Psychanalyse = science ? (2)
3) L'inconscient psychanalytique : objections et réponses
Nous l'avons vu, ce qui caractérise l'approche freudienne de l'inconscient est qu'il s'agit pour lui d'une approche scientifique. Le but du scientifique n'est pas de "rendre le patient heureux", socialement efficace/performant où autre chose de ce genre : cela, c'est le rôle des gourous, des maîtres de sagesse ou des "coach". Le but de la psychanalyse est, pour Freud, celui de n'importe quelle science :
a) accroître la connaissance (il s'agit ici de la connaissance que l'homme a du fonctionnement du psychisme, et la connaissance que le patient prend de lui-même).
b) permettre l'élaboration de techniques efficaces, permettant d'agir sur les phénomènes conformément à un objectif qu'on s'est fixé ; la psychanalyse appartenant au domaine médical, sa fonction pratique est donc de guérir (en l'occurrence : les névroses).
Pour comprendre en quoi la psychanalyse peut être considérée comme scientifique, nous nous appuierons sur un texte bien connu, que voici :
« On nous conteste de tous côtés le droit d’admettre un psychique inconscient et de travailler scientifiquement avec cette hypothèse. Nous pouvons répondre à cela que l’hypothèse de l’inconscient est nécessaire et légitime, et que nous possédons de multiples preuves de l’existence de l’inconscient. Elle est nécessaire parce que les données de la conscience sont extrêmement lacunaires ; aussi bien chez l’homme sain que chez le malade, il se produit fréquemment des actes psychiques qui, pour être expliqués, présupposent d’autres actes qui, eux, ne bénéficient pas du témoignage de la conscience (…) ; notre expérience quotidienne la plus personnelle nous met en présence d’idées qui nous viennent sans que nous en connaissions l’origine, et de résultats de pensée dont l’élaboration nous est demeurée cachée. Tous ces actes conscients demeurent incohérents et incompréhensibles si nous nous obstinons à prétendre qu’il faut bien percevoir par la conscience tout ce qui se passe en nous en fait d’actes psychiques ; mais ils s’ordonnent dans un ensemble dont on peut montrer la cohérence, si nous interpolons les actes inconscients inférés. Or nous trouvons dans ce gain de sens et de cohérence une raison, pleinement justifiée, d’aller au-delà de l’expérience immédiate. Et s’il s’avère de plus que nous pouvons fonder sur l’hypothèse de l’inconscient une pratique couronnée de succès, par laquelle nous influençons, conformément à un but donné, le cours des processus conscients, nous aurons acquis, avec succès, une preuve incontestable de l’existence de ce dont nous avons fait l’hypothèse. » (Sigmund Freud, Métapsychologie, 1915)
Bien. Comme nous passerons la semaine prochaine à la méthodologie de la dissertation, j'utilise ce texte pour donner un dernier corrigé d'explication, en suivant les consignes méthodologique. Je commence donc par rappeler les consignes majeures de l'explication de texte, et je l'applique ensuite au texte de Freud.
Rappel : toute explication du texte doit prendre appui sur une introduction fondée sur une structure claire. Présentation du titre de l'oeuvre et de son auteur, puis
a) question du texte (optionnelle) : la psychanalyse est-elle une science (ou, plus précisément ici : l'hypothèse de l'inconscient est-elle une hypothèse scientifique ?)
b) thèse du texte : l'hypothèse de l'inconscient est une hypothèse scientifique valide (version longue : puisqu'elle permet à la fois d'expliquer des phénomènes qui restent incompréhensibles si on ne la pose pas, et qu'elle permet de mettre en oeuvre une technique efficace pour agir sur ces phénomènes.]
c) Plan du texte : _ rappel des objections : l'hypothèse de l'inconscient n'est pas une hypothèse scientifique.
