Théorie psychanalytique de l'inconscient (HLP)
En envisageant le rapport que la découverte de soi pouvait / devait entretenir avec ce qui, en moi, n'est pas le "Moi", nous avons précisé le sens qu'il convenait de donner à la notion "d'inconscient". Parler de l"'Inconscient", ce n'est pas seulement admettre (ce que l'on sait depuis longtemps) qu'il y a en nous (et hors de nous) des choses dont nous ne prenons pas conscience. Je peux percevoir un son dans le monde extérieur (le bruit d'une voiture qui passe) sans en prendre conscience, je peux percevoir les battements de mon coeur sans en prendre conscience, je peux avoir en mémoire ce que j'ai fait hier soir sans en prendre conscience, etc. C'est justement parce que ma conscience ne se focalise que sur quelques éléments que la notion d' "attention" a un sens : être attentif à quelque chose, c'est focaliser ma conscience sur cet élément.
Il y a donc des éléments dont je n'ai pas actuellement conscience. Cela suffit-il à parler de "l'inconscient" ?
Non. Car parler de l'inconscient, c'est faire d'un adjectif (perception inconsciente, souvenir inconscient, etc.) un nom : c'est "substantiver" l'inconscient. C'est donc en faire un tout, un système qui a sa cohérence et son unité : une "substance". C'est donc admettre qu'il y a en moi quelque chose qui a des perceptions, des souvenirs, mais aussi sans doute des désirs ou des valeurs... dont je n'ai pas conscience. Ce qui veut dire qu'il y a en moi une sorte de "moi" inconscient.
C'est ce "moi" inconscient que l'on va appeler, avec Freud, : "l'Inconscient". Et la question se pose alors de savoir comment ce "moi inconscient" coexiste dans le sujet avec le Moi conscient... en particulier : qui contrôle mes actes ? Est-ce le moi conscient ? Ou est-ce le moi inconscient ?
Pour plus de commodité, nous avons avancé l'idée de "moi inconscient" ; mais nous allons maintenant l'écarter, puisque précisément, chez Freud, le "Moi", c'est bien le moi conscient. Mais quel terme utiliser pour parler du moi inconscient ? C'est ici qu'il faut se référer à ce que l'on appelle la "seconde topique" de Freud, une topique étant une représentation spatiale, schématique, de l'esprit humain (que Freud appelle le "psychisme"). On l'appelle "seconde topique", car Freud en a d'abord élaboré une première, fondée sur trois termes : le conscient, le préconscient et l'inconscient. Ce sont les problèmes posés par cette première topique qui l'ont conduit à élaborer la seconde, que nous allons étudier maintenant.
A l'issue du travail effectué sur l'hystérie (et, pour ceux qui auraient lu la page précédente, sur l'interprétation des rêves), nous avons vu que Freud avait élaboré une première "carte" du psychisme humain, que l'on appelle la "première topique", et qui distingue 3 espaces au sein de l'esprit humain : le conscient, le préconscient, l'inconscient.
Cette "première topique" est intéressante, mais elle pose un certain nombre de problèmes. Le premier est le statut de la censure qui produit le refoulement : on sait qu'elle se trouve "entre" l'inconscient et le préconscient, mais on ne sait pas en quoi elle consiste. Les résistances rencontrées au cours de l'analyse des symptômes hystériques et des rêves nous indiquent qu'il s'agit bien d'une force, dotée d'une énergie avec laquelle elle cherche à repousser activement certains contenus psychiques dans l'inconscient. Mais on ne sait pas d'où vient cette force, au nom de quoi elle s'exerce, sur quoi elle porte précisément, comment elle s'est élaborée, etc.
On pourrait dire en suivant Freud que "au commencement était le Ça" : le Ça est l'espace psychique originaire, il est le réservoir initial de toutes les pulsions, et en rapport direct avec le corps. Peut être considéré comme "pulsion" tout ce qui, dans le psychisme, est doté d'une force : n'importe quel désir peut donc être considéré comme pulsion. Le Ça est donc l'espace psychique au sein duquel émergent toutes les pulsions, et une pulsion est toujours constituée de deux éléments. D'un côté, elle est constituée du "quantum d'affect", c'est-à-dire d'une certaine quantité d'énergie psychique (qui fixe l'intensité de la pulsion), et d'un "représentant-représenté", c'est-à-dire d'un ensemble d'images sensorielles qui représentent au sein du psychisme l'objet de la pulsion, et permettent d'identifier la pulsion. Pour illustrer ce point, on pourrait dire que, lorsque l'individu prend conscience d'une pulsion (faim, etc.) lui viennent en tête un certain nombre d'images sensorielles qui correspondent à l'objet de la pulsion...
(Le dessin ci-dessus, intitulé "what's on a man's mind" est probablement le plus connu de tous ceux qui ont été consacrés à la psychanalyse...)
