Préface à l'institution imaginaire de la société

L'institution imaginaire de la société

Préface

Dans sa Préface (rédigée en 1974), Castoriadis articule la formulation du projet global de l'oeuvre, et l'analyse du statut épistémologique de son discours ; on pourrait d'ailleurs dire qu'il ne fait qu'une seule chose, qui se trouve être indissociablement l'une et l'autre.

L'une des caractéristiques-clé de la pensée de Castoriadis est que s'y trouvent constamment entrelacées les questions portant sur le sujet parlant, sur la parole parlée, et sur l'objet de la parole. Loin d'aboutir à leur con-fusion, cet entrelacement vise au contraire à discerner les instances, qui pourtant n'existent et ne trouvent consistance que par leur articulation. Il n'y a pas plus de "sujet pur", que de "théorie pure", de "langage pur" ou d' "objet pur" ; mais il est tout aussi fallacieux, pour Castoriadis, de vouloir réduire le sujet au langage, ou la réalité au désir du sujet : toutes tentatives qui ne peuvent conduire qu'à l'élimination de la question du sens et / ou de la vérité.

Le discours de Castoriadis veut à la fois reconnaître son plein enracinement dans une situation historique, sa nature de création historique (ce qui récuse toute prétention à une validité transhistorique, désengagée de la réalité qu'elle prétendrait décrire de façon strictement "scientifique", "rationnelle"), ET son caractère réellement théorique, indissociable d'une visée de vérité (qui la dissocie donc radicalement d'une projection, d'un phantasme ou d'un roman). C'est pour clarifier cette dimension paradoxale de son discours que Castoriadis procède à l'élucidation de la notion... d'élucidation, qui se veut à la fois un concept critique et une création conceptuelle.

Dans ce texte, Castoriadis insiste sur cet autre paradoxe, qui veut que la véritable humilité du discours du penseur repose sur la revendication d'un discours personnel (c'est dans la mesure même où ce discours est personnel que le lecteur devra le faire sien, l'un et l'autre partenaires devant se défaire de l'objectivité illusoire du système théorique achevé). Le discours vérace n'est pas celui qui prétend s'énoncer au nom de la vérité, ou même au nom d'une catégorie sociale ; encore moins au nom d'une catégorie sociale elle-même posée comme dépositaire de la vérité. C'est dans ce qu'il a de personnel qu'un discours est créateur ; c'est également (nouveau paradoxe) dans ce qu'il a de personnel que ce discours peut trouver une forme de validité sociale ; car l'un et l'autre aspect se rattachent à l'imaginaire.

Et si le noyau créateur de l'imaginaire est bien ce dont il est impossible de "rendre raison" (puisqu'il est lui-même à la source de ce que nous nommons rationalité, comme il est la source de tout projet "rationaliste"), cela ne détruit en rien la portée philosophique, la visée de vérité propre au discours, c'est-à-dire le projet de dire quelque chose d'un réel que nous ne pouvons saisir que par nos représentations, mais que l'on ne peut réduire à ces représentations.

Il faut tenir ensemble les deux termes des paradoxes, les deux aspects du discours de Castoriadis pour saisir l'enjeu de l'Institution ; et c'est en ce sens que les accents fortement "culturalistes" de la Préface doivent être lus à la lumière des éclaircissements apportés par "l'autre" Préface, et plus généralement par tout le premier tome des Carrefours du labyrinthe.

Préface (extraits)