Blog philosophique

  • "al Ibahiyya"... c'est-à-dire ?

     

     Bonsoir,

    Suite à la question récurrente des premiers visiteurs de ce site, je propose quelques éclaircissements sur la signification du terme qui lui donne son nom : al ibahiyya. Au sens littéral, "al ibahiyya" désigne en arabe "les libertins", mais les deux mots n'ont pas les mêmes connotations. Plutôt que de feindre d'être arabophone, j'emprunte le passage suivant à une philosophe spécialiste de la tradition philosophique musulmane, Souad Ayada. "La notion de libertinage n'a pas ici le sens qu'on lui donne dans l'histoire culturelle de l'Ocident. Ceux qu'on appelle les ibahiyya forment une vaste catégorie, dans laquelle se retrouvent des soufis atypiques, des philosophes errants, des "anormaux" de toutes sortes." (L'islam des théophanies).

    A titre d'exemple, Hafez, le géant de la poésie persane (XIV° siècle) que l'on célèbre encore aujourd'hui en Iran, a souvent été rangé dans cette catégorie. C'est donc par quelques vers de Hafez que je terminerai ce premier billet, dont la tonalité pourra servir, je l'espère, à indiquer l'esprit de ce site.

    J'ai vu cette nuit les anges

    frapper l'huis de la Taverne

    Et mouler l'argile humaine

    en un ustensile à boire

    Ces habitants de l'enceinte

    de la plus pure Vertu

    Avec moi l'Errant perdu

    entraient dans la bacchanale.

    Le sort est tombé sur moi

    moi l'égaré, moi l'impur,

    Du saint Dépôt dont l'Azur

    ne soutenait plus la charge !

    Des soixante-douze sectes

    ah, pardonnons la querelle :

    C'est faute de voir le Ciel

    qu'elles battent la campagne. [...]

    La Lampe rit de son Feu,

    mais ne sait ce qu'est brûler ;

    Seul le sait en vérité

    le papillon dans la Flamme.

    Hafez de Chiraz, par paul de Roos (peintre hollandais contemporain)

     

     

  • Blog philosophique

    Dans deux mois aujourd'hui, il y aura 4 ans que les premiers soulèvements conduisant au(x) Printemps Arabe(s) se sont produits à Sidi Bouzid. Voici pour l'occasion un texte de Bataille écrit en 1936, dont le questionnement ne manque sans doute pas d'actualité... y compris dans ce qui peut y apparaître optimiste, ce qui n'est pas si courant chez Bataille !

    "Il est nécessaire d'attirer l'attention sur le rôle essentiel et initial joué dans ces mouvements historiques violents par les têtes qu'ils ont abattues. Un soulèvement populaire généralisé est la condition nécessaire du succès d'une insurrection. Aucune insurrection ne s'est développée efficacement dans une ville contrôlée par une autorité normale si la population ne lui était pas favorable dans son ensemble. C'est le souverain même dont l'autorité est devenue intolérable à la grande majorité du peuple qui réunit contre lui les insurgés dont l'accord ne porte que sur un seul point, qu'ils veulent mettre fin à la domination qu'il exerce sur eux. S'il n'existe pas dans une société donnée de souverain irresponsable exerçant personnellement le pouvoir, la concentration nécessaire au développement extrême de l'émeute n'est pas possible. Même si une crise accentuée se produit, les souffrances et les colères créent des mouvements de sens divergents.
    Mais lorsqu'une tête couronnée joue son rôle d'unification des foules insurgées, lorsque la divergence des mouvements ne se produit qu'après le triomphe de l'insurrection, à la faveur de l'effervescence qui résulte du bouleversement subi, la Révolution s'approfondit ; les revendications fondamentales des masses opprimées se font jour avec une force croissante qui ne rencontre devant elle que la faiblesse d'un gouvernement insurrectionnel provisoire."
     
    Georges Bataille, Contre-Attaque, Vers la révolution réelle, 1936.