Episode 2 : Copernic

Biographie de Nicolas Copernic

Nous avons vu à la séquence précédente en quoi consistait la représentation de l'Univers à l'orée du XVI° siècle. Que s'est-il donc passé ensuite ? En quoi a consisté la "révolution" astronomique, et en quoi traduit-elle une transformation de la vision du monde ?

Le personnage incontournable, à l'origine de la "révolution" astronomique, est évidemment un chanoine polonais du XVI° : Nicolas COPERNIC. Nous allons voir que, finalement, le système de Copernic est resté très proche du système de Ptolémée, et que lui-même n'a adopté aucune des conséquences logiques que ses successeurs tireront de sa principale thèse ; ce qui fait son importance, c'est donc bien le fait d'avoir adopté cette idée révolutionnaire selon laquelle le centre de l'Univers n'est pas la terre, mais le soleil. La grande rupture copernicienne, le point de départ de la révolution astronomique, c'est ce déplacement du système; son décentrement. L'image du monde devient une image héliocentrique.

Nous allons voir que cette "révolution" est assez particulière. Au sens strict, une "révolution", c'est le parcours circulaire d'une chose autour d'une autre chose ; ici, la révolution est radicale, puisque c'est le principe du mouvement qui est inversé : au lieu que ce soit le soleil qui opère une "révolution" autour de la terre, c'est désormais la Terre qui opère sa "révolution" autour du soleil.

D'un autre côté, il peut sembler que cela... ne change pas grand chose. Si je prends un citron et une orange, et que je fais tourner le citron autour de l'orange... puis j'immobilise le citron, et je fais tourner l'orange. Qu'est-ce que cela change vraiment (faites l'expérience) ? Il suffit d'essayer de faire tourner les deux en même temps (mouvement de "moulinette") pour voir qu'en vérité, les différences ne semblent pas fondamentales...

Et pourtant, cela change beaucoup de choses. Cela signifie d'abord que l'on change de point de vue sur le soleil, qui devient maintenant le véritable "centre du monde". C'est d'ailleurs principalement pour cette raison que Copernic a opté pour un système héliocentrique ; le soleil est la "Source de Lumière", la source de chaleur et (donc) la source de Vie. En cela, il apparaît bien comme l'astre "divin" par excellence ; et puisque nous parlons de Dieu, et que Dieu commence de plus en plus à apparaître comme une figure de la sagesse et de la rationalité (nous y reviendrons), il serait vraiment curieux qu'Il n'ait pas choisi de placer cette "lampe du monde" qu'est le soleil en plein centre de sa Création. Lisons Copernic :

Au centre de tout réside le soleil. Qui, en effet, dans ce temple splendide (l’univers), pourrait placer ce grand luminaire en un lieu autre ou meilleur que celui d’où il peut tout illuminer à la fois ? Ainsi ce n’est pas improprement que certains l’appellent la lampe du monde, d’autres son esprit, d’autres son recteur. Trismégiste l’appelle dieu visible…

Copernic, Des révolutions des sphères célestes, 1530

On trouvera d'ailleurs des passages assez similaires chez les successeurs de Copernic, et notamment chez Kepler. Ainsi :

De même donc que la source de la lumière se trouve dans le Soleil, et que c’est également de lui, du centre du monde, que partent les rayons des orbes ; de même maintenant la vie, le mouvement et l’âme du monde résident eux aussi encore dans le Soleil. […] Le Soleil l’emporte sur tout le reste par la beauté de son aspect, la puissance de sa vertu, la splendeur de sa lumière. Aussi est-ce au Soleil que de loin conviennent le mieux les nobles épithètes de Cœur du monde, de Roi et d’Empereur des étoiles, de Dieu visible, et toutes les autres.

