Episode 5 : Galilée

  Fichier:Justus Sustermans - Portrait of Galileo Galilei, 1636.jpg ...

Portrait de Galilée, par Justus Sustermans (1636)

Nous poursuivons notre exposition du volet "scientifique" de la Révolution astronomique avec un personnage fameux : Galilée.

En ce qui concerne Galilée, il s'agit sans doute du penseur dont le nom est le plus "connu" du grand public ; les raisons de ce succès viennent sans doute du rôle que les historiens lui feront jouer par la suite dans le récit de la révolution astronomique, qui prendra rapidement la forme d'un mythe. Dans ce mythe, Galilée joue le plus souvent le rôle du "héros de la science", en proie aux persécutions d'un ordre religieux réactionnaire. Galilée est ainsi allé rejoindre, à côté de Giordano Bruno, le Panthéon des "martyrs de la science", en proie aux foudres de "l'obscurantisme" religieux. Nous reviendrons sur cette question dans la séquence suivante. Pour le moment, ce qui nous intéresse est le rôle que Galilée a pu jouer dans l'histoire de la science astronomique. Et, de ce point de vue, un examen attentif conduit d'abord à mettre à mort un certain nombres de croyances, que résume très bien le passage suivant du livre qu'Arthur Koestler a consacré à l'histoire de l'astronomie ("Les Somnambules") :

"Dans la mythologie rationaliste, il devient la Pucelle d'Orléans [Jeanne d'Arc] de la Science, le saint Georges qui terrassa le dragon de l'Inquisition. Il n'est donc guère surprenant que la gloire de cet homme de génie repose surtout sur des découvertes qu'il n'a jamais faites, et sur des exploits qu'il n'a jamais accomplis. Contrairement aux affirmations de nombreux manuels, même récents, d'histoire des sciences, Galilée n'a pas inventé le télescope. Ni le microscope. Ni le thermomètre. Ni l'horloge à balancier. Il n'a pas découvert la loi d'inertie ; ni le parallélogramme de forces ou de mouvements ; ni les taches du Soleil. Il n'a apporté aucune contribution à l'astronomie théorique ; il n'a pas laissé tomber de poids du haut de la Tour de Pise; et il n'a pas démontré la vérité du système de Copernic. Il n'a pas été torturé par l'Inquisition, il n'a point langui dans ses cachots, il n'a pas dit eppur si muove ["et pourtant, elle tourne"] ; il n'a pas été un martyr de la science."

Résultat de recherche d'images pour "Galilée"

Il a l'air décu...

Ceci suffit à remettre en cause l'apport théorique de Galilée à l'histoire de l'astronomie ; mais cela n'implique pas qu'il faille le mettre au rebut dans l'histoire de la science, comme l'indique la phrase suivante :

"Ce qu'il fit, ce fut de fonder la dynamique, et cela suffit à le mettre au rang des hommes qui façonnèrent notre destin."

Résultat de recherche d'images pour "procès de galilée"

Le procès de Galilée...(vu par Joseph-Nicolas Robert-Fleury)

Donc : Galilée n'est pas un martyr de l'astronomie, mais c'est bel et bien un héros de la science, et plus particulièrement de la physique.

En fait, il faut distinguer deux domaines dans ce que dit Koestler. Le premier regroupe les découvertes dont Galilée ne fut pas l'inventeur, mais à l'égard desquelles il a bien joué un rôle. C'est vrai : Galilée n'a pas "inventé" la lunette astronomique ; et l'on peut même dire que, contrairement à ce qu'il laisse entendre, il n'a jamais réellement compris comment elle fonctionnait : il n'en a pas construit la théorie. Celui qui construira la théorie optique qui permet d'expliquer et de comprendre comment fonctionne un télescope, comment il marche et pourquoi il marche... c'est (encore !) Kepler.

La Dioptrique et Kepler | Cairn.info

Mais. Même si Galilée n'a pas inventé la lunette, et même s'il n'est pas le premier à s'en être servi pour observer le ciel (et s'il n'est pas le premier à avoir découvert des tâches sur le Soleil), il est néanmoins celui qui, grâce à ladite lunette, fera des observation très importantes pour l'histoire de l'Astronomie : en particulier la découverte des lunes de Jupiter, qui clôture son oeuvre intitulée : Le Messager des Etoiles.

