Les Jésuites en mission

François-Xavier prêche au Japon. Eglise de la Madeleine - Montargis 45

Nous avons vu dans la séquence précédente en quoi la révolution géographique traduisait certains des changements qui s'opèrent dans le domaine religieux aux XVI° et XVII° siècles. Mais pour comprendre comment s'est effectuée l'articulation entre les deux, il est important de souligner le rôle que les membres des congrégations religieuses ont joué dans cette "révolution". Nous avons déjà souligné que certains géographes de la Renaissance et de l'âge classique étaient eux-mêmes des théologiens (comme Münster), ou des penseurs engagés dans une réflexion théologique (comme Mercator, ou Ortelius), de même que certains théologiens s'étaient investis dans une réflexion géographique, comme Pie II.

Ce dernier ne faisait qu'ouvrir la voie : aux XVI° et XVII° siècles, les papes ont multiplié les encouragements aux géographes, garantissant par exemple les droits d'édition des cartographes, et confiant à Pierre Ligorio, architecte très versé en géographie, la décoration des trois grandes galeries vaticanes. Treize grandes cartes, réalisées d'après Ruscelli, y représentent les divers pays d'Europe. Sous Grégoire XIII encore, deux salles seront consacrées, l'une aux provinces de l'Italie, l'autre à l'évocation de missions lointaines. Et dans les allégories qui les encadrent, on peut voir Strabon et Ptolémée (patrons de l'ancienne géographie), mais aussi Biondo de Forli et Raphael de Volterre (qui représentent la géographie moderne)...

La galerie des cartes au Vatican (cliquez pour agrandir)

Mais l'apport le plus essentiel des institutions chrétiennes à la géographie est ailleurs : il se trouve d'abord dans le rôle qu'ont joué les missionnaires, et particulièrement les Jésuites, dans la constitution du savoir géographique. On peut ainsi indiquer que, sur 460 ouvrages relatifs aux pays lointains publiés en France entre 1660 et 1661, 173 (plus du tiers, donc) seraient dus aux missionnaires ; ce qui fait d'eux le premier relai de l'information géographique à l'âge classique.

Bon nombre de ces "relations" géographiques étaient dues à des jésuites. Pour comprendre en quoi a consisté leur apport, il faut revenir aux buts qui leur étaient assignés au sein du monde catholique. L'activité missionnaire était capitale ; comme l'indiquait la bulle (texte édicté par l'autorité pontificale) Regimini de 1540, les Jésuites étaient tenus d'obéir,

"que ce soit chez les Turcs qu'on nous envoie, ou chez d'autres infidèles, quels qu'ils soient, même dans ce qu'on appelle les Indes ou encore chez tous hérétiques et schismatiques."

Un sommet du baroque italien : Andra Pozzo, "Saint Ignace en gloire" (1691-1694) ; « Jésus communique un rayon de lumière au cœur d'Ignace, qui le transmet aux régions les plus éloignées des quatre parties du monde. » Pour quelques compléments d'information sur cette fresque fascinante (de plus de 600 m²...), cliquez sur l'image.

Les Jésuites jouaient donc un rôle-clé dans l'évangélisation des hommes, et notamment dans celle des habitants de ces nouvelles sociétés que la navigation venait de découvrir. L'ensemble de cartes qui entoure les Jésuites, réunis dans la maison de campagne du Collège romain, dans un dialogue rédigé en 1556 par le Père Auger, n'est pas seulement un décor : c'est le symbole de l'enjeu que constituent les missions pour les disciples d'Ignace de Loyola (le fondateur de l'ordre des Jésuites). Citons ce joli passage, dans lequel les jésuites sont assis

 « sur un banc fait en demi-rond, dans un petit pavillon bas, et orné de quelques tableaux dévotieux et de diverses cartes de géographie, même des Indes et de Ternate, dont nous avions un peu auparavant reçu nouvelle certaine de la conversion des Îles du japon, par la longue,pénible et vertueuse entremise des notres, qui, sous la conduite de Saint François Xavier, premier apôtre de ce nouveau monde, y avait heureusement planté la croix et le saint Evangile ; il y en avait aussi d'Ethiopie, pays du prêtre Jean, où le Pape Jules II avait dépêché bon nombre des nôtres... L'on y voyait encore des cartes d'Allemagne d'où, de fraîche mémoire, étaient de retour Jacques Laynez et Salmeron... »

Sans doute les Jésuites n'étaient-ils pas les seuls chrétiens à accomplir un travail d'évangélisation. Mais les manières de penser et de procéder propre à cet ordre conduisaient ses membres à rédiger de véritables compte-rendus descriptifs des lieux et des moeurs de l'endroit où ils se trouvaient, qui constituent un monument dans la "littérature" géographique de la Renaissance et de l'âge classique.

