Bonheur et Sublimation (1)
Nous tentons ici de mettre en lumière ce qui, dans un cadre psychanalytique, peut offrir une voie de dépassement de l'opposition entre désir et devoir, bonheur et morale. Il faut d'abord faire une remarque : ce que nous propose Freud, le père fondateur de la psychanalyse, ce n'est pas un discours qui chercherait à déterminer ce que nous devons faire. Freud est un scientifique, qui ne cherche (donc) pas à faire des leçons de morale ; son travail, c'est d'expliquer le fonctionnement de l'esprit humain, du psychisme humain, à la lumière de ce concept central de la psychanalyse (que nous aurons encore à retrouver, puisqu'il s'agit de l'une des notions du programme) : l'inconscient. Si la psychanalyse peut nous apprendre quelque chose sur le rapport entre désir et morale, c'est donc parce qu'il existe, dans le psychisme humain, des mécanismes qui cherchent à trouver des voies de résolution du conflit entre désirs et normes morales. Parmi ces mécanismes, nous allons envisager celui que Freud nomme : la sublimation.
"Sublimation", une image glanée sur Digitalblasphemy
Repartons du début. Il peut y avoir conflit entre désir et morale, car tout désir n'est pas nécessairement en accord, dans ce qu'exige sa réalisation, avec les impératifs et les interdits admis par notre environnement social. Mais attention : pour Freud, le conflit entre désir et morale n'est pas un conflit entre "le" désir et "la" morale : c'est un conflit entre deux régions du psychisme (que nous décrirons plus tard dans l'année) : celle qui contient les pulsions (toutes les forces psychiques qui nous poussent vers des objets ou des comportements), celle qui contient les impératifs moraux et sociaux admis dans notre environnement. Pour Freud, le conflit entre désir et morale est donc un conflit interne au psychisme humain, une guerre qui se livre dans l'esprit humain. Et ce que désigne le terme de sublimation, c'est précisément une stratégie du psychisme humain par laquelle celui-ci vise à résoudre le conflit.
Mais il nous faut encore faire une remarque. La véritable guerre intra-psychique, pour Freud, n'a lieu... que lorsque l'individu n'en a pas conscience. Car les impératifs moraux peuvent s'opposer de deux manières différentes à un désir.
a) La première correspond à ce que nous appelons "réfréner" un désir : j'ai conscience de mon désir (de frapper mon voisin, qui laisse encore tourner son moteur à 4 heures du matin), mais je ne le réalise pas car il me semble tout à fait illégitime de recourir à la violence. Cette opposition entre désir et morale, nous la rencontrons quotidiennement, et elle ne pose pas (en général) de problèmes insoutenables.
b) La seconde désigne le cas où un désir est "censuré" dans le psychisme avant même de devenir conscient. Supposons un bon bourgeois du XIX° siècle : s'il se trouve animé de pulsions homosexuelles, il y a de fortes chances pour que celles-ci se trouvent censurées avant même d'avoir été identifiées par la conscience. L'individu refuse d'admettre qu'il est homosexuel, il réprime ce désir avant-même d'en prendre conscience : on parle alors d'homosexualité refoulée. C'est sur ce processus psychique, dit de refoulement, que repose toute la théorie psychanalytique. Car l'inconscient, pour Freud, ce n'est pas l'ensemble des choses dont nous n'avons pas actuellement conscience (comme du fait qu'il pleut dehors, ou de mes connaissances en philo, etc.), c'est l'ensemble des contenus psychiques refoulés, l'ensemble des contenus psychiques qui se sont trouvés réprimés avant même d'accéder à la conscience.
"Pulsion refoulée", montage de Christophe Martinez (2010)
Pour Freud, c'est la deuxième situation qui pose problème, dans la mesure où elle conduit à la formation de névroses (les symptômes névrotiques sont la manifestation déguisée des contenus psychiques refoulés... mais nous aurons l'occasion de redévelopper tout cela dans le cours sur l'inconscient). Ce qu'il faut donc mettre en lumière, ce sont les mécanismes qui permettent d'éviter la formation de névroses, ce qui suppose :
a) de trouver une véritable voie d'expression aux désirs dont la réalisation se heurte à des interdits moraux (il ne s'agit pas de leur trouver une pseudo-satisfaction, incapable de les "satisfaire" véritablement)
b) de trouver une voie d'expression qui soit compatible avec les impératifs moraux portés par l'individu.
