La découverte (freudienne) de l'inconscient (freudien)
Pour ouvrir la partie du cours consacrée à l'inconscient, nous allons suivre un parcours historique : comment la notion d'inconscient a-t-elle pu s'imposer au sein du champ médical ?
Rappelons d'abord que parler de "l'inconscient", ce n'est pas seulement admettre qu'il y a des parties de notre pensée dont nous n'avons pas toujours conscience (cela, on l'a toujours su : cf : "il y a des arbres dans la cour"...). Et ce n'est pas seulement admettre que ces contenus inconscients peuvent exercer une influence sur notre comportement (comme le montre la logique publicitaire). Parler de "l'inconscient", c'est recourir à un adjectif substantivé, c'est-à-dire faire de l'inconscient une "substance", un tout, un système cohérent régi par des lois. Bref, parler de "l'inconscient", c'est commencer à admettre que ce qui, dans l'homme, est inconscient, commence à ressembler à un "sujet" inconscient. Le problème fondamental que pose la notion d'inconscient, c'est qu'il nous conduit vers l'hypothèse d'un "sujet dans le sujet", d'un "moi dans le moi" qui serait inconscient et qui échapperait au contrôle du sujet... ce qui risque fort de faire imploser l'unité du sujet humain.
C'est ce problème qu'il faut avoir à l'esprit pour bien comprendre certaines des résistances que va rencontrer cette hypothèse dans les champs scientifique et philosophique.
"La face cachée de l'iceberg", sculpture de Héléna Krajewicz
Le paradigme médical au sein duquel s'inscrivent la plupart des médecins du début du XIX° siècle est assez simple [comme tout récit historique, mon récit est avant tout à vocation "pédagogique" : il est donc un peu simplificateur... mais le but n'est pas de savoir, mais de comprendre !] ; on pourrait appeler ce système de pensée : paradigme physicaliste.
Il repose en effet sur l'idée selon laquelle toute pathologie doit avoir une origine, une cause (ce que les médecins appellent une "étiologie") physique corporelle, c'est-à-dire physiologique. Attention : cela ne signifie pas que, pour un médecin de 1800, il n'y a pas de maladie mentale ; cela signifie seulement que, pour ce médecin, une maladie mentale ne peut être considérée comme une "maladie" que parce qu'elle a une cause qui, elle-même, appartient au corps. Il peut donc y avoir des maladies mentales, mais non des causes mentales de maladie [nous saluons ici notre collègue du bâtiment Sud, qui aime beaucoup ce genre de formules : à noter pour le bac blanc].
Un médecin de 1800 serait d'ailleurs bien embarrassé si on lui demandait de décrire ce que pourrait être une "cause" de ce type : existerait-il des "microbes mentaux" ? des "virus spirituels" ? En quoi pourrait consister une "lésion" de l'esprit ? Une lésion du cerveau, oui, d'accord, mais une lésion de l'intelligence ?
Prenons un exemple. Un médecin de 1800 n'aurait eu aucun mal à admettre que Phineas Gage (cf. schéma ci-dessus), célèbre pour avoir vécu l'expérience consistant à avoir le crâne traversé par une barre à mine sans en mourir, ait par la suite été atteint de quelques troubles mentaux (ce qui fut le cas) : une cause physiologique, des effets mentaux, tout va bien. Ce qui aurait été impensable pour ce médecin, c'est une maladie corporelle ayant une origine mentale...
D'où le problème que vont se mettre à poser certaines maladies, qui se caractérisent par le fait qu'on est absolument incapable d'en donner la cause physiologique, corporelle. Ces maladies ne sont d'ailleurs pas seulement des maladies mentales ; elles peuvent être (comble de la stupeur) des pathologies liées à des troubles du corps. Dans les maladies mentales, on va ranger un certain nombre de pathologies, et notamment les névroses. Que signifie "névrose" ?
On doit l'introduction de ce terme en France à l'aliéniste français Philippe Pinel ; pour lui, une névrose, c'est une maladie du système nerveux sans cause organique connue. C'est donc un concept intéressant, qui articule de façon bizarre esprit et corps. Une névrose est bien une maladie, donc c'est bien, d'abord, une maladie du corps. Si elle atteint l'esprit (comme l'épilepsie, par exemple), c'est parce qu'elle est une maladie du support corporel de l'esprit : le système nerveux. Le problème, c'est qu'il est impossible de trouver la cause corporelle de cette maladie. Evidemment, Pinel ne nous dit pas que la cause de ce trouble corporel est une cause mentale. Mais il nous dit tout de même que la cause organique... est invisible.