Sans doute aussi ces écrits sont-ils traversés des valeurs, et des préjugés, des bons pères qui les rédigeaient. Mais comme le remarque Catherine Desbarats (qui a étudié les textes des missionnaires jésuites du Canada) :

Comme témoignage soutenu de la rencontre entre Amérindiens de l’Amérique du Nord et Européens au XVIIe siècle, ce corpus est inégalé. Il est, certes, saturé d’une idéologie coloniale, que partagent d’ailleurs son public lettré et presque tous les imprimés européens traitant des Amériques à l’époque. (...) Mais les missionnaires nous livrent beaucoup plus que leurs jugements et leur prosélytisme. Même quand ces érudits condamnent, ils décrivent. Ils dépeignent le quotidien comme l’extraordinaire, le monde social comme la flore et la faune.

Farny 35.jpg

Le Père Jacques Marquette, représenté au 19e siècle par Henry F. Farny ; recevant Louis Jolliet le 8 décembre 1672, il suivra dans son exploration de la vallée du Mississippi, à la recherche du passage direct vers l’océan Pacifique.

Ce qui fait la valeur des Lettres de Mission des Jésuites, qu'elles viennent d'Amérique ou d'Asie, c'est leur rapport particulier au contexte dans lequel ils doivent s'insérer. La règle d'or était en effet d'adopter, autant que faire se pouvait (sans entrer en conflit direct avec une injonction religieuse) les moeurs et coutumes indigènes. C'est précisément cette tendance (très moderne d'un point de vue sociologique ou ethnologique) à "l'acculturation" locale qui fait la valeur des témoignages jésuites. Ceux-ci ne se sont pas contentés de décrire "de l'extérieur", des façons de vivre qui leur étaient étrangères : ils se sont acharnés à apprendre la langue, ou les langues locales, vivant pendant des années auprès d'hommes dont ils s'appropriaient les moeurs et coutumes. Et les Jésuites n'avaient pas le loisir de garder leurs observations pour eux : ils étaient en effet assujettis à une règle inscrite depuis 1540 dans la Constitution de la "Société de Jésus" (c'est le nom donné par son fondateur à l'ordre des jésuites) : chacun devait informer son supérieur de « l’état de toutes les personnes et de toutes les choses » qu’il croisera en terrain de mission, quelles que soient les circonstances, et autant que possible, « comme si elles lui étaient présentes ».

Comme le souligne C. Desbarats :

Ils obéiront à cette règle en Nouvelle-France, grattant sur de l’écorce quand manque le parchemin. Et ils le feront avec l’érudition qui leur est propre, fruit de leurs longues années d’études rigoureuses. Maîtres de la rhétorique comme des mathématiques, ces « soldats du Christ » cibleront leurs propos avec l’adresse digne d’un corps d’élite.

Il: Father Marquette, 1673 Photograph by Granger

 

Et celui qui ne livrait pas de compte-rendus suffisamment précis et détaillés se faisait rappeler à l'ordre ; ainsi Ignace de Loyola insiste auprès du Père Nobrega, qui doit parler « avec plus de détails et avec plus d'exactitude ». Et il doit parler

« de la région, du climat, des degrés, des mœurs des habitants, de leurs vêtements, de leurs habitations..., tout cela, moins pour satisfaire une curiosité, certes légitime, qu'afin que le P. Général puisse le cas échéant prendre des décisions en parfaite connaissance de cause. »

Des milliers d'enquêtes sont ainsi effectuées, en Asie, en Afrique, aux Amériques. Les missionnaires jésuites ont donc constitué un véritable "corps expéditionnaire" d'une valeur incomparable pour le savoir géographique : envoyés partout dans le monde, les Pères rédigeaient avec rigueur et précision de véritables compte-rendus climatiques, botaniques, zoologiques, sociologiques et ethnologiques sur les territoires et leurs habitants.