C'est ce double processus que Freud désigne sous le nom de "sublimation" : sublimer un désir, c'est trouver une voie d'expression socialement/moralement acceptable d'un désir qui, sous sa forme primitive, est suffisamment incompatible avec les impératifs moraux pour être susceptible de refoulement.
On voit donc en quoi la sublimation constitue une voie de conciliation entre désir et devoir, entre bonheur et morale, puisqu'elle cherche à surmonter l'antagonisme du désir et de l'impératif moral.
Pour comprendre plus précisément ce en quoi peut consister un processus de sublimation, prenons appui sur des exemples. Il est intéressant de retracer le parcours par lequel de simples "jeux" se sont peu à peu substitués à ce qui était au départ un rapport agressif et violent entre deux ennemis. La plupart des jeux peuvent être reconstruits, dans leur genèse, à partir d'un processus de sublimation progressive des pulsions violentes.
Prenons un jeu aussi "intellectuel" et "inoffensif" que le jeu d'échecs (ou le jeu de go). On peut retracer un cheminement qui, étape par étape, sublimation après sublimation, a transformé l'affrontement sauvage en affrontement guerrier, l'affrontement guerrier en affrontement sportif, l'affrontement sportif en joute intellectuelle. La sublimation repose ici sur deux facteurs :
a) la délimitation de l'espace de libération de la violence : champ de bataille, puis terrain de jeu, puis échiquier, etc.
b) la différenciation entre participants et non participants : militaires / civils, joueurs / non-joueurs, etc.
c) la soumission de la violence à des règles contraignantes (règles de la guerre (ce que l'on appelait le "droit des gens"), règles sportives, règles du jeu) qui transforment le pur rapport de forces physique en rapport de forces technique.
Un sport fascinant : le "chess boxing", qui alterne rounds de boxe et parties d'échecs. Ce sport, qui allie magnifiquement le rapport de forces physique (boxe) et sa forme sublimée sous la forme d'un rapport de forces intellectuel (échecs), a par ailleurs l'intérêt d'illustrer la capacité de la fiction a produire du réel. Ce sport, aujourd'hui discipline constituée, a initialement été inventé par Enki Bilal dans son album Froid équateur.
La guerre elle-même est déjà de l'ordre de la sublimation : une guerre (du moins jusqu'au XX° siècle...) n'est pas un affrontement barbare et chaotique : elle repose sur la discrimination entre joueurs et non-joueurs (civils, pays neutre, etc.), un terrain de jeu (le champ de bataille), des règles du jeu (interdiction d'utiliser les gazs, respect du drapeau blanc, etc.)
L'affrontement sportif est à son tour une "sublimation" de l'affrontement guerrier : le terrain de jeu se substitue au champ de bataille, les armées deviennent des équipes, l'usage de la violence s'y fait plus codifié... mais dans de nombreux sports, on retrouve cet ancêtre guerrier ; ainsi dans le rugby, les fameux "haka" des All Blacks rappellent l'origine guerrière de l'affrontement sportif.
Il s'agit bien de "sublimation", dans la mesure où des pulsions, dont la libération immédiate et brutale serait sévèrement sanctionnée par les principes éthiques, trouvent une voie de libération qui n'est pas une simple orientation vers une pseudo-satisfaction (dans la mesure où c'est bien une violence, une agressivité qui trouve à s'exprimer), mais une libération authentique qui, par le jeu de la délimitation de l'espace, de la différenciation entre joueurs et non-joueurs et de l'obéissance aux règles se trouve légitimée, valorisée. La sauvagerie barbare est devenue force et habileté. En ce sens, on pourrait dire que l'affrontement violent des supporters en-dehors du stade est la forme non sublimée de ce dont la compétition entre équipes constitue précisément... la tentative de sublimation !
On peut d'ailleurs voir que, de l'affrontement barbare au sport, il existe une multitude de degrés. Ainsi la boxe anglaise, dans sa version originelle, est à mi-chemin entre le combat de rue et le sport proprement dit (c'est notamment le cas pour les affrontements hors des compétitions officielles, qui ont toujours existé).
