Socrate 1

C) La critique philosophique de la sophistique : Socrate et Platon

      1) Que sont les "philosophes" ?

Nous nous tournons maintenant vers le courant qui va s'opposer radicalement au mouvement sophistique : le courant philosophique. Pour comprendre l'opposition entre philosophie et sophistique, il est nécessaire de repartir de ce qui constitue le projet initial de ce nouveau domaine que l'on va appeler « philosophie ». On considère souvent que le « premier philosophe » de l'histoire occidentale est SOCRATE, ce citoyen athénien du V° siècle av. J-C. De fait, si l'on considère la liste des philosophes du programme de terminale, on voit que le premier philosophe dans l'ordre historique est PLATON : or Platon fut le principal disciple de Socrate. Et si Socrate n'est pas lui-même le premier philosophe de la liste, c'est tout simplement parce qu'il s'agit d'une liste d'auteurs, et que Socrate lui-même... n'a rien écrit.

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Socrate

Comprendre ce qu'est la « philosophie », c'est donc comprendre en quoi consiste la rupture opérée par Socrate : qu'est-ce qui apparaît avec lui, quelle est la démarche qu'il a introduite dans l'histoire ?

Le principe fondamental de la démarche socratique est que l'homme doit fonder ses jugements et son action sur des justifications rationnelles. En d'autres termes, pour déterminer ce qui est vrai, ce qui est juste (ce qu'il doit penser, ce qu'il doit faire), l'homme doit faire usage de la faculté inscrite dans sa nature, celle qui le différencie de tous les animaux et le caractérise en tant qu'être humain : la raison. Ce qui définit donc la démarche « philosophique », c'est la recherche de la sagesse (sophia) par l'usage de la raison.

C'est cette démarche que l'on retrouve encore, plus de 20 siècles plus tard, dans l'Humanisme de la Renaissance, puis dans la philosophie des Lumières : le principe fondamental de toute la pensée des Lumières, c'est que l'homme, pour déterminer ce qui est vrai et ce qui est juste, pour savoir ce qu'il doit penser et ce qu'il doit faire, doit suivre ce que lui dictent ses facultés naturelles, c'est-à-dire avant tout : sa raison.

        2) Socrate : le plus sage des hommes ?

Un proche de Socrate (Chéréphon) qui avait consulté l'oracle de Delphes, s'était entendu répondre par l'oracle que « nul n'est plus sage que Socrate ».

Informé de la sentence de l'oracle, Socrate s'était montré perplexe : comment diable pouvait-il être désigné par l'oracle comme le plus sage des hommes... alors qu'il n'était savant dans aucun domaine ? Ayant entrepris de « vérifier » la parole de l'oracle, Socrate était allé trouver des Athéniens supposés détenir un grand savoir (leur conférant une autorité) ; or ces entretiens révèlent que leur prétendu savoir... n'est en fait qu'une apparence. Ce que montrent les dialogues menés par Socrate, tels que Platon les relate, c'est que ces prétendus « experts » sont en fait incapables de justifier leurs jugements par de véritables arguments et que, pire encore, ils ne sont même pas capables de définir ce qui constitue l'objet de leur savoir.

L'homme politique a bien du mal à déterminer ce sur quoi porte son « savoir », et se montre incapable de définir en quoi consiste ce sur quoi il se prétend pourtant savant : la justice.

De même, le chef d'armée se montrera incapable de définir le courage.

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Et le sophiste, lui, s'empêtrera dans des contradictions sans fin lorsqu'il cherche à définir la rhétorique, etc.

Si l'on ajoute à cela le fait que Socrate menait principalement ses entretiens sur l'agora, en public, on comprend alors le caractère assez subversif de sa démarche ; le propre du dialogue socratique, dans sa forme initiale, c'est de montrer que les détenteurs d'une autorité (politique ou autre) fondée sur un savoir... sont en fait loin d'être aussi savants qu'on ne le croit, et qu'ils ne le croient ; et que, donc, leur autorité est bien moins fondée qu'on ne le suppose.

En ce sens, l'oracle se trouve bel et bien vérifié. Si « nul n'est plus sage que Socrate », ce n'est pas parce que Socrate lui-même serait savant ; mais bien parce que ceux qui se croient savants (et que l'on considère comme tels)... sont en fait loin de l'être. De sorte qu'il se trouvent en fait être ignorants deux fois : non seulement ils ne savent pas, mais ils ne savent même pas qu'ils ne savent pas : ils croient savoir ce que, en réalité, ils ignorent. Socrate n'est certes pas savant : mais il ne croit pas non plus l'être ; il sait... qu'il ne sait pas.

     3) Le procès de Socrate

Pour comprendre en quoi cette attitude s'oppose à la démarche des Sophistes, et en quoi elle aboutit à un rejet radical de la rhétorique, nous prenons appui sur un événement qui s'est effectivement produit au tournant du V°-IV° siècle av. J-C à Athènes : le procès de Socrate.

Dans les dialogues rédigés par Platon (dialogues qui sont généralement des récits d'entretiens que Socrate aurait eus avec différents interlocuteurs), trois sont consacrés à la fin de la vie de Socrate : le premier, auquel nous allons nous intéresser, relate les propos tenus par Socrate lors de son procès : c'est « L'apologie de Socrate ». Le second raconte un entretien que Socrate aurait eu après sa condamnation, alors qu'il se trouvait en prison, avec un dénommé Criton (qui donne son nom au dialogue). Le troisième est consacré à la mort de Socrate : c'est le « Phédon ».

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"La mort de Socrate", par le peintre DAVID (1787)

Socrate a en effet été accusé par plusieurs personnages d'Athènes (dont Mélitos) (

     1) d'impiété (de ne pas croire dans les dieux de la Cité, et de croire en de nouveaux dieux)

     (2) de corruption de la jeunesse.

Ces deux accusations sont très graves, car elles mettent en jeu les fondements de l'harmonie sociale. L'accusation peut donc réclamer la peine de mort.

Déroulement du procès : comme l'accusation lancée contre Socrate est une accusation publique (Socrate est accusé de porter atteinte à l'intérêt général de la Cité), le tribunal est composé d'un jury imposant (501 personnes). Le procès se déroule en trois phases :

     1) l'accusation plaide, puis l'accusé plaide à son tour

→ Le tribunal se réunit pour décider si l'accusation est retenue ou non (Socrate est-il ou non coupable?)

Remarque : si l'accusation n'obtient pas un nombre suffisant de suffrages, c'est elle qui peut être condamnée.

     2) l'accusation propose une peine, puis l'accusé propose une peine

→ Le tribunal se réunit, et il doit choisir entre l'une des deux peines : aucune peine alternative n'est possible.

     3) (cette phase n'est pas nécessaire) la parole est laissée une dernière fois à l'accusé, sans conséquences pour la peine retenue.

L'Apologie de Socrate restitue les propos tenus par Socrate (nous n'avons donc accès qu'aux passages soulignés dans ce qui précède), accompagnés des réponses données par Mélitos lorsqu'il l'interroge. D'où le nom de l’œuvre : une « apologie » est un discours judiciaire de défense.