_ première réponse : l'hypothèse de l'inconscient est scientifiquement nécessaire, car elle seule permet de donner un sens et une cohérence à certains phénomènes psychiques. [sous-parties : certains processus sont incompréhensibles si on se limite aux seules données conscientes ; ils devient compréhensibles si on accepte l'hypothèse de l'inconscient]
_ deuxième réponse : l'hypothèse de l'inconscient est scientifiquement légitime, puisqu'on peut construire sur la base de cette hypothèse une technique (la psychanalyse) qui permet d'agir sur les phénomènes conscients (les symptômes de névrose) co,formément à un but donné (les faire disparaître : guérir).
Contenu de l'explication :
_ les expressions-clé doivent être expliquées-définies : "travailler scientifiquement", "nécessaire et légitime", "gain de sens et de cohérence", "interpoler les actes inconscients inférés", "influencer le cours des processus conscients conformément à un but donné", "aller au-delà de l'expérience immédiate", etc.
_ les affirmations-clé du texte doivent être justifiées : pourquoi l'hypothèse de l'inconscient semble-t-elle difficile à considérer comme une hypothèse scientifiquement valide ? en quoi et pourquoi l'hypothèse de l'inconscient permet-elle de donner un sens et une cohérence aux processus psychiques ? En quoi la psychanalyse permet-elle d'influencer les processus conscients ? dans quel but ? etc.
_ l'explication doit prendre appui sur des exemples analysés. Dans le cadre de cette explication, il fallait impérativement prendre un exemple de phénomène psychique qui, si l'on s'en tenait aux données conscientes, paraissait absurde, et qui devenait compréhensible si l'on admettait l'inconscient freudien (refoulement, retour du refoulé, etc.). Nous avons pris ici l'exemple du rêve de Mlle B.
Conclusion :
_ la conclusion doit effectuer la synthèse du cheminement parcouru par l'auteur. Ici, on devait retrouver l'objection initiale, et les deux arguments-clé, qui permettent de justifier la validité scientifique de l'hypothèse de l'inconscient.
_ la conclusion doit tenter de mettre le texte en perspective, en le rattachant soit à une problématique concrète, soit à la pensée d'un autre auteur, soit à un enjeu philosophique plus global. On a choisi ici d'indiquer la manière dont l'intégration de la psychanalyse au domaine scientifique permettait d'élargir sans le trahir le concept même de "science". Beaucoup d'autres mises en perspective étaient évidemment envisageables.
Et, pour finir, n'oubliez pas que toute explication est un travail pédagogique d'explication : il faut donc prendre son temps, détailler l'analyse des exemples, définir précisément les termes, prendre soin des liens logiques entre les phrases, bien montrer le rapport de chaque étape du texte avec sa thèse globale, etc. En philo comme en psychanalyse, "aller vite" est toujours contre-productif.
Mais pas trop quand même... une explication ne peut pas faire la même taille que le texte à expliquer !
Introduction :
Freud, psychiatre autrichien du début du XX° siècle, fut l’inventeur de la psychanalyse, une pratique thérapeutique visant à soigner les névroses, qu’elle interprète comme le résultat d’un refoulement de pulsions au sein du psychisme. Dans son œuvre intitulée Métapsychologie, il cherche à poser les fondements théoriques de la psychanalyse, à en expliquer et articuler les concepts clé. Ce texte porte sur la notion d’inconscient, mais aussi de science : le but de Freud n’est pas ici de nous expliquer ce qu’est l’inconscient, mais de soutenir la thèse selon laquelle l’hypothèse de l’existence de l’inconscient est une hypothèse scientifiquement valide. Le texte s’articule en trois parties principales ; dans la première, Freud rappelle que cette validité scientifique est largement contestée, ce à quoi il oppose sa thèse selon laquelle cette hypothèse est à la fois scientifiquement nécessaire et légitime. Dans la seconde, il explique ce qui justifie, selon lui, la validité théorique de son hypothèse : seule l’hypothèse de l’inconscient permet de comprendre et d’expliquer des phénomènes qui, sans elle, restent inexplicables. Dans la troisième, Freud expose ce qui, selon lui, prouverait la validité pratique de son hypothèse : si la psychanalyse, qui repose sur cette hypothèse, est efficace (si elle permet d’agir sur les phénomènes psychiques pour guérir les névroses), alors cela constitue une raison scientifiquement valable d’admettre la validité de cette hypothèse.