Sport ou violence sauvage ? (Fight Club)
De la même façon, on peut se demander si un tournoi de chevalerie appartient au registre guerrier ou au registre sportif... bref, le processus qui va de la violence barbare au sport proprement dit est ce que l'on pourrait appeler un "continuum sublimatoire".
On pourrait dire la même chose des jeux vidéo, dans lesquels l'affrontement barbare qui se visualise sur l'écran n'est que la projection fantasmatique de la violence que le joueur transforme en vérité en affrontement technique : dans un tournoi, l'affrontement barbare que les écrans mettent en scène est devenu par le biais du jeu une compétition entre joueurs qui mesurent leur habileté technique, leur vélocité, leur expérience, etc.
Il est d'ailleurs intéressant que la guerre et le jeu entretiennent des rapports souvent ambigus. L'affrontement guerrier est une thématique centrale des jeux humains, ce qui est logique si l'on admet que ces derniers en constituent une forme sublimée ; pour rependre l'exemple des jeux vidéo, il n'existe probablement pas un seul des grands conflits humains qui ne se trouve mobilisé dans un jeu... avec un réalisme qui en devient parfois embarrassant.
Capture d'écran du jeu "Call of Duty"
On peut pourtant remarquer que, si les jeux se servent de la guerre, la guerre s'est elle-même servie des jeux. L'exemple le plus marquant en est sans doute le "Kriegspiel", sorte de Risk se jouant sur de vraies cartes d'état-major auxquels les officiers prussiens eurent l'obligation de jouer durant leurs heures de repos. Si cela vous intéresse, vous pourrez consulter la petite page wiki à ce sujet en cliquant ici.
On pratiquait encore le "Kriegspiel exercise" en 1914
Pour finir, on peut noter que l'une des théories mathématiques auxquelles les services américains eurent recours durant la guerre froide est tout simplement la "théorie des jeux", notamment développée par le mathématicien américain John Von Neumann. Le principe de la "théorie des jeux" est d'utiliser le calcul mathématique mettre en lumière la procédure la plus rationnelle dans une situation définie par quelques paramètres-clé : en gros, on attribue des pondérations et des coefficients de probabilité aux différents événements possibles, pour déterminer le meilleur "coup" à jouer. Petite illustration : Si le fait de tricher à l'examen m'apporte une plus-value évaluée à environ 5 points, que j'ai une chance sur 3 de me faire prendre, et que je perds tous mes points dans ce dernier cas, à partir de quelle note anticipée devient-il non-rentable de tricher (il est évident que si vous vous apprêtez à rendre copie blanche, vous n'avez aucune raison de ne pas tricher si l'on ne tient compte que des points...) Aussi étrange que cela puisse paraître, c'est bien ce genre de raisonnements que tenaient les services américains pour déterminer le nombre optimal de bombres atomiques à détenir (et de quelle manière) pour que l'effet de dissuasion / bluff / répression soit optimal.
Von Neumann, vu par Stanley Kubrick dans Docteur Folamour
Guerre et jeu entretiennent donc des rapports ambivalents, ou plutôt réciproques, ce qui manifeste leur commune appartenance à un vaste processus de sublimation des mêmes pulsions originelles. Pour en revenir aux jeux vidéo, on pourrait trouver une illustration amusante des confusions possibles dans un (vieux) film-culte de 1983 : Wargames..
Guerre, sport, jeu... autant de sublimations plus ou moins poussées des pulsions violentes, agressives de l'être humain, au sein de laquelle l'affrontement physique brutal se trouve converti en compétition technique. Dans cette optique, ce qui caractérise l'homme, ce n'est pas qu'il est animé de pulsions "civilisées", c'est précisément qu'il est capable de donner une forme civilisée à des pulsions dont la libération immédiate relèverait de la barbarie pure et simple. Et qu'à travers ce processus de sublimation, il parvient à surmonter le conflit entre ses pulsions et ses impératifs moraux. Car en se sublimant, en devant affrontement guerrier, compétition sportive, joute technique ou intellectuelle, les pulsions agressives ne trouvent pas seulement une "autorisation" : elles parviennent à une véritable valorisation sociale.
