6. Texte de Nietzsche sur la conscience

Bonjour,

Voici le texte de Nietzsche sur la conscience morale.

La mauvaise conscience est à mes yeux une maladie grave, suite inévitable de la pression qu’a exercée sur l’homme le changement le plus profond de tous ceux qu’il ait jamais vécus, — ce changement qui s’est produit lorsque l’homme s’est vu dans la contrainte de la société et de la paix. Comme il a dû arriver aux animaux aquatiques, lorsqu’ils furent réduits à vivre sur la terre ferme ou à périr, il arriva aussi à ces demi-animaux heureusement adaptés à la guerre, à la vie nomade, à l’aventure, — que d’un seul coup tous leurs instincts furent dévalués, « hors d’usage ». […] Mais avec cela ces anciens instincts n’avaient pas cessé tout d’un coup de faire sentir leurs exigences ! Mais il était rare, souvent impossible de les satisfaire : il leur fallait le plus souvent chercher des satisfactions nouvelles et en quelque sorte souterraines. Tous les instincts qui ne se libèrent pas vers l’extérieur, se retournent vers le dedans — c’est ce que j’appelle l’intériorisation de l’homme : voilà l’origine de ce que l’on appellera plus tard son « âme ». Tout ce monde du dedans s’est développé, amplifié à mesure qu’on empêchait l’homme de se libérer vers l’extérieur. Ces remparts terrifiants que l’Etat érigea pour se défendre contre les vieux instincts de liberté — les châtiments y appartiennent éminemment — réussirent à retourner tous ces instincts de l’homme nomade, sauvage et libre, et à les retourner contre l’homme lui-même. L’inimitié, la cruauté, le plaisir de persécuter, d’attaquer, de transformer, de détruire — tout cela tourné contre les possesseurs de tels instincts : voilà l’origine de la « mauvaise conscience ». L’homme qui, manquant d’ennemis extérieurs et de résistances, pris dans l’étroitesse opprimante et la régularité des mœurs, se déchirait, se persécutait, se rongeait, se harcelait, se maltraitait impatiemment lui-même, cet animal que l’on veut « apprivoiser » et qui se blesse aux barreaux de sa cage, cet être privé de tout et consumé par la nostalgie du désert, qui a dû faire de lui-même une aventure, une chambre de torture, une contrée sauvage et dangereuse — ce fou, ce prisonnier plein de désirs et de désespoirs devint l’inventeur de la « mauvaise conscience ».

(F. NIETZSCHE, La généalogie de la morale, 1887)

Pour l'explication du texte, je vous renvoie évidemment à vos notes ; mais vous pouvez consulter une explication du texte en vous rendant sur cette page.

Bonne lecture !