Astronomie et théologie
Nous avons vu la dernière fois en quoi la révolution astronomique avait redéfini les rapports entre la religion et la science ; le scientifique est désormais celui à qui il revient de dévoiler les lois que Dieu lui-même a prescrites à la nature, et qui sont des lois mathématiques ; le scientifique doit donc interpréter le "Livre de la Nature", comme le théologien doit interpréter la Bible. Tous deux sont des interprètes de la parole de Dieu : car les lois de la nature et les versets de la Bible sont deux modes d'expression du Verbe divin.
Nous allons voir à présent en quoi cette redéfinition des rapports entre la science et la religion conduit à modifier l'image que l'on se fait de Dieu lui-même. Car le regard que l'on porte sur la Nature (sur la Création) rétroagit sur l'image que l'on se fait du Créateur.
Dieu comme architecte : une toile de William Blake (1794)
La révolution astronomique n'a pas ébranlé le moins du monde la foi de ces penseurs en un Dieu créateur. Comme le dira encore Voltaire, si le monde est une immense horloge... il témoigne de l'existence d'un horloger. Si le monde était un chaos confus, on pourrait penser qu'il est l'oeuvre du hasard ; mais pour concevoir et produire un monde aussi parfaitement ordonné, il a fallu un Dieu qui soit le plus parfait des mathématiciens, le plus parfait des ingénieurs.
La mathématisation de l'Univers ne conduit donc pas (du tout) à l'évacuation de Dieu ; mais elle induit, ou traduit un changement profond dans l'image que l'on se fait de ce Créateur. Le Dieu de Galilée, de Kepler ou de Newton n'est plus un Dieu de force et de volonté, qui passerait son temps à intervenir (par exemple par des miracles) dans la Création. C'est un Dieu sage, dont la Sagesse est (par définition) indissociable de son caractère rationnel. C'est un Dieu mathématicien, un Dieu ingénieur, un Dieu horloger : c'est ce que l'on appelle le "dieu des philosophes". La tâche de l'homme est bien de discerner la Volonté de Dieu, de parfaire sa connaissance du Créateur : mes justement, c'est en étudiant la Création que l'homme mettra en lumière et témoignera de la Sagesse du Créateur, et les volontés de Dieu s'incarnent avant tout dans les "lois de la nature", qui sont les lois que Dieu a prescrites à l'Univers.
On aboutit ainsi à une idée très importante : en faisant des sciences, en faisant apparaître les lois de la nature, en retrouvant les équations qui régissent l'Univers, on ne s'éloigne pas du tout de la croyance en Dieu, on ne la met aucunement en cause ; au contraire : plus on montre que l'Univers est un système rationnel et harmonieux, plus on démontre qu'il est l'oeuvre d'un Dieu rationnel. Ce qui manifeste la présence de Dieu dans l'Univers, ce ne sont pas des miracles qui viendraient violer les lois de la nature (que la science dévoile) : ce sont ces lois elles-mêmes. Si Dieu se manifeste "dans" sa Création, ce n'est pas parce qu'il viendrait y faire des interventions intempestives : c'est parce que, justement, il n'a nul besoin de le faire, ayant conçu et créé dès le départ une mécanique parfaite, qui n'a aucunement besoin d'être "rectifiée" à tout bout de champ, en violant les lois de la nature ! Le bon horloger, ce n'est pas celui qui doit intervenir régulièrement pour remonter sa montre, corriger un écart, réparer un rouage : c'est celui qui a créé dès le départ une montre si parfaite qu'il peut la laisser ensuite fonctionner toute seule.
Fort bien. Mais, si c'est au scientifique que revient la tâche de discerner la sagesse et la volonté du Créateur... que devient l'Eglise ? Si les décrets divins sont des lois mathématiques, avons-nous encore besoin de la Bible (et des autorités religieuses) pour les connaître ?
Il faut ici avancer avec précaution. Car si les lois de la nature sont des expressions de la Volonté divine, si les équations formulent les règles que Dieu a prescrites à la nature... il ne s'ensuit pas que les lois de la nature épuisent ces prescriptions. Dieu a bel et bien imposé des lois à la nature, les lois naturelles, que le scientifique doit retrouver en leur donnant une formulation mtathématique. Mais Dieu a aussi imposé d'autres lois, qui n'ont rien de commun avec les précédentes : il s'agit notamment des lois morales. Dieu a formulé un ensemble de commandements, que l'homme doit suivre pour conduire sa vie. Or de ces commandements, la science n'a rien à nous dire, ou très peu. La science peut dévoiler ce que sont les lois qui régissent les phénomènes, elle ne peut pas nous dire comment nous devons vivre. La science découvre les lois de la physique, pas les lois morales.
C'est ce qui explique que, à côté de la Création, l'homme doit également étudier la Parole de Dieu, telle que nous la délivrent les Ecritures, comme la Bible et les Evangiles (pour les chrétiens). Dieu se manifeste à nous par sa Création, mais il se révèle à nous par sa Parole. Pour savoir comment nous devons vivre, pour connaître les commandements de Dieu, il faut s'en remettre à la Révélation. L'étude de la Création peut nous dévoiler la loi de la gravitation universelle : mais c'est l'étude de la Bible qui nous révélera l'impératif moral de la charité, de l'amour du prochain.
Pour Spinoza (philosophe du XVII° siècle), la Bible nous enseigne avant tout la justice et la charité
De sorte que, dans l'esprit de Galilée, de Kepler ou de Newton, la science ne remplace pas du tout la religion. Il faut plutôt opérer un "partage du travail" : d'un côté, la science doit découvrir les lois qui régissent la Nature ; de l'autre, l'étude de la Parole de Dieu doit nous enseigner ses commandements. Lois naturelles et commandements divins sont les unes et les autres des volontés divines ; mais ils ne se manifestent pas à nous de la même manière. L'étude des premières est l'oeuvre du scientifique ; celle des seconds est l'oeuvre du théologien. La première requiert la raison (car on ne peut découvrir les lois mathématiques qui régissent l'univers sans la raison) ; la seconde exige la foi (car on ne peut comprendre la Parole de Dieu sans la foi).
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