Le Ça est, nous l'avons vu, régi par le "principe de plaisir", c'est-à-dire qu'il ne vise qu'une seule chose : la décharge des énergies pulsionnelles ; car pour Freud, le plaisir EST décharge pulsionnelle, il est le produit d'une réduction d'une tension psychique à 0 (pour reprendre un exemple déjà utilisé, demandez-vous ce qu'est la source du plaisir lorsque vous avez très soif et que vous buvez un verre d'eau ; essayez : il s'agit sans aucun doute de la disparition de la tension...) Le Ça ne connaît ni considérations morales ou sociales, ni calcul stratégique (intérêt à long terme) : il veut la décharge immédiate des pulsions.
Pour les adeptes de Stephen King...
Ce qui nous différencie essentiellement des animaux primitifs, c'est que nous ne sommes pas soumis directement à nos pulsions. Il existe en nous une instance psychique chargée de gérer intelligemment, rationnellement, la décharge des pulsions en fonction des caractéristiques du contexte. Cette instance, c'est le Moi. Le Moi correspond encore à l'espace de la conscience dans la mesure où le travail de gestion des pulsions ne peut s'opérer que si la pulsion elle-même est devenue consciente (je ne peux pas gérer ma pulsion de faim si j'ignore qu'elle existe), et que le travail d'élaboration rationnelle d'un comportement stratégique optimal est l'apanage de la conscience. Par opposition, on peut donc admettre que le Ça reste, quant à lui, inconscient.
Le Moi doit avant tout être considéré comme une instance chargée du "monitoring", de gestion des décharges pulsionnelles en prenant en considération les données de la réalité extérieure. La satisfaction du désir est-elle appropriée ? Doit-elle être retardée ? réprimée ? En un sens, le Moi reste dirigé par le principe de plaisir, puisque c'est bien le plaisir qui reste le but de la gestion. Mais le Moi sait qu'une décharge immédiate, anarchique des pulsions est une très mauvaise chose du point de vue du plaisir : si je me lève à 11 h 30 du cours de philo pour me rendre à la cantine pour satisfaire ma pulsion de faim, je vais me retrouver face à un ensemble de désagréments qui minimisent le plaisir global. C'est ce qui explique que le principe qui régit le Moi soit nommé par Freud : "principe de réalité".
La dernière instance introduite par Freud dans le psychisme humain est le Surmoi. Pour le définir en une formule, le Surmoi est l'instance psychique qui résulte de l'intériorisation par l'individu d'un ensemble de normes (impératifs et interdits) socio-morales. C'est donc lui qui est chargé de déterminer si une pulsion est ou non conforme aux exigences éthiques intériorisées par le sujet. Mais le point décisif est que le Surmoi ne gère pas seulement la décharge effective des pulsions : il détermine également si une pulsion peut, ou non, accéder à la conscience. Le Surmoi est à la frontière entre le Ça et le Moi : c'est donc lui qui, à l'instar de la "censure" de la première topique, décide de l'accès de la pulsion à l'espace du Moi. De ceci découle le caractère bidimensionnel du Surmoi, qui est en partie conscient (on peut alors sans trop de difficultés l'intégrer au "Moi", dont il constituera la part morale : ce sont tous les impératifs que l'individu reconnaît consciemment) et en partie inconscient, refusant l'accès de certains pulsions à la conscience (la censure elle-même restant dès lors inconsciente... du moins en partie, comme nous allons le voir).
Une toile de Carole Dekeyser, intitulée "Surmoi"
L'individu tel que le conçoit Freud est donc à la fois animé de pulsions contraires aux exigences éthiques dont il n'a pas conscience, et habité par une instance morale qui censure ces pulsions avant même qu'elles n'accèdent à la conscience. Une très belle phrase de Freud condense cette ambivalence du sujet de la psychanalyse :
"L'homme moral n'est pas seulement beaucoup plus immoral qu'il ne le croit,
il est aussi beaucoup plus moral qu'il ne le sait."
Bien. Nous avons donc trois possibilités :
a) soit une pulsion issue du Ça se trouve validée par le Surmoi : elle accède à la conscience, et là elle se trouve prise en charge par le Moi, qui après examen considère qu'il est stratégique de la décharger immédiatement : la pulsion est libérée (j'ai faim, je vais manger)
b) soit une pulsion issue du Ça se trouve validée par le Surmoi : elle accède à la conscience, et là elle se trouve prise en charge par le Moi, qui après examen considère qu'il n'est pas rationnel de la décharger immédiatement : la pulsion est alors réprimée. (j'ai faim, mais je reste assis jusqu'à la fin du cours)
c) (c'est évidemment le cas le plus intéressant) la pulsion est censurée par le Surmoi avant d'accéder à la conscience : elle est alors refoulée (je suis un bourgeois du XIX° siècle, et je refuse de prendre conscience de mon homosexualité).
