C. Castoriadis
Cornelius Castoriadis occupe une position marginale dans l'histoire de la philosophie française du XX° siècle ; cette marginalité, qui vient en partie du caractère foncièrement transdisciplinaire de sa pensée (qui croise et entrelace les discours des sciences expérimentales, des sciences sociales, de la psychanalyse ou de l'ontologie) a d'ailleurs tourné à la marginalisation pure et simple. La reconnaissance de Castoriadis au sein du champ de la pensée philosophique, scientifique et politique a du reste toujours été polémique, sa pensée résistant aussi bien à la réfutation qu'à l'assimilation. Ni dedans, ni dehors : ce qui fut la position du groupe "Socialisme ou Barbarie" (fondé en 1948) au sein de la gauche française de l'après-guerre illustre un situs général de la pensée de Castoriadis, qui s'articule à ce qui est sans doute l'un des aspects les plus fascinants de sa pensée : sa tentative de tenir ensemble ce que l'on pourrait appeler un historicisme radical (qui s'achemine naturellement vers un relativisme strict) et une visée de vérité (qui récuse toute réduction de la théorie -- qui devient chez lui "élucidation" -- à une simple projection idiosyncrasique ou phantasmatique).
Ce qui fait la valeur, mais aussi la difficulté, de la pensée de Castoriadis est que :
a. . elle assume jusqu'au bout les paradoxes et les contradictions mis en lumière par les critiques (marxistes, freudiennes ou autres) de l'idéalisme (et du matérialisme), paradoxes et contradictions auxquels Castoriadis ajoute ceux qu'il dévoile dans ces critiques mêmes
b. elle se refuse à toute "solution" métaphysique (théologique ou autre) ou empirique (pragmatique, béhavioriste, etc.) cherchant à éliminer l'inconfort radical dans lequel se trouve celui qui fait l'effort de penser
c. elle récuse aussi le basculement dans toutes les formes de scepticisme (ce qui englobe, pour Castoriadis, tout ce qui remet en cause la prétention de la vie humaine à avoir un sens, à être du sens, en opposition donc avec les mouvances structuralistes ou lacaniennes)
On pourrait donc dire de Castoriadis qu'il incarne la destinée de l'intellectuel, et plus encore du philosophe de la seconde moitié du XX° siècle, qui relève le gant de la pensée alors même qu'il ne dispose plus (et qu'il le sait) des armes traditionnelles de la philosophie, qu'il s'agisse de celles qu'elle emprunte à la théologie, à "la science", ou à l'économie politique. Que Castoriadis ait été conduit, sur ce chemin, à réinventer des formes, à retrouver des chemins parfois oubliés (ou recouverts par d'autres tentatives, par exemple phénoménologiques), comme ceux de l'ontologie, ne fait que confirmer le projet qui fut le sien, d'élucider les conditions de la pensée dans la "situation spirituelle du temps présent" (pour reprendre une formule de Tillich), dans un discours qui soit à la fois consciemment enraciné dans, mais irréductible à, sa situation historique.
L'oeuvre de Castoriadis est vaste ; nous nous focaliserons sur ces deux "monuments" que sont L'institution imaginaire de la société (1974), et les 6 tomes du cycle des "Carrefours du labyrinthe".
L'institution imaginaire de la société (1974)