Développement :
Le texte s’ouvre sur un rappel du caractère polémique de l’hypothèse de l’existence de l’inconscient, laquelle est contestée « de tous côtés ». [Le premier de ces « côtés », qui n’intervient pas dans ce texte, est le côté philosophique : nombreux sont les penseurs (comme Alain puis, plus tard, Sartre), qui contesteront l’hypothèse de Freud au nom de la « déresponsabilisation » du sujet à laquelle elle mène. Si la raison de mes actes m’échappe, si je ne suis pas consciemment maître de mes actions, alors je n’ai plus à assumer la responsabilité des actes qui sont les miens. Face à un acte inadmissible, je pourrais répondre : « c’est la faute à mon inconscient — je n’y peux rien… ». Mais ce n’est pas de cet aspect qu’il s’agit ici] : le « côté » dont il s’agit, c’est le côté scientifique. Ce à quoi Freud cherche à répondre dans ce texte, c’est à la critique selon laquelle il n’aurait pas le droit de travailler scientifiquement avec cette hypothèse.
[Première objection]
Qu’est-ce qui, dans la notion « d’inconscient », semble justifier cette objection ? Il semble évident qu’il ne peut y avoir de science que de ce qui est observable : comment travailler scientifiquement avec un objet que personne n’a jamais perçu directement et que, par définition, personne ne percevra jamais ? La recherche scientifique porte sur des phénomènes, c'est-à-dire sur des faits susceptibles de faire l’objet d’expériences, notamment en laboratoire.
--> exemple : on peut faire la science des processus propres au vivant (la biologie), dns la mesure où ces processus (reproduction, croissance, respiration, digestion, photosynthèse, immunité...) peuvent être observés, mesurés, à titre de faits ; mais on ne peut pas faire la science des fantômes, parce que les fantômes échappent à toute observation à toute mesure.
Le fantôme est peut-être un problème religieux... mais ce n'est pas un problème scientifique
Or il est évident que l’on n’isolera jamais l’inconscient par précipitation dans un tube à essai, ou dans un accélérateur de particules : l'inconscient est à jamais "inobservable", du moins de façon directe. Admettre l’hypothèse de l’inconscient comme hypothèse scientifique, c’est donc admettre que la science peut accepter d’aller au-delà de « l’expérience immédiate », de l’observation directe.
Or, pour Freud, tel est bien le cas : même si l’inconscient est à jamais inobservable directement, son hypothèse reste scientifiquement "nécessaire et légitime". Qu’est-ce à dire ? La science a deux fonctions essentielles :
a. la première consiste à expliquer et comprendre rationnellement les phénomènes ;
b. la seconde consiste à les prévoir, ce qui permet d’agir sur eux de façon efficace, conformément à des buts déterminés.
Or tel est précisément ce qu’affirme Freud : l’hypothèse de l’inconscient est scientifiquement nécessaire, parce qu’on en a besoin pour expliquer des phénomènes qui, sans cette hypothèse, demeurent inexplicables. Pourquoi ? C’est ce qu’explique la deuxième partie du texte.
[Première réponse]
Le fait qu'une hypothèse puisse être "scientifiquement valable", même lorsqu'elle implique de reconnaître l'existence d'une chose qu'on ne peut pas "observer", à condition qu'elle permette d'expliquer des phénomènes qui, sans elle, restent inexplicables, est en fait une évidence dans le champ de la science.
-> Exemple : on a reconnu l'existence des atomes bien avant de pouvoir les observer (on peut d'ailleurs dire qu'ils sont, en fait, inobservables), cela n'empêchait pas cette hypothèse d'être scientifique, puisqu'elle permettait de donner une explication rationnelle à des faits qui, sans elle, restaient inexplicables. De même, un trou noir est par définition inobservable : l'hypothèse de leur existence est néanmoins scientifiquement valide, car le fait d'admettre qu'ils existent permettait de donner une explication à des observations qui, sans cette hypothèse, restent inobservables.