Bien. Mais il ne suffit pas de refouler une pulsion pour la faire disparaître ! Pas plus qu'il ne suffirait de nier l'existence d'une force physique pour qu'elle s'évanouisse. Il se peut que les interdits moraux de mon Surmoi m'interdisent de reconnaître une pulsion : on peut très bien admettre qu'un homme homosexuel du XIX° siècle puisse avoir du mal à "se reconnaître consciemment" homosexuel... devenant ainsi un "homosexuel refoulé". Mais que devient alors la pulsion ?
C'est ici qu'il convient d'être précautionneux : une pulsion a toujours deux parties, comme nous l'avons dit. La partie énergétique (ce que Freud appelle le "quantum d'affect"), qui fait que la pulsion est plus ou moins intense (par exemple, vous avez plus ou moins faim). Et la partie représentative (ce que Freud appelle le "représentant" pulsionnel, voire parfois le "représentant représenté"), constituée de l'ensemble des images sensorielles associées à la pulsion et qui permettent de la reconnaître, de l'identifier.
Or (c'est là la clé de la psychanalyse) le refoulement ne porte que sur le représentant. L'identification de la pulsion peut donc être bloquée avant son accès à la conscience... mais l'énergie pulsionnelle, elle, n'est pas "bloquée" pour autant. Trois voies principales s'offrent alors à elle :
a) soit elle jaillit dans l'espace de la conscience (du Moi) sans représentant : elle est alors pure tension psychique, pur manque, pure frustration non identifiable : ce que Freud appelle "l'angoisse". "Angoisse", une toile de Muriel Rossano (artiste contemporain)
b) soit elle se trouve un représentant de substitution : soit que la tension psychique se trouve réorientée vers un objet ou un animal (ce qu'illustrent les phobies), soit qu'elle se "travestisse" en une pulsion proche (le désir homosexuel devient désir hétérosexuel... compulsif, puisque perpétuellement insatisfait : certains ont posé l'hypothèse d'un Don Juan homosexuel, ce qui est intéressant). c) soit elle se libère sous la forme d'une tension, d'une souffrance corporelle (elle se "somatise", du grec "soma" qui signifie le corps), ce qu'illustrent à leur tour les fameux ulcères à l'estomac. (Freud s'est davantage intéressé à "l'hystérie de conversion", laquelle désigne dans son nom même cette idée de conversion somatique d'une tension psychique.)
L'ensemble des ces voies "alternatives" de décharge constituent ce que Freud appelle : les symptômes de la névrose (symptômes névrotiques). Une névrose, c'est une pathologie psychique issue d'un refoulement d'une pulsion, dont les symptômes traduisent la libération masquée de l'énergie pulsionnelle.
Telle est donc la théorie de l'inconscient à laquelle Freud parvient à travers l'élaboration de la seconde topique :
a) le psychisme humain est composé de trois espaces : le Ça, qui est le réservoir inconscient des pulsions et qui est animé par le principe de plaisir, qui exige la décharge des énergies pulsionnelles ; le Moi, qui est l'espace psychique chargé de gérer la décharge des pulsions en fonction des caractéristiques du contexte, et qui est animé du principe de réalité ; le Surmoi, qui est l'instance formée par l'intériorisation progressive des normes socio-morales, et qui autorise ou non l'accès des pulsions à la conscience : c'est donc lui qui produit le refoulement des pulsions incompatibles avec certaines des normes, conscientes ou inconscientes, qu'il contient.
b) le refoulement ne porte que sur le représentant pulsionnel : le quantum d'affect trouve alors des voies alternatives de libération, qui constituent les symptômes de névrose : l'angoisse (surgissement de l'affect sans représentant), le déplacement (du quantum d'affect vers un représentant de substitution ; ex : phobie), et la conversion somatique (somatisation : libération à travers un trouble corporel). On peut y ajouter toutes les satisfactions déguisées de désirs refoulés : les actes manqués, les rêves, les lapsus...
Si l'on rattache ces deux éléments issus de la seconde topique à la pratique psychanalytique telle qu'elle s'était élaborée à partir de la première topique, on peut ajouter à cette théorie de l'inconscient :
c) la pratique psychanalytique doit viser la levée du refoulement opéré par le Surmoi : la cure doit donc, par le biais des associations libres et de leur interprétation, conduire à l'identification du représentant pulsionnel qui a été refoulé ; ce qui, en mettant fin au refoulement, fera disparaître le symptôme de névrose qui provenait de la libération indirecte de la pulsion refoulée (= retour du refoulé).
Un dessin de Serre sur la psychanalyse, assez intéressant à... interpréter.
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