérience critique-extatique.

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«	Intériorités	». Bacchanale céleste de Sabrina Vitali. Marc Domage/Production Labanque

Oeuvre de l'exposition "Intériorités" (organisée par Léa Bismuth), autour de l'oeuvre de Bataille

L'art et l'horrible

On retrouve dans l'art l'ambivalence de toute réalité ; en tant que gloire de la forme, l’œuvre d'art est le symbole, mais aussi l'instrument de la domination institutionnalisée de la nature et de l'homme ; « l'éternité » des œuvres d'art n'est ainsi que l'annulation absolue du temps réel. En tant que brisure de la forme, surgissement de l'in-forme, du dif-forme, l'art est la manifestation de l'irrationalité du réel, du temps véritable, de la vie proprement humaine.

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Ana Mendiaeta Kendell Geers Photo Marc Domage

Photographie issue de l'exposition "Dépenses", autour de l'oeuvre de Bataille (Léa Bismuth)

La dépense improductive

Pour Bataille, le principe qui régit la rationalisation bourgeoise du réel (et donc la falsification du réel) est le principe de la dépense productive, qui fait reposer le sens d'une chose ou d'un acte sur son utilité à l'égard d'une fin déterminée. C'est ce principe que Bataille veut détruire en montrant, d'une part, que ce principe est radicalement falsifié par notre expérience du réel (dès qu'on la dégage de sa gangue idéologique), mais également que ce principe est dangereux : pas seulement parce qu'il conduit à une déshumanisation de l'homme et de sa vie, mais également parce qu'il nous expose à des formes immatures, barbares, sanglantes de surgissement de la dimension ainsi occultée du réel.

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Georges Bataille, dessin sans titre pour Soleil Vitré

Fascisme, démocratie : dialectique de l'homogénéité

Bataille est l'un des premiers penseurs européens à proposer une analyse philosophico-sociologique du fascisme. La dialectique interne du fascisme est liée à l'analyse des raisons pour lesquelles un mouvement révolutionnaire « classique » est vouée à l'échec dans une société démocratique. Il ne s'agit pas tant de produire une théorie abstraite du pouvoir que de saisir le sens (qui n'est pas réductible à des facteurs rationnels) de la réalité politique ; la validité des préconisations ne vient pas de leur consistance interne ou de leur conformité à un canon, mais bien de leur enracinement dans un réalisme politique qui ne doit pas justifier ce qui est, mais bien libérer les forces irrationnelles qui peuvent combattre ce qui en lui est insoutenable. Car, pour Bataille, le déni ou le refoulement de ces forces ne fait que nous exposer à leur surgissement sous des formes inhumaines. Le but de la « théorie » politique de Bataille est donc d'interpréter la réalité sociopolitique d'une manière telle que le sens ainsi dévoilé nous accule à un désespoir exaspéré.

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Georges Bataille dans "Une partie de campagne" de Jean Renoir (1936)

Désespoir et espérance

Pour Bataille, la libération de l'homme ne repose pas sur la faculté de rationaliser les moyens d'atteindre nos fins (comme la maîtrise de la nature ou de l'organisation sociale), et sur l'espoir d'y parvenir. C'est bien plutôt du désespoir que naît l'élan révolutionnaire, en tant qu'explosion de force ; et ce, dans dans la mesure même où c'est à travers l'impossible que luit, pour l'homme, l'espérance.

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Armour, 1925 - Andre Masson - WikiArt.org

André Masson, "Armour", 1925

Révolution et humanisme

Contrairement à ce que l'on aurait pu croire, les analyses psychologiques, métaphysiques, esthétiques et politiques de Bataille ne le conduisent pas à une forme d'individualisme apocalyptique ou de mysticisme romantique, mais bien à une forme d'humanisme prophétique. Certes, cet « humanisme » n'a plus grand-chose à voir avec celui de la Renaissance (et sans doute encore moins avec l'humanisme que revendiquait Sartre pour son existentialisme), mais il en garde néanmoins les deux traits principaux : le naturalisme et l'universalisme. C'est bien « l'essence » de l'homme qu'il s'agit de reconnaître, de sauver et d'orienter ; et c'est bien à l'humanité comme telle, par-delà (et contre) tout nationalisme, que ce prophétisme s'adresse.

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