Voilà pour le jeu. Mais le concept de sublimation est encore plus intéressant lorsqu'on le met en rapport, comme le fait Freud, avec le champ de la création artistique. Si l'art est, pour Freud, la voie royale de la sublimation, c'est que la création artistique ouvre un espace au sein duquel peuvent trouver à s'exprimer, se représenter et se satisfaire des pulsions dont la libération immédiate serait condamnée. Mais attention : une oeuvre d'art n'est pas un rêve, ce n'est pas un fantasme : c'est une oeuvre réelle qui, précisément, est disponible à la contemplation par autrui. L'oeuvre d'art, pour Freud, est bien la réponse à une frustration originelle des pulsions ; et en cela, elle rejoint le domaine du fantasme, de la réalisation "imaginaire" des pulsions susceptibles de refoulement. Ce qui différencie donc l'artiste du névropathe, pour Freud, c'est le fait que l'artiste, s'il suit le névropathe dans le "recours à l'imaginaire" pour satisfaire ses pulsions, retrouve néanmoins le "chemin de la réalité". Il le retrouve, d'abord, du fait que ce qu'il produit n'es pas une construction imaginaire (rêve, etc.) mais bien une oeuvre concrète, appartenant à la réalité. Mais il le retrouve également dans la mesure où l'oeuvre lui donne accès au regard et à la reconnaissance des autres êtres humains. En effet, ce qui différencie l'artiste de celui qui ne l'est pas, c'est précisément la capacité de l'oeuvre d'art d'éveiller chez le spectateur le désir qui se trouve exprimé, et de le faire "com-patir" avec la satisfaction représentée du désir. Par là, l'artiste sort de l'espace "narcissique" du fantasme et rejoint le monde, c'est-à-dire d'abord les autres. L'artiste est celui qui par son oeuvre trouve une voie de libération de ses pulsions sous une forme non seulement autorisée, mais valorisée par le regard de l'autre. Il y a donc bien sublimation, puisque la pulsion dont la réalisation est moralement condamnable trouve à s'exprimer sous une forme moralement valorisée !
Cette (psych)analyse des oeuvres d'art est évidemment particulièrement utile pour des oeuvres au sein desquelles la violence ou la sexualité éclatent sous une forme aussi reconnaissable que transformée, magnifiée... sublimée par le génie artistique. Pour la violence, on peut songer à Bacon (tableau 1), à Otto Dix (tableau 2), mais aussi à Delacroix (La mort de Sardanapale) ou même Picasso ou Braque, dont on ne doit pas oublier que le cubisme repose sur un démembrement préalable du corps humain. Au sens propre, les personnages des tableaux cubistes sont avant tout... des monstres, c'est-à-dire des créations dont on montre la déformation.
(Francis Bacon. Pour information : c'est un autoportrait...)
(Otto Dix : portrait d'anciens combattants)
Et en ce qui concerne cette autre domaine pulsionnel culturellement prédisposé à la censure : la libido (ensemble des pulsions sexuelles, avec le sens élargi que j'ai précisé en cours), on peut penser, par exemple, à Klimt, à Delacroix (encore lui)... et à bien d'autres, éventuellement plus classiques, comme Fragonard.
(G. Klimt, "Séduction". Danaé, séduite par Dieu, qui se change en pluie d'or...)