Robert Fleury, Philippe Pinel à la Salpêtrière (1795) Pour une remise en cause de ce "mythe" pinélien, les plus curieux peuvent se référer à un cours de l'an dernier (que vous trouverez ici.)
Autre type de maladies intéressantes : l'hystérie. La définition des troubles hystériques pose le même problème que celle des névroses, dans la mesure où les troubles hystériques s'apparentent à des troubles corporels... mais sans que la cause habituelle de ces troubles ne soit présente. Un hystérique peut ainsi être paralysé de la jambe gauche, mais sans qu'aucune cause organique n'explique cette paralysie ; il peut souffrir de cécité, alors que ses yeux ont l'air de fonctionner normalement ; il peut avoir des troubles de l'odorat (odeur persistante, etc.) alors que rien, dans ses cavités nasales, ne permet de l'expliquer, etc. Bref, un trouble hystérique se caractérise par le fait qu'il ressemble tout à fait à une maladie X, sauf que la cause organique de cette maladie X... n'est pas là.
On comprend pourquoi les névroses et l'hystérie vont poser problème au paradigme physicaliste. Si toute maladie doit avoir une cause organique, alors, face à une maladie pour laquelle il est impossible de trouver la cause organique.... nous n'avons que deux solutions.
a) soit on admet qu'il y a bien une cause organique, mais qu'on ne l'a pas encore trouvée.
b) soit on admet qu'il n'y en a pas, et dans ce cas il faut admettre qu'en réalité, ce ne sont pas des maladies.
La première hypothèse est évidemment séduisante : elle explique (par exemple) toutes les recherches qui vont être tentées pour trouver dans le cerveau des hystériques des traces de lésion. Si on pouvait montrer que l'hystérie a une cause dans une anomalie du cerveau, le paradigme physicaliste serait sauvé.
Le problème, c'est que l'étude de l'hystérie par un grand médecin français, Jean-Martin CHARCOT, va réduire à néant ce bel espoir physicaliste. Car ce que va montrer Charcot, c'est que les symptômes hystériques peuvent être produits et supprimés, durant l'état d'hypnose, par la seule parole. Or s'il est possible de faire naître et de faire disparaître (même en état d'hypnose,)un trouble hystérique (paralysie, cécité, etc.), il devient extrêmement difficile de dire que ces troubles ont une origine physique.
Sauf à admettre que la parole de Charcot est une parole magique, qui peut faire naître et disparaître, par exemple, des lésions dans le cerveau de ses malades. Or si on a souvent comparé Charcot à un magicien, on a rarement été jusque là... D'autant plus que cette "action" de la parole sur le corps serait difficile à comprendre dans une optique physicaliste ! C'est d'ailleurs ce que l'on reprochera à la psychanalyse : une pratique médicale qui prétend "guérir par la parole" n'est-elle pas nécessairement une pratique... magique ?
Une séance de "présentation" d'une patiente hystérique (sous hypnose) par Charcot ; tableau peint par André Brouillet en 1887.
Deux précisions s'imposent ici. La première concerne l'hypnose. L'hypnose n'est pas une pratique magique ou ésotérique réservée aux chamans ou aux medicine-men du cinéma. Même si on peut admettre que l'on ne sait pas exactement ce en quoi consiste un état hypnotique (état d'inconscience voisin du sommeil ? état de focalisation particulière de la conscience ?), on peut néanmoins admettre qu'il s'agit d'un état modifié de la conscience dans lequel l'individu devient extrêmement sensible aux suggestions de l'hypnotiseur, et que cet état peut être provoqué par un certain nombre de techniques dites "d'induction".
Que nous enseigne le fait que les symptômes hystériques puissent être "créés" et détruits sous hypnose ? C'est l'objet de la seconde remarque. Charcot n'a pas prétendu guérir les patients hystériques : les symptômes réapparaissaient lorsque l'on mettait fin à l'état hypnotique. Ce qu'il a en revanche montré, c'est qu'il était vain de vouloir leur trouver une cause physiologique, corporelle. Puisque l'apparition et la disparition des symptômes hystériques pouvaient être obtenues dans un état dans lequel l'état psychique de l'individu était modifié, et ce par le seul usage de la suggestion hypnotique ("vous ne sentez plus vos jambes, etc."), cela prouve que la cause des symptômes doit elle-même être trouvée du côté du psychisme.
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