Ces lettres de mission trouvèrent d'ailleurs rapidement un public de plus en plus large, outre le Supérieur qu'elles devaient éclairer ; elles furent rapidement diffusées auprès de tous les géographes, qui les réclamaient, mais plus largement auprès du public lettré. S'il existe un domaine de la littérature qui a contribué à diffuser le savoir géographique dans le monde européen, c'est sans doute le domaine le moins "littéraire" qui soit : les lettres de Mission sont d'incomparables documents d'information... mais ce ne sont généralement pas des sommets littéraires.

Ce rôle des misionnaires est d'ailleurs loin d'avoir été ignoré des institutions scientifiques. Ainsi, en 1684, l'Académie Royale des sciences, qui avait envoyé des expéditionnaires en Egypte et et Amérique, songea à en envoyer également aux Indes et en Chine. Mais il s'agissait d'un voyage pénible et contraignant pour mes membres de l'Académie habitant en France... aussi eurent-ils l'idée de tirer profit de l'envoi de missionnaires qui "joindraient au zèle de répandre la religion, l'étude des sciences humaines."

Mais outre ces enquêtes de terrain, les missionnaires fournissaient également, durant leurs voyages, un ensemble d'observations capitales pour l'établissement des cartes. On en trouve un témoignage (parmi beaucoup d'autres) dans une lettre du Père de la Chaise (qui fut le confesseur de Louis XIV pendant 34 ans, et auquel le cimetière le plus connu de Paris doit son nom) au Père général, demandant qu'on lui trouve :

« un nombre de bons missionnaires qui ayent assez de connoissances des mathématiques pour faire en chemin et sur les lieux toutes les observations nécessaires pour rectifier les cartes marines et géographiques et surtout pour prendre connoissance des sciences et des arts principaux des Chinois. » (1684).

Father Ferdinand Verbiest (1623-1688) was a Flemish Jesuit ...

Ferdinand Verbiest (17e siècle), un prêtre jésuite, mathématicien et astronome des Pays-Bas, qui devint missionnaire... et mathématicien à la cour de l'empereur de Chine

Et, de fait, les jésuites en mission ne chômaient pas. Le 3 mars 1685, des Jésuites embarquent à Brest ; ils déterminent en route la longitude du Cap, grâce à une éclipse du premier satellite de Jupiter (5 juin 1685) ; ils observent ensuite l'éclipse du 16 juin (mais à l’œil nu, du fait d'un roulis trop important). Entre le Cap et Batavia, ils mettent à l'essai l'un des « pendules à spiral et à secondes » de Thuret ; arrivés à Siam en septembre 1685, ces jésuites astronomes occupent leur temps d'escale à mesurer des latitudes et des longitudes, la déclinaison magnétique (l'écart entre le Nord indiqué par la boussole et le nord géographique), la longueur du pendule à seconde, et se livrent à des observations d'histoire naturelle !

Entre autres résultats de leur expédition, on peut mentionner la diminution de 24 degrés de la longitude généralement adoptée pour Siam (ancien nom de la Thaïlande)...

Angelo Secchi, the Jesuit father of astrophysics | America Magazine

Un autre jésuite-astronome de génie : Angelo Secchi (19e siècle), l'un des pères de l'astrophysique moderne ; qui fit d'ailleurs construire un nouvel observatoire... sur le toit de l'église Saint Ignace de Loyola !