Kepler, L’harmonie du monde, 1619

Inversement, si le Soleil est au centre, c'est que la Terre n'y est plus. En ce sens, c'est bien Copernic qui, selon une expression fameuse de Tycho Brahé, a "arrêté le Soleil lancé la terre dans les cieux". Là encore, ne nous précipitons pas sur l'idée selon laquelle la terre "ne serait plus au centre du monde" ; car le centre du monde n'était pas forcément le lieu le plus noble de la Création. Ce qui est surtout embarrassant, c'est qu'elle est en mouvement.

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En quoi est-ce un problème ? En fait, encore une fois, cela ne devient réellement un problème que si l'on affirme que l'image que l'on construit est vraie. C'est-à-dire si l'on affirme que la terre bouge vraiment, qu'elle tourne réellement autour du soleil, et non l'inverse. Mais si l'on s'en tient à la distinction que nous avons opérée la dernière fois, et que l'on considère que ce système héliocentrique n'est qu'une "hypothèse", une image dont la seule fonction est de "sauver les phénomènes" (sauver les apparences), il n'y a pas réellement de problème. La seule question est de savoir si ce système "marche" mieux que le précédent : correspond-il davantage aux observations ? Fournit-il des prévisions plus exactes ?

On peut alors poser la question : aux yeux de Copernic lui-même, s'agissait-il d'une hypothèse... ou de la vérité ? La réponse transparaît déjà dans la citation que nous avons donnée : aux yeux de Copernic, il s'agissait bien de vérité. La terre tournait réellement autour du soleil, en 365 jours, (de même qu'elle tournait réellement sur elle-même, en 24 heures). Mais est-ce ainsi que son système a été présenté au public ?

En fait, non. Le "grand livre" de Copernic, le De revolutionibus orbium coelestium n'a été publié que juste avant sa mort, et la légende veut qu'il n'en ait vu un exemplaire que sur son lit de mort. Ce qui est certain, c'est qu'il n'a pas lui-même orchestré la publication dudit livre, lequel s'est ainsi retrouvé muni d'une "Préface" rédigée (sans nom d'auteur, ce qui laissait penser que l'auteur en était Copernic lui-même) par Nicolas Oesiander. Oesiander était très intéressé par l'astronomie, et il était partisan de Copernic ; mais il était aussi théologien (réformateur). Et Oesiander a simplement inscrit dans sa Préface ("Au lecteur, sur les hypothèses de cet ouvrage") que le système qui était exposé dans le livre n'avait aucune prétention à la vérité, qu'il ne s'agissait que d'une hypothèse, un modèle mathématique dont la fonction était de "sauver les phénomènes".

"Il n'est pas nécessaire que ces hypothèses soient vraies ni même vraisemblables ; une seule chose suffit : qu'elles offrent des calculs conformes à l'observation."

Il n'y avait donc, du point de vue de la "vérité", aucune raison de s'offusquer. Il n'y avait notamment aucune raison de s'offusquer de la part des autorités religieuses, qui soutenaient la vérité du système géocentrique. Tellement pas de raison, d'ailleurs, que cette posture est celle que l'on retrouvera dans la bouche du Cardinal Bellarmin, lors du procès qui sera fait à Galilée en 1616, soit plus d'un demi-ciècle après la parution du livre de Copernic.

Le système de Copernic n'était donc qu'un système "pour mathématiciens", pour astronomes visant à élaborer un modèle commode pour rendre compte des observations. C'est l'une des raisons pour lesquelles le livre de Copernic ne provoqua (contrairement à une vieille légende) aucune réaction de la part de l'Eglise. Copernic ne fut en rien "persécuté", pas plus que le ne seront ses successeurs, tant qu'ils se borneront à considérer le système héliocentrique comme une hypothèse.

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Copernic faisant des observations (ce que, d'ailleurs, il faisait rarement)

Mais il y a plus. Non seulement le livre de Copernic ne souleva aucune réaction de la part de l'Eglise... mais il ne provoqua aucune réaction du tout. Même dans le champ scientifique, il faudra attendre longtemps pour que la "révolution" copernicienne se produise. Et il y a à cela de bonnes raisons. Car, quel que soit le statut qu'on lui attribue, théorie vraie ou hypothèse, le système de Copernic soulève des dificultés considérables.