Le propre du trou noir... c'est qu'il est invisible par défnition
Pour montrer que l'hypothèse de l'inconscient est scientifiquement valide, Freud, doit donc montrer qu'elle permet de donner une explication rationnelle à des faits qui, sans elle, restent inexplicables.
Le premier constat de Freud est donc qu’il y a des phénomènes psychiques qui restent inexplicables si l'on nie l'existence de l'inconscient. En effet, les « données de notre conscience », c'est-à-dire les contenus psychiques dont nous avons conscience, sont « lacunaires », c'est-à-dire qu’ils sont incomplets : il en manque ! Qu’est-ce qui permet de l’affirmer ? L’explication donnée par Freud est simple : il en manque, parce que nous sommes souvent incapables de passer d’une idée consciente à une autre, nous sommes incapables de retrouver l’origine, la cause de nos idées conscientes. Il y a des « trous » dans les données de la conscience, puisque l’on ne parvient pas toujours à trouver l’idée dont provient l’une de nos idées conscientes. Dès lors, il n’y a que deux solutions : soit on abandonne totalement le projet d’une étude scientifique du psychisme, et l'on admet qu'il peut s'y produire des phénomènes "sans cause", qui ne viennent de nulle part ; soit il faut admettre que les phénomènes psychiques, comme tous les phénomènes, ont toujours une cause... mais que ces causes échappent à la conscience.
Pour Freud ces actes psychiques qui, « pour être expliqués », exigent d’admettre des idées inconscientes, n’ont rien d’actes étranges, rares, pathologiques. Bien au contraire, c’est l’expérience quotidienne de chacun qui les fait apparaître.
Ces actes psychiques dont l’apparition reste inexplicable se retrouvent aussi bien « chez l’homme sain que chez le malade ». Quel est le sens de cette précision ? Dans l’optique de Freud, elle est capitale. Car Freud refuse catégoriquement l’idée selon laquelle l’existence d’un inconscient influençant la conscience serait valable… pour les fous ! Freud s’oppose donc ici à Alain, selon lequel l’inconscient était un « terme technique pour désigner un genre de folie ». Si les processus inconscients peuvent permettre de comprendre des phénomènes pathologiques (névroses), ils ne sont pas en eux-mêmes une pathologie. Ce qui distingue le « malade » de l’homme « sain », ce n’est pas le fait « d’avoir » un inconscient, mais ce qu’il se passe dans l’inconscient.
--> Exemples : Quels sont donc ces actes psychiques que chacun rencontre et qui, pour Freud, sont inexplicables si l’on s’en tient au domaine conscient ? Ce sont, par exemple, les mots et les idées qui nous reviennent soudainement alors qu’on les avait cherchés en vain quelque temps auparavant : comment expliquer cette brusque réminiscence sans admettre une « élaboration cachée », c'est-à-dire une recherche qui s’est poursuivie sans que nous en ayons conscience ? Ce sont aussi les rêves, les lapsus, les "actes manqués"... Si l’on persiste à vouloir admettre que toutes nos pensées sont conscientes, alors il faut admettre que tous ces phénomènes se produisent sans avoir été causés par un autre, qu'ils jaillissent de nulle part, qu'ils ne sont pas le produit logique d'un enchaînement d'idées, bref : ils sont incohérents (il est impossible de les intégrer dans un enchaînement logique d’idées) et incompréhensibles (on ne sait pas pourquoi ils ont lieu).
Au contraire, que se passe-t-il si l’on admet l’hypothèse freudienne de processus psychiques inconscients ? Alors tout s’éclaire : si l’idée resurgit, c’est qu’on a continué de la chercher… mais de manière inconsciente. Si un mot est venu à la place d'un autre, c'est qu'il traduit quelque chose qui correspond à ce que je voulais dire sans en avoir conscience, ou sans vouloir l'avouer (en ce sens, le lapsus devient "révélateur") ; si un rêve (au départ incompréhensible) s'est produit, c'est parce qu'il exprime un désir chassé de la conscience, etc. Si je manque pour la troisième fois un rendez-vous auquel j'avais pourtant décidé de me rendre, c'est qu'il existe en moi un désir inconscient de l'éviter, etc. Tout s’explique.