Galilée a donc bien apporté une contribution essentielle à l'histoire des observations atronomiques ; et ses observations ont bel et bien contribué à affaiblir encore plus la vision du monde de Ptolémée : d'une part en confirmant l'éloignement des étoiles et des planètes, d'autre part en montrant que le nombre des astres dépasse infiniment celui des astres visibles à l'oeil nu (il montre que la "voie lactée" est constituée d'une myriade d'étoiles), et enfin en montrant qu'il existe de véritables analogies entre le système solaire (et ses six planètes) et les astres plus éloignés. Dans l'Univers, tout semble se passer de la même façon, et pour des corps qui se ressembent. Chez Galilée, La terre devient une planète comme les autres (Jupiter aussi à une Lune... il en a même plusieurs !) et le Soleil, lui perd son statut divin (il a des taches... comme la Lune, d'ailleurs). Dans l'univers de Copernic, il n'y a plus de "hiérarchie" des astres : il y a des corps solides, en mouvement dans le vide.

Lune-Galilee.PNG

Les dessins de Galilée : la Lune a indubitablement des cratères... comme la Terre

On peut d'ailleurs accorder le fait que, en montrant que Jupiter tournait autour du soleil en ayant lui-même des lunes qui tournaient autour de lui, il a apporté une contribution solide à l'hypothèse selon laquelle il pourrait en être de même... pour la terre.

Jupiter-satellites-copie-1.PNG

Les observations de Galilée (à gauche) confrontées aux données actuelles concernant les Lunes de Jupiter

Galilée a donc apporté une contribtion non négligeable à l'idée d'immensité de l'Univers, ainsi qu'à celle de son homogénéité (ce qu'il se passe dans les étoiles n'est pas si différent de ce qu'il se passe pour la terre, le Soleil est un astre comme les autres). L'univers de Galilée devient immense et homogène : nous nous rapprochons donc de l'idée d'un 'espace infini".

Reste que, en ce qui concerne la théorie astronomique, Galilée restera très en dessous de Kepler : il a maintenu l'idée des trajectoires circulaires (il n'a fait aucun cas de la théorie keplérienne des orbites elliptiques), il a donné une explication fausse des marées. Et, de fait, il n'a jamais donné de démonstration rigoureuse du mouvement de la terre.

C'est vrai... mais. S'il n'a pas brillé dans son explication du mouvement des astres, Galilée a joué un rôle fondamental dans l'explication des mouvements sur Terre. Nous n'entrerons pas ici dans le détail de la physique galiléenne, mais nous en retiendrons cependant que la théorie physique de Galilée permet de répondre à une très vieille objection élevée contre l'héliocentrisme : si la Terre est en mouvement... comment se fait-il qu'un corps qui tombe, tombe verticalement, à nos pieds, au lieu de subir le décalage que devrait provoquer notre mouvement ?

[Le passage qui suit n'est pas nécessaire à la compréhension de la révolution astronomique ; il peut présenter quelques difficultés aux élèves qui ne seraient pas familiariés avec les sciences physiques. Ceux qui seraient rebutés par la physique peuvent sauter directement à la conclusion : fin des crochets. Poir les autres, il peut être souhaitable de présenter brièvement en quoi la physique terrestre de Galilée peut aider à répondre à des objections portant sur la physique céleste ; car c'est sur ces analyses que Newton s'appuiera pour construire son système.

Pour reprendre l'expérience fameuse (imaginaire, mais ce n'est pas grave) : si on lâche un poids depuis le haut de la Tour de Pise, et que la Tour est en mouvement (elle suit évidemment le mouvement de la Terre), comment se fait-il que le poids tombe à la verticale du point de chute, sans aucun décalage ?

La Tour de Pise

C'est ici qu'intervient la physique de Galilée. Galilée va en effet montrer que le mouvement qui anime un corps est en fait la résultante, le "composé" de l'ensemble des forces qui agissent sur lui.