(Jean Honoré Fragonard, "Le verrou" ; on pourrait aussi songer à d'autres tableaux du même peintre, pleins de fraîche innocence, comme la "jeune fille faisant danser son chien sur son lit", ci-dessous)
Bien. On peut alors prolonger notre raisonnement en remarquant que, si la création artistique est un support de sublimation des pulsions susceptibles d'être refoulées (pour Freud, la sublimation permet d'éviter le refoulement), il peut être envisageable d'utiliser la création artistique comme support thérapeutique. La création artistique permettrait ainsi la "levée du refoulement" portant sur les pulsions censurées, et l'ouverture d'un espace d'expression. C'est toute l'idée de "l'art-thérapie", qui s'enracine dans la prise en compte, notamment avec Prinzhorn au début du XX° siècle, des productions des schizophrènes internés dans les hôpitaux psychiatriques, en tant qu'oeuvres dotées d'une valeur artistique. L'idée de 'lart-thérapie, qui cherche à utiliser les potentialités sublimatoires de la création artistique pour ouvrir un espace d'expression et d'appropriation des contenus psychiques refoulés, repose sur trois principes fondamentaux :
a) la création artistique ouvre un espace dans lequel les pulsions (désirs, angoisses) peuvent trouver à se libérer de façon moins "contrôlée", plus spontanée que dans l'espace du discours. La main qui dessine obéit à des forces que je ne maîtrise pas entièrement, je peux être moi-même spectateur de ce que ma main trace. De plus, le fait que la figuration de la réalisation pulsionnelle se trouve projetée dans un espace "inoffensif" permet une déculpabilisation de la satisfaction. Si l'agressivité que j'exprime n'est que celle d'un personnage que je joue dans une pièce de théâtre, où est la faute ? Comme le veulent les surréalistes, l'art est la voie d'accès la plus directe aux profondeurs de l'inconscient, puisqu'il permet d'échapper aux procédures de contrôle / censure de la conscience (c'est notamment l'avis d'André Breton).
Qu'est-ce qui, mieux que le théâtre, peut m'apprendre à faire de l'identité un jeu ?
b) En projetant la motion pulsionnelle dans un espace de jeu (narratif, pictural, etc.), je lui donne forme. L'objet de l'angoisse (par opposition à la peur) est, par définition, sans visage. L'objet de l'angoisse, c'est ce qui ne ressemble à rien d'autre et qui peut surgir de nulle part. En projetant l'angoisse dans une image, un récit, je pose un visage, un nom sur cet objet, et par là-même je le prive de sa dimension la plus angoissante. Une chose sans nom jaillissant de nulle part... voilà un objet d'angoisse nettement plus violent qu'une sorcière cachée dans placard ! Ce dernier exemple s'adresse évidemment au cas de l'art-thérapie appliquée aux enfants. Mais en nommant l'objet de l'angoisse "sorcière", en l'enfermant dans son placard qui grince et en lui faisant tomber des livres sur la tête, nous ne faisons qu'introduire l'enfant à ce qui constitue la dimension sublimatoire de l'oeuvre d'art, qui donne forme à nos désirs méconnaissables, à nos angoisses sans nom.
Le Cri, d'Edvard Munch. Exprimer l'angoisse, c'est déjà commencer à s'en libérer...
c) Enfin, en donnant à la satisfaction pulsionnelle une forme stable, j'autorise un processus de manipulation, de transformation qui est aussi un processus d'appropriation, de domestication. La sorcière grimaçante que l'enfant retrouve dans son dessin n'est pas laissée à l'état de menace latente : elle est aussitôt capturée, emprisonnée dans un récit que l'enfant invente ; en inventant l'histoire, l'enfant manipule la sorcière, s'en rend maître, la dompte. Et à travers elle, c'est l'objet de son angoisse qu'il apprend à maîtriser. Pour reprendre une situation enfantine, il ne sert pas à grand chose d'ouvrir le placard pour montrer qu'il n'y a pas de sorcière dedans. L'enfant le sait déjà, et il sait encore plus que vous, vous le savez. La sorcière n'est qu'une image qu'il interpose entre lui et ses angoisses, entre les forces qu'il ne peut nommer mais dont il sait que, en lui et hors de lui, elles constituent une menace pour son intégrité.
Il vous faudra alors devenir... artiste ! Et, comme au jeu du cadavre exquis, saisir l'image, la métaphore qu'il vous tend pour la filer, la mettre en récit, la domestiquer par une histoire qui domestiquera la sorcière après quelques péripéties qui l'enverront, badaboum, dans le chaudron. Il vous faudra tisser une oeuvre d'art avec un fil d'angoisse, faire de la mosaïque avec ces débris informes qui ne ressemblent à rien, bâtir une histoire cohérente à partir de désirs contradictoires.
Bref, il faudra faire pour lui ce que l'artiste des musées fait... pour nous. Être parents : c'est tout un art !
Bien. Pour éviter de rendre cette page interminable, je réserve la sublimation des pulsions sexuelles et la conclusion générale pour la page suivante.
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