Le Principe Espérance I, présentation

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Le Principe Espérance

Le Principe Espérance est presque toujours considéré comme la clé de voûte du système blochien. Dans la mesure où cette optique est revendiquée par Bloch lui-même, il est difficile de la remettre en cause. Pourtant, il faut peut-être se défier d'une relecture trop exhaustive de l'oeuvre de Bloch à la lumière du Principe Espérance, et plus encore d'une réduction de la doctrine de Bloch à ce qui se trouve exposé dans les différents livres qui composent le grand oeuvre. Cette optique conduit en effet, soit à considérer un peu vite comme "secondaires" des dimensions qui, dans d'autres livres, pouvaient être déterminantes, pour le livre lui-même et / ou pour la genèse et la constitution de la pensée de Bloch. C'est par exemple le cas en ce qui concerne la dimension proprement religieuse d'un livre comme L'Esprit de l'Utopie, qui perd beaucoup à être relu comme une simple annonce, encore désordonnée, du Principe espérance. Mais surtout, le primat accordé au Principe Espérance peut conduire à faire des limites de l'oeuvre les limites de la doctrine de Bloch... ce qui est contestable.

On peut en effet distinguer, dans le Principe Espérance, trois registres de discours. Le premier est ce qui, dans le corpus blochien, pourrait être rapproché de ce que constitue la dogmatique pour la doctrine chrétienne, ou la métapsychologie pour la psychanalyse de Freud. Il s'agit de présenter, en les articulant, les principales perspectives théoriques qui structurent la doctrine, et les concepts fondamentaux qui s'y intègrent ; on peut intégrer à cet espace la présentation de la dialectique (héritée de Marx) comme processus théorico-pratique, seule à même de saisir la réalité dans son devenir, l'exposition (plus que la définition) des concepts d'espoir, de Non-encore-conscient, d'utopie, de possibilité concrète, de Front, de Foyer,  etc.

Le second discours réunit les affirmations que l'on pourrait, cette fois, rattacher à la dimension "prophétique" de l'oeuvre ; ce discours, qui se construit le plus souvent de manière relativement autonome par rapport aux développements historiques, réunit l'ensemble des perspectives par lesquelles Bloch tente d'esquisser une "pro-spective" historique, éclairée par les utopies passées et qui les éclaire en retour (conformément à la perspective dialectique de Bloch). C'est dans cet espace que sont développées les possibilités utopiques que Bloch rattache à la formule de Marx selon laquelle l'aboutissement de l'histoire peut être envisagé selon l'axe double d'une naturalisation de l'homme et d'une humanisation de la nature. C'est ici que l'on trouvera les développements les plus "hardis" du discours de Bloch qui, sans chercher à faire bouillir les marmites de l'histoire, trace néanmoins des lignes de fuite articulées à la conciliation dialectique du sujet et de l'objet. C'est également dans cet espace que l'on voit émerger une dimension proprement écologique de la pensée blochienne, qui ne sera pas oubliée par ses épigones, religieux (Jürgen Moltmann) ou non (Arno Münster).

Le troisième discours, celui qui occupe le plus d'espace dans l'oeuvre, regroupe les énoncés que l'on peut rattacher à une forme d'herméneutique historique ; Bloch tente en effet de parcourir l'histoire entière de l'utopie, envisageant tour à tour toutes les époques, et tous les espaces (utopies techniques, utopies médicales, utopies sociales, utopies architecturales, etc.), pour faire apparaître le continuum utopique qui marque et sous-tend le procès de l'histoire. Il s'agit d'une part d'opérer une recension de toutes les utopies, et d'autre part de les dégager de leur gangue idéologique pour en éclairer -- et en "libérer" -- la force vive (c'est-à-dire : révolutionnaire). Cet espace, le plus étendu dans l'oeuvre, est sans doute celui qui prête le plus à discussion.

D'une part, l'optique "universelle" adoptée par Bloch peut être doublement contestée ; dans son absence d'universalité, d'abord : l'histoire humaine se trouve ici curieusement réduite à une histoire semi-occidentale sans que cette réduction se trouve réellement assumée (à titre par exemple d'exigence méthodologique, comme ce peut être le cas chez Tillich). Mais surtout, le caractère résolument généraliste du discours conduit Bloch à se prononcer sur des champs extraordinairement hétérogènes et diversifiés... au risque, parfois, du dilettantisme. Tout point de vue synthétique implique une forme de mise entre parenthèses du détail ; en soi, cette mise entre parenthèses ne constitue pas un problème, notamment lorsque la synthèse permet de dégager des axes interprétatifs qui permettent d'approfondir l'interprétation des détails eux-mêmes. C'est la réponse que Georges Gusdorf, ce grand "synthétiseur", donnait à ceux qui lui reprochaient une manque d'exactitude dans l'exposition détaillée des courants de pensée qu'il envisageait dans son (gigantesque) opus consacré aux rapports existant entre les "Sciences humaines et la pensée occidentale".

