Le sujet sans Moi : rappels

IV) L'Homme et le Moi

      A) L'homme contre le Moi

            1) Vérité et objectivité

Avant les vacances, nous avons commencé à établir la façon dont, du XVII° au XVIII° siècle, la célébration de l"humanité" de l'Homme s'était opérée au détriment du "Moi", de l'identité personnelle. Devenir pleinement Homme, pleinement humain, c'était d'abord et avant tout détruire le Moi, la subjectivité, pour s'élever à "l'objectivité" d'un jugement au sein duquel aucune caractéristique personnelle n'était plus prise en compte.

Nous avons d'abord pris appui sur la définition classique de la vérité : la vérité se définit par l'adéquation de la pensée à la réalité. Dans cette optique, la pensée vraie, c'est celle qui est un pur reflet du réel, sans aucune distorsion. L'homme de la vérité, c'est l'homme parfaitement "objectif", celui dont les jugements ne font que refléter, sans aucune torsion subjective (due à ses idées, ses valeurs, ses désirs, ses croyances, ses goûts, etc.), la réalité. C'est "l'homme-miroir", l'homme sans subjectivité, l'homme sans identité personnelle, c'est le pur sujet sans "Moi".

Cerveau — Wikipédia

Nous avons montré en quoi cette conception de la vérité, et donc du savoir, s'articulait à une défiance généralisée à l'égard de tout ce qui constitue le Moi :

     _ défiance à l'égard des sens (liés au corps, toujours susceptibles d'erreur, d'illusion, ou tout au moins d'approximation)

Les illusions d'optiques

Ca bouge ou ça ne bouge pas ?....

     _ défiance à l'égard des sentiments, des émotions, de la sensibilité en général (qui nuisent à la rationalité objective : les passions symbolisent la distorsion du jugement par la sensibilité)

     _ défiance à l'égard de tout intérêt personnel (qui nuit à l'impartialité du jugement)

Le sujet du savoir apparaît ainsi comme un sujet presque sans corps, sans croyances, sans désirs, sans émotions, sans intérêt personnel : encore une fois, un sujet sans Moi.

Ce sujet, c'est le sujet de la science telle que l'envisage le positivisme du 19e siècle ; le positivisme étant le courant de pensée, rattaché à Auguste Comte.

Auguste Comte — Wikipédia

Selon le "positivisme" d'Auguste Comte :

     a. Il n'y a de savoir que fondé sur l'usage par l'homme de ses facultés naturelles (idéal de l'Humanisme de la Renaissance)

     b. La faculté naturelle essentielle de l'homme est sa raison : il n'y a donc de savoir véritable que le savoir rationnel (idéa du rationalisme du XVII° siècle)

     c. Ce qui vaut pour le savoir vaut également pour le domaine de l'action : l'action morale, l'action juste, le système politique légitime sont nécessairement rationnels (une idée qui sera développée au sein du courant des Lumières du XVIII° siècle, notamment par Emmanuel KANT)

     d. Ce qui est rationnel, c'est ce qui est établi par la science. La science étant le savoir fondé sur la démarche expérimentale.

Le propre du positivisme est donc de dire qu'il n'y a de vrai et de juste que ce qui est scientifiquement établi.

Or la science se doit d'être strictement "objective" : l'identité personnelle du scientifique, sa personnalité, son Moi (ses croyances, ses valeurs, ses désirs, ses goûts, etc.) ne doivent jouer aucun rôle dans ses observations, ses hypothèses et ses théories. C'est ce qui apparaît notament dans la conception scientifique de ce qu'est une expérience. Une expérience scientifique, c'est une expérience qui a ceci de particulier qu'elle n'a aucun lien avec l'identité de celui qui l'effectue : n'importe qui doit pouvoir la faire et obtenir le même résultat. Ce qui caractérise l'expérience scientifique, c'est qu'elle est reproductible : un individu quelconque mettant en oeuvre le même protocole expérimental doit parvenir à des résultats identiques.

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Là encore, l'expérience scientifique est donc l'expérience effectuée par un sujet sans identité personnelle : un sujet sans "Moi". Un sujet sans subjectivité, un "sujet objectif". Et comme il n'y a pas de validité autre que scientifique, la recherche de la sagesse est une tentative d'épuration du sujet, qui doit se débarrasser de tout ce qui, en lui, constitue son Moi.

Devenir sage, c'est devenir Homme en cessant d'être un Moi.