Envoyés aux confins du monde connu, les missionnaires pouvaient même endosser le rôle d'explorateurs. C'est ce qui est illustré dans le film bien connu de Roland Joffé, Mission, où l'on assiste à l'entrée en contact des pères jésuites avec des populations indigènes (le film est tiré d'une pièce de Fritz Hochwälder, Sur la terre comme au ciel). En introduction à une relation du Paraguay de 1638 envoyée par le Père Durand, le Père Machault soulignait ce rôle de "pionniers" qu'étaient amenés à jouer les Pères expédiés dans les régions les plus reculées du "nouveau monde", et l'enjeu que cela représentait pour la géographie :

« C'est pourquoi, quand ceux qui sont versez en la Géographie remarqueront en ce narré les noms de plusieurs Païs, et des peuples qui ne se trouvent point particularisez dans les Cartes, ni dans les Globes, mesmes des plus récentes éditions, ils ne doivent s'en émerveiller, ny luy donner moins de créance, veu que c'est pour la première fois qu'ils sont passez en notre Europe, et qu'ils sont venus à nostre connaissance par cette Relation (...). Et certes plus nos Pères vont avant dans les terres, plus ils découvriront de nouveaux peuples ; de quoy pour marquer cecy en passant, la Geographie ne recevra pas peu d'enrichissements, puis que de cette relation peuvent apprendre plusieurs pays, qui pourront estre inserez dans les Globes et dans les Cartes. »

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Un très bon film, d'ailleurs...

Les Pères pouvaient d'ailleurs entamer de véritables périples d'exploration, afin d'expérimenter de nouvelles routes permettant d'accélerer les échanges entre les missionnaires et leurs autorités de tutelle. Pour un missionnaire séjournant à Macao, il fallait par exemple compter deux ou trois ans pour qu'une lettre arrive jusqu'à Rome... ce qui conduisait l'expéditeur à ne recevoir la réponse que 5 ou 6 ans après l'envoi de la question !

Pour accélérer les choses, le Père Goswin Nickel (qui est resté dans l'Histoire pour le soutien vigoureux qu'il accorda à Friedrich Spee, auteur d'un livre qui condamnait les abus commis dans les procès de sorcellerie, et notamment le recours à la torture) conçoit un plan audacieux de liaison Rome-Macao en passant par le népal et le Thibet ; pour l'expérimenter, il choisit le Père Grüber, qui se rend d'abord de Venise à Smyrne par mer, de là à Ormuz par terre (5 mois de chemin), d'Ormuz à Macao en 7 mois, et arrive à Pékin trois mois après : soit 15 mois de voyage... un record !

File:Jesuit astronomers with Kangxi Emperor 1690-1705 Beauvais.jpg

Astronomes jésuites en Chine, avec l'empereur Kangxi (Philippe Behagle, vers 1690)

Il faut enfin souligner le rôle, parfois inattendu, que la géographie et l'astronomie pouvaient jouer dans le travail d'évangélisation lui-même. Les missionnaires de Chine soulignent à de multiples reprises l'intérêt que représentent les connaissances de ce genre pour obtenir l'attention et l'intérêt des Chinois. A cet égard, la figure la plus emblématique est celle de Matteo Ricci, un père jésuite italien qui joua un rôle clé dans l'insertion du christianisme dans la culture chinoise.

Ricci fut l'un des premiers jésuites à pénétrer en Chine, dont il étudia la langue et la culture. Il y dessine des mappemondes, qui font connaître aux Chinois le reste du monde, et traduit en chinois des livres de philosophie, de mathématiques et d'astronomie. S'il fait partie des premiers penseurs à avoir communiqué à l'Europe des éléments de philosophie chinoise (notamment Confucius), il est surtout reconnu en Chine comme l'un des rares occidentaux faisant partie du "patrimoine" culturel et de l'Histoire chinoise.

Aujourd'hui encore, "Li Matou" (son appellation chinoise) figure sur l'immense fresque du Monument du Millénium érigé à Pékin pour le passage au XXIe siècle, et qui rend hommage aux personnalités culturelles de la dynastie Ming (il est le seul Européen à y figurer... avec Marco Polo). On le voit ainsi, posant derrière Li Shizen (le médecin) et Wang Yangming (le philosophe), un astrolabe à ses pieds, un télescope à la main...