--> Travaillons sur un exemple précis, donné par Freud dans L’interprétation des rêves. Mlle B fait un rêve dans lequel elle assiste à l’enterrement du deuxième enfant de sa sœur ; dans le rêve, elle ne ressent ni chagrin, ni compassion, mais au contraire une joie étrange. Ce rêve est totalement incompréhensible si l’on s’en tient à ce dont Mlle B est consciente : elle ne ressent aucune agressivité à l’égard de sa sœur (au contraire) ni de son enfant, elle ne souhaite pas du tout la mort de ce dernier, etc.
En revanche, en laissant libre cours à des « associations d’idées » opérées à partir du contenu manifeste de ce rêve, Mlle B parvient à des idées et des désirs qu’elle a de plus en plus de mal à reconnaître. Ainsi, lors de l’enterrement (qui, lui, a vraiment eu lieu) du premier enfant de sa sœur, elle avait rencontré l’homme qu’elle a aimé d’un amour interdit, impossible. En creusant encore, on aboutit (après plusieurs dénégations…) à l’aveu de Mlle B selon lequel elle aime toujours cet homme, et qu’elle désire désespérément le revoir. Mlle B prend conscience de cet amour au fil des associations… car ce désir a été censuré au sein de son espace psychique. Si l’on admet l’hypothèse de l’inconscient freudien, on peut donc admettre qu’il s’agit d’un désir qui a été refoulé, et qui cherche à obtenir une satisfaction déguisée, voilée à travers les rêves de Mlle B. Or une telle hypothèse rend parfaitement compréhensible le rêve en question : en « renouvelant » l’enterrement, ce n’est pas la mort de son filleul que Mlle B reproduit : c’est la rencontre désirée avec l’homme qu’elle aime. La joie qu’elle éprouve n’est pas un plaisir sadique de voir sa sœur plongée dans la détresse : c’est la joie de voir son désir enfin réalisé, de contempler à nouveau cet être qu’elle chérit mais qu’il lui est interdit d’approcher. Bref, en acceptant l’hypothèse de l’inconscient de Freud, on rend cohérent et compréhensible un contenu psychique qui demeurait parfaitement inexplicable si l’on s’en tenait à ce dont Mlle B avait directement conscience ! En plaçant bout à bout les données conscientes (l’enterrement du premier enfant, l’amour passé de l’homme), les données inconscientes que l’on suppose (refoulement du désir actuel de l’homme, tentatives de libération fantasmatique de ce désir) et les nouvelles données conscientes (le contenu manifeste du rêve), on parvient à un ensemble cohérent, logique, compréhensible. On a rétabli la continuité de l’espace psychique, sa « cohérence ».
Mais ce n’est pas tout. Car une hypothèse scientifique ne sert pas seulement à expliquer et à comprendre : elle doit aussi permettre de prévoir et donc d’agir sur les phénomènes conformément à un but déterminé. Une science qui ne sert à rien, qui n'a pas d'utilité pratique, dont on ne peut tirer aucune technique n'est pas vraiment une science. Pour qu'une hypothèse soit pleinement valide d'un point de vue scientifique, il ne suffit donc pas qu'elle nous permette d'expliquer et de comprendre le réel : il faut encore qu'elle nous permette d'agir sur lui de manière efficace.
--> A cet égard, la médecine constitue bien, aux yeux de Freud, la science par excellence. La médecine ne vise en effet pas seulement à nous livrer une connaissance et une compréhension des phénomènes pathologiques : elle doit prendre appui sur cette connaissance pour élaborer des procédés thérapeutiques ; l'aboutissement de la médecine, ce n'est pas le savoir, c'est la guérison des maladies (ou la préservation de la santé). La validité scientifique de la médecine est à la fois théorique et pratique.