Si je bouge latéralement avec une pomme, quand je lâche la pomme, je lui ai communiqué un certain mouvement latéral ; ainsi, si je bouge latéralement mon bras à grande vitesse, et que je lâche la pomme... cela s'appelle "jeter" la pomme. Le mouvement du bras a soumis la pomme à une "force orientée", et la pomme va donc poursuivre son mouvement latéral... jusqu'à ce qu'elle touche le sol.

Et si elle tombe, c'est qu'une autre force agit sur elle, qui la "tire" vers le bas. Le mouvement de la pomme est donc le composé de deux mouvements : un mouvement latéral (dû au bras), et mouvement vers le bas (dû à l'attraction terrestre). Le mouvement latéral ne change pas : de fait, si on suit l'ombre de la pomme sur le sol (en supposant qu'il soit midi), elle ira toujours à la même vitesse. C'est normal : le bras a communiqué à la pomme un certain mouvement latéral, et il n'intervient plus par la suite. Le mouvement latéral reste identique. En revanche le mouvement vers le bas s'accélère : car la terre continue à chaque instant à attirer la pomme... qui va donc de plus en plus vite.

Le mouvement de la pomme est donc le composé de deux mouvements : un mouvement latéral qui ne change pas, et un mouvement vers le bas qui s'accélère. En termes mathématiques, la trajectoire qui en résulte est une trajectoire parabolique.

Images des mathématiques

Ce qui nous intéresse ici, c'est que la pomme que je lâche en étant en mouvement (par exemple : en courant vers la gauche) sera elle aussi en mouvement vers la gauche, dans sa chute. Il est donc logique qu'elle tombe "à mes pieds". Pour prendre une autre image, si un marin monte en haut du mât d'un navire en mouvement et laisse tomber un poids, la trajectoire du poids sera animée d'un double mouvement : un mouvement vers le bas, et un mouvement latéral que le bateau lui a imprimé (par l'intermédiaire du marin). Du point de vue du marin, le poids est tombé verticalement (puisque lui et le poids sont animés du même mouvement latéral) ; mais du point de vue d'un marin resté à quai, la trajectoire du poids sera parabolique.

En résumé, ce que montre Galilée, c'est qu'il n'y a pas de différence théorique entre la trajectoire d'une pomme que je lance, et la trajectoire d'une pomme que je lâche en étant en mouvement : c'est exactement la même chose. La seule différence, c'est que dans le premier cas la pomme et moi n'avons pas le même mouvement (il n'y a que mon bras qui bouge, le reste de mon corps reste sur place) : la pomme s'éloigne donc de moi ; alors que dans le second la pomme et moi sommes animés du même mouvement latéral : nous ne nous éloignons donc pas l'un de l'autre.]

Il est donc logique qu'un corps tombe aux pieds de la tour, même si cette tour est en mouvement ; c'est-à-dire : même si cette tour est située sur un corps en mouvement (la Terre). Le fait que les objets nous semblent tomber "à la verticale" n'est donc pas une objection au fait que la Terre bouge.

Est-ce que cela prouve le mouvement de la Terre ? Non. cela prouve seulement que si la Terre bougeait, les corps continueraient à tomber "à la verticale", pour un observateur situé sur la terre. Mais ils tomberaient aussi verticalement si la terre était imobile. Galilée a répondu à une objection contre Copernic : il n'a pas démontré que Copernic avait raison. Cette précision est importante ; car les opposants (religieux) à Galilée ont souvent affirmé qu'ils auraient accepté d'envisager la nécessité de réinterpréter les passages bibliques relatifs au mouvement du soleil... si le mouvement de la terre avait été scientifiquement prouvé. Or, cette preuve, Galilée ne l'a pas donnée.

En revanche, il a bel et bien construit une physique (terrestre), tout en renforçant l'idée d'un univers immense et homogène. De là, en s'appuyant sur les lois de Kepler, on peut passer assez facilement (enfin, à condition d'être Newton, évidemment) à l'idée d'une mécanique universelle (valant à la fois pour le mouvement des corps sur terre, et pour le mouvement des astres dans l'univers), soumettant l'ensemble des corps à des lois mathématiques s'appliquant au sein d'un espace infini...