Mais un problème se pose bel et bien lorsque le point de vue synthétique conduit à occulter certaines des propriétés les plus susceptibles d'être intégrées dans l'axe interprétatif proposé. A cet égard, le survol de l'histoire de l'astrologie et de l'alchimie par Bloch tend parfois à recouvrir, plus qu'à découvrir, les éléments les plus propres à illustrer le projet blochien (par exemple : la dimension proprement opératoire de la démarche alchimique). L'oeuvre-origine du terme même d'utopie, celle de Thomas More, se trouve ainsi soumise à une interprétation réductrice qui conduit à mettre en lumière ce qui, en elle, pourrait illustrer le sens dévoyé de l'utopie... mais non ce qui en illustrerait le sens proprement philosophique, blochien. On peut d'ailleurs remarquer que ce qu'aurait pu, ce qu'aurait dû être l'exégèse blochienne de l'Utopie a été réalisé depuis, par André Prevost, dans la superbe introduction qu'il a consacrée à l'Utopie dans son édition ; et, de façon curieuse mais intéressante, ce n'est pas Bloch qui constitue la référence philosophique majeure d'André Prevost... mais Paul Tillich.

Enfin, les "relectures" blochiennes basculent parfois du réductionnisme au contresens pur et simple, au plus grand détriment, encore une fois, de ce qui aurait pu constituer un terrain fertile pour la mise en oeuvre du propos. Ce défaut ne concerne d'ailleurs pas uniquement l'espace proprement historique du Principe Espérance : le cas le plus évident est sans doute la manière dont Bloch restitue la psychologie jungienne. Celle-ci aurait pu être le support d'un dialogue fructueux ; il suffit pour s'en convaincre de rappeler que Jung cherchait à libérer l'inconscient du seul mécanisme du refoulement freudien, pour y intégrer un espace propre à ce qui n'était encore jamais devenu conscient ; que Jung voulait extraire l'inconscient d'une perspective strictement "mécaniste" pour y introduire un véritable dynamisme orienté, non pas uniquement vers la résolution de conflits noués dans le passé, mais vers la réalisation à venir d'un sujet ainsi porté à un degré de perfection supérieur ; que c'est justement cette perspective qui conduisait Jung à envisager, lui aussi, et de façon certes plus approfondie que Bloch, l'histoire de l'alchimie et de ses symboles, etc. ; il suffit, donc, de ces quelques éléments pour entrevoir ce qu'aurait pu être la référence à Jung dans le corpus blochien. Au lieu de quoi le Principe Espérance ne nous offre qu'une vision fausse et caricaturale de la doctrine de Jung, réduite à une forme d'adoration passéiste de puissances chthoniennes... l'origine de cette lecture malencontreuse s'affirmant d'ailleurs explicitement sous la plume de Bloch, qui s'obstine à ne parler que du "fasciste Jung" !

Il faut donc se garder de faire du Principe Espérance le chef d'oeuvre, le point d'aboutissement de la pensée d'Ernst Bloch ; et, plutôt que d'en faire la clé herméneutique du corpus global, il convient d'éclairer les analyses du Principe Espérance par celles que l'on trouve dans d'autres livres, qui en élucident ausi bien les fondements (thèse sur Rickert, Esprit de l'Utopie, Traces...) que les enjeux politiques concrets, qui sont (toujours) déterminants pour la pensée de Bloch (ce qu'éclaire notamment cet autre grand livre de Bloch, Héritage du temps présent).

Les anthologies ci-dessous ne visent pas à proposer un résumé global du Principe Espérance, mais à mettre en lumière ce qui nous semble en constituer "l'architectonique"; une place privilégiée est donc d'abord accordée à la Préface de l'oeuvre, véritable morceau de bravoure au sein duquel sont exposés les principaux principes méthodologiques, et où sont esquissés les principaux concepts. Conformément aux règles qui président à ces anthologies, toutes les notes de bas de page (sauf mention contraire : N. d. T.) sont ajoutées.

Préface (commentée) du Principe Espérance

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Commentaires

  • FILLIGER  André
    • 1. FILLIGER André Le 22/05/2020
    Merci de m'avoir procuré l'envie de découvrir ses œuvres...
    • ibahiyya
      • ibahiyyaLe 22/05/2020
      ...et merci à vous de me l'avoir dit ! Cordialement, PG