Si en effet on le considère comme vrai, il a contre lui des arguments très anciens, que l'on trouve déjà dans l'Antiquité.

     a. Il va d'abord à l'encontre de ce que l'on voit : on voit le soleil bouger, et c'est d'ailleurs ce que traduit le langage courant. Le soleil "se lève" à l'est, et il "se couche" à l'ouest. Pourquoi affirmer qu'en réalité, il ne bouge pas ? Cela n'a rien d'une évidence.

      b. De plus, on affirme bien (et Copernic également) que dans le cas de la Lune, c'est bien la Lune qui tourne autour de la terre, et non l'inverse : pourquoi en serait-il autrement en ce qui concerne le soleil ?

     c. Mais plus encore : si c'est la terre qui tourne autour du soleil, nous sommes donc sur une planète qui bouge... et qui bouge même très vite ! Au XVI° siècle, la distance de la terre au Soleil est sous-évaluée, mais tout de même : si l'on admet que la terre opère une révolution complète autour du soleil en 365 jours, étant donnée la distance à parcourir, sa vitesse doit être faramineuse. Pour information, si l'on admet la distance actuelle, il faut admettre que nous nous trouvons sur une planète qui est "lancée dans les étoiles"... à une vitesse supérieure à 100 000 kilomètres à l'heure ! Comment se fait-il que nous ne nous en rendions pas compte ? Si nous voyagions sur un boulet de canon, il est fort probable que nous ressentirions quelque signe de mouvement (il y aurait un peu de vent, sans doute). Et pourtant la vitesse d'un boulet de canon est négligeable par rapport à la vitesse qu'il faudrait attribuer à la terre si c'était elle qui tournait autour du soleil. Et pourtant... nous ne ressentons rien.

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Le baron de Münchhausen

     d. Par ailleurs, si nous nous situions sur une planète en mouvement, il serait logique, semble-t-il, que les objets que nous laissons tomber ne tombent pas à la verticale. Si on laisse tomber une pomme, elle tombe à nos pieds, verticalement. Mais si nous admettons que nous sommes en mouvement, et que nous nous sommes donc déplacés entre le moment où la pomme a commencé sa chute, et le moment où elle touche le sol, comment tomberait-elle à nos pieds ?

     e. Enfin, pour les astronomes, il y a une objection qui ne semble pas radicale pour le commun des mortels, mais qui est néanmoins embarassante : si nous étions sur une planète qui tourne autour du soleil, les étoiles dans le ciel devraient sembler bouger aussi. Imaginez que vous soyez sur une grande roue à Europa Park, et que vous regardiez la lune : il est évident que la position de la Lune dans votre champ de vision va bouger (elle fera de petits cercles). Or si l'on regarde les étoiles... elles ne font pas de petits cercles. En termes astronomiques, il n'y a pas de "parallaxe" stellaire. Le seul moyen de l'expliquer... serait d'amettre que les étoiles sont tellement éloignées que ce cercle est si petit qu'on ne peut pas le voir. Or cela exigerait de placer les étoiles à une distance très, très, très supérieure à celle que l'on admet au XVI° siècle.

Bref : pour admettre que la théorie de Copernic est vraie, il faut faire face à des objections sérieuses, qui vont de l'observation quotidienne aux considérations astronomiques complexes.

Copernic : la révolution du cosmos - Histoire & Civilisations

Bien. Mais qu'en est-il si on la considère comme une simple "hypothèse" ? Ici, les choses semblent plus simples, puisque la seule question qui se pose est de savoir si le modèle de Copernic rend mieux compte des observations que celui de Ptolémée. Le système copernicien permet-il de mieux "sauver les phénomènes" ?