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Matteo Ricci et Xu Guangki (par Athanasius Kircher)  et Statue de Matteo Ricci à Pékin

Matteo Ricci a longuement insisté sur le rôle que jouaient l'astronomie et la géographie dans sa "prédication", aussi bien en Chine qu'au Japon. En premier lieu, les Asiatiques prêteront mieux l'oreille aux enseignements chrétiens si l'on se montre d'abord capable de répondre aux questions qu'ils posent, et se posent, indépendamment de tout questionnement religieux. En 1552, un autre très grand missionnaire, François-Xavier, co-fondateur de l'ordre des Jésuites, devenu "saint" en 1625, et que l'on surnomma "l'Apôtre des Indes", insistait auprès d'Ignace de Loyola sur la nécessité d'une formation astro-géographique des missionnaires :

« Je désire que ces confrères ne soient pas ignorants de l'astronomie. Les Japonais désirent singulièrement s'instruire sur les phases alternatives de la Lune et du Soleil, et sur les causes de la croissance et de la décroissance de la Lune à des intervalles réguliers. Ils font des questions de ce genre : Quelle est l'origine de la pluie, de la neige et de la grêle ? D'où proviennent les comètes, le tonnerre, les éclairs et autres phénomènes de l'air ? On ne saurait imaginer combien l'explication de ces prodiges naturels a de puissance pour disposer en notre faveur les esprits des Japonais. »

Frontispice de la Chine illustrée d'Athanasius Kircher (1667) : les fondateurs de l'ordre Jésuite, François-Xavier et Ignace de Loyola adorant le monogramme céleste du Christ, tandis que Schall von Bell et Matteo Ricci travaillent à leur oeuvre de mission en Chine.

Par ailleurs, comme nous l'avons vu, les réflexions qui naissent à partir des considérations géographiques tendent naturellement à conforter la thèse d'un Créateur de l'Univers, alliant sagesse et puissance. En ce sens, les "leçons de choses", globe en main, sont source d'arguments pour celui qui veut enseigner le christianisme. Comme le résume Dainville : « qui serait assez barbare en contemplant [la sphère] pour ne pas comprendre à l'instant qu'il lui a fallu un constructeur ? De là, on passerait à l'ordre du monde et à l'admirable harmonie des sphères, à la Providence qui régit et conserve l'univers, enfin à la puissance et sagesse de Dieu... »

Pour initier un public à la notion de Créateur, quoi de mieux qu'une réflexion bien conduite... sur la Création ?

Et si ledit public se montre rétif face aux cartes européennes, sur lesquelles la Chine apparaît aux marges du monde, un peu de géométrie projective permet de résoudre le problème : ainsi Ricci construisit-il une mappemonde selon une projection nouvelle, pour contenter ses auditeurs sans renoncer à la rigueur scientifique :

« Rejetant le premier méridien des Isles Fortunées aux marges de la description géographique à droite et à gauche, je fis que le royaume de la Chine se voioit au milieu de la description, à leur grand plaisir et contentement. »

La mappemonde de Matteo Ricci : quand la géométrie projective devient support d'évangélisation !

Enfin, l'un des avantages de la cartographie soulignés par Ricci est qu'une mappemonde bien dessinée permet de faire apparaître la distance (très rassurante pour ses auditeurs) qui sépare la Chine de l'Europe :

« On voyait par cette description de quel espace quasi démesuré de terres et de mers le Royaume de Chine était éloigné de l'Europe. (...) Si tous les Chinois en avaient une égale connaissance, serait supprimé un grand empêchement à la diffusion de la foy chrétienne. »

Nous venons de voir le rôle qu'ont pu jouer les missionnaires dans la production du savoir géographique de la Renaissance et de l'âge classique : tour à tour observateurs, explorateurs, astronomes, cartographes, naturalistes, ethnologues, leurs comptes-rendus constituent l'une des pièces maîtresses des "archives" de la géographie, et sont partie prenante de la révolution qui s'opère à la renaissance dans l'image que l'on se fait de la Terre et de ses habitants (humains ou non). Et nous avons souligné en passant le rôle que ce savoir géographique pouvait jouer dans le travail d'évangélisation proprement dit. 

Mais les missionnaires n'ont pas seulement rapporté (dans leurs bagages et dans leurs écrits) des informations. Ils ont aussi nourri un ensemble de questions nouvelles, voire des problèmes nouveaux. C'est à l'étude de ces problèmes, qui nous introduiront aux enjeux proprement philosophiques de la Révolution géographico-cartographique, que nous consacrerons notre prochaine séquence.

   Lorsqu'Est et Ouest se rencontrent: le père jésuite Ferdinand Verbiest