C’est très exactement ce que dit Freud à la fin du texte : si l’on parvient à fonder sur l’hypothèse de l’inconscient une pratique efficace, qui permette d’agir sur les phénomènes psychiques conformément à un but prédéterminé, alors cette hypothèse satisfera la seconde exigence scientifique, elle en démontrera la validité pratique. Cette pratique est évidemment la psychanalyse en tant que "cure" analytique : une pratique fondée sur l’hypothèse de l’inconscient, puisqu’elle vise à « lever le refoulement » responsable des symptômes névrotiques, qui cherche à agir sur les phénomènes psychiques conscients conformément à un but donné, puisqu’elle cherche à faire disparaître les symptômes (phobies, angoisses, etc.) dans un but thérapeutique (guérir les névroses).
C'est donc bien la validité pratique de l'hypothèse de l'inconscient que vient prouver l'efficacité thérapeutique de la psychanalyse. Et l'on comprend que représente pour la psychanalyse (en tant que science) le récit des réussites thérapeutiques, à commencer par celui de cette patiente emblématique que fut Anna O.
Conclusion :
Dans ce texte, Freud répond aux critiques cherchant à disqualifier l’hypothèse de l’inconscient en tant qu’hypothèse scientifique, au nom du caractère à jamais inobservable (par une expérience « directe ») de l’inconscient. Pour Freud, ce qui caractérise une hypothèse scientifique, c’est d’abord qu’elle permet de donner une explication rationnelle à des phénomènes qui restent inexpliqués. Or Freud montre que l’on a besoin de l’hypothèse de l’inconscient pour rendre compréhensibles des phénomènes que tout individu rencontre dans sa vie quotidienne, et qui demeurent inexplicables sans cette hypothèse : elle donc scientifiquement nécessaire. Par ailleurs, une hypothèse peut être considérée comme pleinement légitime d’un point de vue scientifique si elle permet d’élaborer des pratiques permettant d’agir efficacement sur les phénomènes. Par conséquent, si la psychanalyse est efficace, c'est-à-dire si elle permet de faire disparaître les symptômes névrotiques, dans la mesure où elle repose sur l’hypothèse de l’inconscient, on pourra admettre que cette hypothèse est scientifiquement légitime. Comme cette dernière condition est satisfaite, on doit alors admettre que l’hypothèse de l’inconscient est scientifiquement valide, à la fois d’un point de vue théorique et d’un point de vue pratique.
L'hypothèse de l'inconscient est donc bien scientifiquement valide. Cela lève-t-il toutes les réserves que l'onn pourrait avoir à son égard ? N'y aurait-il pas d'autres objections possibles, des réticences proprement philosophiques face à la notion d'inconscient ? Pour Freud, non seulement ces réticences existent, mais il s'agit en réalité des véritables objections, qui se cachent derrière des critiques soit-disant scientifiques. Selon lui, ce n'est pas, en vérité, pour des raisons scientifiques que l'hypothèse de l'inconscient soulève des résistances, mais bien pour des raisons "philosophiques". C'est d'ailleurs ce qui permet à Freud de construire son fameux triptyque : Copernic, Darwin, Freud.
Car pour Freud, si l'on s'est, à leur époque, élevé contre la valeur scientifique de leurs théories, ce n'était pas du tout, en réalité, pour des motifs scientifiques ; mais bien parce que ces théories constituaient des "blessures narcissiques", des blessures infligées à l'orgueil humain. Si Copernic a été condamné, c'est parce qu'il délogeait l'homme de sa place centrale dans l'univers, pour en faire le simple habitant d'une planète tournant en rond autour d'un autre astre. Si Darwin a été rejeté, c'est parce qu'il brisait la séparation radicale de l'homme et de l'animal, en en faisant le descendant des entités biologiques les plus primitives. Copernic et Darwin ont donc été violemment critiqués parce que leurs théories étaient blessantes pour l'orgueil humain, détruisaient l'image que l'homme aime à se donner de lui-même.
Et il en va de même pour Freud ; si la psychanalyse suscite des réactions aussi violentes, c'est avant tout parce qu'elle prive l'homme de ce privilège qu'il s'était attribué : celui d'être le seul animal gouverné par sa conscience et sa raison.
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