Science et religion (1)
I) La dissociation entre savoir scientifique et croyance religieuse
C) Science et religion ne répondent pas aux mêmes questions
Pour que la raison et la religion entrent en conflit, il faudrait (1) que la Révélation et la raison parlent de la même chose (il ne peut y avoir de conflit entre des discours qui n'ont pas le même objet), pour dire des choses opposées (sans quoi il n'y a pas de conflit).
Or, pour Durkheim par exemple, ce « lieu » ne peut être qu’extrêmement restreint, notamment en ce qui concerne les rapports entre la religion et la science. En effet, de quoi parle la science ? La science apporte des réponses aux questions du type : « de quoi est fait le monde ? » (quels en sont les constituants : particules, forces, énergie…) et « quelles sont les lois qui régissent ces éléments ? » (lois de l'astronomie, de la mécanique, de la chimie, etc.) Or, comme le remarque Durkheim, et comme le soulignaient déjà Spinoza ou Galilée, ce n'est pas à ces questions que la religion cherche à répondre, ce n'est pas ce type de réponses que le croyant cherche dans la religion. La religion, elle, répond à d'autres questions, du type : « existe-t-il un, ou plusieurs, dieux ? » et « quel culte doit-on lui/leur vouer ? » ; « pourquoi le monde a-t-il été créé, et par qui ? », « qu'est-ce qui est bien, qu'est-ce qui est mal ? », « y a-t-il une vie après la mort et, si oui, que s'y passe-t-il ? », etc. Telles sont les grandes questions auxquelles la religion cherche à répondre. Or il apparaît très clairement que, de même qu'il est vain – comme le soulignaient Spinoza, Kepler ou Galilée – de lire la Bible comme un traité de physique, il est tout aussi absurde d'exiger de la science qu'elle réponde à ce type de questions. Ce n'est ni par un calcul, ni par des expériences en laboratoire que l'on pourra déterminer s'il faut prier, qui et comment, ou s'il existe une vie après la mort et si les méchants y seront punis.
On peut donc dire que science et religion ne parlent pas de la même chose, puisqu'elles cherchent à répondre à des questions fondamentales séparées. Plus encore, en y répondant...
D) ...elles ne visent pas du tout le même but.
Le but de la science, c'est d'enrichir notre connaissance du monde matériel pour nous permettre d'élaborer des techniques efficaces – et non de nous permettre de faire notre Salut. Inversement, le but fondamental de toute religion est, selon Durkheim, de nous permettre de nous « sauver », de faire notre Salut – et non de nous rendre plus savants ou performants.
Jamais la science ne peut prétendre nous enseigner comment vivre pour franchir la "porte étroite" (formule biblique) le jour du Jugement dernier ; jamais la science ne peut nous enseigner ce qui est bien, ce qui est mal, ce qui est sacré. Mais inversement, la religion ne vise pas à satisfaire notre curiosité, elle ne nous donne pas les clés pour élaborer des techniques efficaces assurant notre emprise sur la nature : ce n'est pas son but.
A l'issue de cet examen, nous pouvons donc dire que la raison (et notamment la science) et la religion font appel à des sources différentes, pour répondre à des questions séparées, dans des buts radicalement distincts. En ce sens, parler d'un « conflit » entre raison et religion s'apparente au fait d'établir un « conflit » entre la parole du poète et celle du mathématicien : dans la mesure où il s'agit d'espaces de discours qui sont fondamentalement étrangers l'un à l'autre, qui ne parlent pas de la même chose, tout « conflit » devient très problématique. Plus précisément, ce « conflit » ne pourra apparaître que si l'un ou l'autre des discours tend à sortir du champ qui lui est propre : si le discours religieux prétend répondre à des questions qui ne sont pas les siennes (questions de physique, de chimie, d'astronomie, etc.) ou si, inversement, la science prétend répondre à des questions qui ne sont pas des questions scientifiques (y a-t-il une vie après la mort, etc.) On pourrait donc dire qu'il ne peut y avoir conflit entre raison et religion que si l'une d'entre elles entre en conflit avec sa propre nature.
Mais cette hétérogénéité des discours scientifiques et religieux implique-t-elle l'absence de relation entre les deux ? Y a-t-il simplement « juxtaposition » des discours rationnels et religieux, ou est-il possible de les articuler ?
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