Ici nous attend une nouvelle déconvenue. Car bien sûr, si l'on veut comparer "l'efficacité" de l'hypothèse de Copernic à celle de Ptolémée, c'est bien au "système 2" de Ptolémée qu'il s'agit de la confronter. C'est-à-dire à ce système complexe, truffé d'excentriques, d'épicycles et d'équants, bricolé de fond en comble de façon à le faire "coller" aux observations. La question est donc double :

     a. le système de Copernic est-il plus simple que celui de Ptolémée ?

     b. le système de Copernic correspond-il davantage aux observations ?

Si l'on en croit Copernic lui-même, la réponse à la première question est évidente : son système est incomparablement plus simple. Il se fait fort par exemple d'avoir considérablement réduit le nombre d'épicycles. Mais si l'on regarde les choses attentivement... c'est loin d'être une évidence. Car le grand problème de ce système, c'est qu'il cherche à conserver tous les grands traits du système de Ptolémée. Ainsi, dans le système de Copernic :

     a. le mouvement des planètes est toujours strictement circulaire

     b. les planètes sont toujours "serties" sur des orbes parfaitement sphériques

     c. les étoiles sont toujours incrustées dans cette voûte céleste que constitue la "sphère des fixes", etc.

En gros, la seule chose qui change, c'est que désormais le soleil est au centre.

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Et les problèmes... ressurgissent. Pour rendre compte des observations, pour "sauver les phénomènes", Copernic va être obligé de réintroduire, un à un, tous les "bricolages" du système 2 de Ptolémée.

     a. Les planètes tournent-elles autour du soleil ? En fait non : elles tournent autour d'un point... situé à côté du soleil. En fait, elles tournent autour du centre de l'orbe de la terre, qui est à côté du soleil. Retour de "l'excentrique".

     b. Les planètes tournent-elles autour de ce centre excentrique ? En fait non : elles tournent autour d'un point qui, lui, tourne autour de l'excentrique. Retour des épicycles.

     c. La vitesse des planètes est-elle constante ? Là, Copernic refuse catégoriquement de rapatrier l'équant (ce point excentré à partir duquel le mouvement de la planète semble constant). Sauf que, pour y parvenir, il est obligé de multiplier de petits excentriques et de petits épicycles, qui permettent de "moduler" la vitesse de la planète !

Bref, au lieu d'un système plus simple... on a un système largement aussi compliqué que son prédecesseur. On comprend que, du point de vue de Copernic lui-même, son livre ait été réservé aux mathématiciens...

Qu'en est-il maintenant de l'efficacité du système ? Sauve-t-il mieux les phénomènes ? Là encore la réponse est décevante. Car le système de Copernic ne "marche" guère mieux que celui de Ptolémée. En ce qui concerne la trajectoire de Mars, notamment, il reste très déficient...

Le casse-tête absolu : l'orbite de Mars

On comprend ainsi le peu d'enthousiasme que suscita le livre de Copernic. Si on le considérait comme vrai, on rencontrait des objections qui semblaient insurmontables (indépendamment de toute considération religieuse) ; et si on le considérait comme une simple hypothèse, il fallait adopter un nouveau système très compliqué, pour aboutir à des résultats assez décevants dans leur capacité à "sauver les phénomènes".

Oui, décidément, pour devenir "copernicien", il fallait bien plus qu'une simple curiosité scientifique. Il fallait un véritable acte de foi, doublé de la capacité à détruire tout ce qui, dans le système de Copernic lui-même, l'empêchait de rendre compte des phénomènes. Il fallait aller, dans le sens de Copernic, infiniment plus loin que là où Copernic s'était arrêté. Il fallait trouver le moyen d'affirmer la vérité de l'héliocentrisme, tout en construisant un modèle mathématique capable de "sauver les phénomèhes". Ce sera le travail de Kepler... que nous rencontrerons bientôt.

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Mais oui,  c'est bien lui qui est en salle S102.