Ricoeur langage et démocratie

Paul Ricoeur, à la croisée des chemins philosophiques, politiques et  théologiques - rennes.catholique.fr

Paul RICOEUR

La première conquête des démocraties, c’est la constitution d’un espace public de discussion, avec son corollaire obligé : la liberté d’expression, dont fait partie la liberté de publier, au sens usuel du terme, impliquant la presse, les livres et l’ensemble des grands moyens de communication.

Dans cet espace public s’affrontent des courants d’opinion plus ou moins organisés en partis. Cet affrontement met en jeu la seconde notion pour notre réflexion sur le langage, à savoir l’articulation entre consensus et conflit. Loin de s’opposer, ces deux notions s’appellent mutuellement et se complètent.

D’un côté, une démocratie n’est pas un régime politique sans conflit, mais un régime dans lequel ces conflits donnent lieu à des discussions, à des débats dont l'organisation (le déroulement, les aboutissements) font l'objet d'un accord collectif. Car comment négocier les conflits sans accord sur la règle du jeu commune ? Eliminer les conflits — de classes, de générations, de sexes, de goûts culturels, d’opinions morales et de convictions religieuses — est une idée chimérique. Dans une société de plus en plus complexe, les conflits ne diminuent pas en nombre et en gravité, mais se multiplient et s’approfondissent. L’essentiel, comme on l’a suggéré, est qu’ils s’expriment publiquement et qu’il existe des règles pour les négocier. C’est ici que le conflit appelle le consensus (qui sera la solution négociée du conflit), autant que le consensus rend possible la négociation (qui permet de trouver une solution au conflit).

Le langage politique fonctionne au mieux dans les démocraties occidentales modernes comme un langage qui confronte des prétentions rivales et qui contribue à la formation d’une décision commune. C’est donc à la fois un langage conflictuel et consensuel.

Paul RICOEUR, Langage politique et rhétorique (1990)