3. Astronomie et théologie

Le 22 juin 1633 : procès de Galilée. Comme une revisite de l ...  

3. Science et religion à la lumière de la révolution astronomique

     a. du Dieu de la Bible au "Dieu des philosophes"

On pourrait croire que, dans un univers réduit à des choses matérielles, régies par des mécanismes physiques, obéissant à des lois mathématiques... Dieu n'a plus beaucoup de place. En quoi Dieu aurait-il sa place dans cette grosse machine, cette grosse horloge que devient l'Univers ?

Il faut d'abord remarquer que, dans la vision des penseurs que nous avons étudiés, Dieu n'a pas du tout disparu. Chez Galilée, si le mathématicien peut déchiffrer le gand livre de la Nature, c'est parce que Dieu a conçu le monde en symboles géométriques ; chez Kepler, en retrouvant les lois mathématiques qui régissent le mouvement des planètes, l'astronome retrouve en réalité les lois que Dieu a suivies dans sa Création, de sorte qu'en manifestant l'ordre rationnel, mathématique du monde, l'astronome ne fait que célébrer la Gloire du Créateur qui, décidément, a créé un monde parfaitement rationnel et harmonieux. Mais chez Newton encore, le fait que tout l'Univers soit régi par les mêmes lois physiques et mathématiques est encore le signe de la Sagesse divine : quel plus grand hommage peut-on faire au Créateur, que celui qui consiste à montrer à quel point sa Création est un système parfait ? Et quel système pourrait être plus plus parfait qu'un système parfaitement rationnel, fondé sur une loi mathématique universelle ?

Création, Dieu, Univers, Fantasy, Divinité, Émergence

La révolution astronomique n'a pas ébranlé le moins du monde la foi de ces penseurs en un Dieu créateur. Si le monde est une immense horloge... il témoigne de l'existence d'un horloger. Si le monde était un chaos confus, on pourrait penser qu'il est l'oeuvre du hasard ; mais pour concevoir et produire un monde aussi parfaitement ordonné, il a fallu un Dieu qui soit le plus parfait des mathématiciens, le plus parfait des ingénieurs.

La mathématisation de l'Univers ne conduit donc pas (du tout) à l'évacuation de Dieu ; mais elle induit, ou traduit un changement profond dans l'image que l'on se fait de ce Créateur. Le Dieu de Galilée, de Kepler ou de Newton n'est plus un Dieu de force et de volonté, qui passerait son temps à intervenir (par exemple par des miracles) dans la Création. C'est un Dieu sage, dont la Sagesse est (par définition) indissociable de son caractère rationnel. C'est un Dieu mathématicien, un Dieu ingénieur, un Dieu horloger : c'est ce que l'on appelle le "dieu des philosophes". La tâche de l'homme est bien de discerner la Volonté de Dieu, de parfaire sa connaissance du Créateur : mes justement, c'est en étudiant la Création que l'homme mettra en lumière et témoignera de la Sagesse du Créateur, et les volontés de Dieu s'incarnent avant tout dans les "lois de la nature", qui sont les lois que Dieu a prescrites à l'Univers.

On aboutit ainsi à une idée très importante : en faisant des sciences, en faisant apparaître les lois de la nature, en retrouvant les équations qui régissent l'Univers, on ne s'éloigne pas du tout de la croyance en Dieu, on ne la met aucunement en cause ; au contraire : plus on montre que l'Univers est un système rationnel et harmonieux, plus on démontre qu'il est l'oeuvre d'un Dieu rationnel. Ce qui manifeste la présence de Dieu dans l'Univers, ce ne sont pas des miracles qui viendraient violer les lois de la nature (que la science dévoile) : ce sont ces lois elles-mêmes. Si Dieu se manifeste "dans" sa Création, ce n'est pas parce qu'il viendrait y faire des interventions intempestives : c'est parce que, justement, il n'a nul besoin de le faire, ayant conçu et créé dès le départ une mécanique parfaite, qui n'a aucunement besoin d'être "rectifiée" à tout bout de champ, en violant les lois de la nature ! Le bon horloger, ce n'est pas celui qui doit intervenir régulièrement pour remonter sa montre, corriger un écart, réparer un rouage : c'est celui qui a créé dès le départ une montre si parfaite qu'il peut la laisser ensuite fonctionner toute seule.

Fort bien. Mais, si c'est au scientifique que revient la tâche de discerner la sagesse et la volonté du Créateur... que devient l'Eglise ? Si les décrets divins sont des lois mathématiques, avons-nous encore besoin de la Bible (et des autorités religieuses) pour les connaître ?

L'Église a toujours favorisé la recherche scientifique - Le Salon ...

     b. La foi et la raison dans le domaine astronomique

Il faut ici avancer avec précaution. Car si les lois de la nature sont des expressions de la Volonté divine, si les équations formulent les règles que Dieu a prescrites à la nature... il ne s'ensuit pas que les lois de la nature épuisent ces prescriptions. Dieu a bel et bien imposé des lois à la nature, les lois naturelles, que le scientifique doit retrouver en leur donnant une formulation mtathématique. Mais Dieu a aussi imposé d'autres lois, qui n'ont rien de commun avec les précédentes : il s'agit notamment des lois morales. Dieu a formulé un ensemble de commandements, que l'homme doit suivre pour conduire sa vie. Or de ces commandements, la science n'a rien à nous dire, ou très peu. La science peut dévoiler ce que sont les lois qui régissent les phénomènes, elle ne peut pas nous dire comment nous devons vivre. La science découvre les lois de la physique, pas les lois morales.

C'est ce qui explique que, à côté de la Création, l'homme doit également étudier la Parole de Dieu, telle que nous la délivrent les Ecritures, comme la Bible et les Evangiles (pour les chrétiens). Dieu se manifeste à nous par sa Création, mais il se révèle à nous par sa Parole. Pour savoir comment nous devons vivre, pour connaître les commandements de Dieu, il faut s'en remettre à la Révélation. L'étude de la Création peut nous dévoiler la loi de la gravitation universelle : mais c'est l'étude de la Bible qui nous révélera l'impératif moral de la charité, de l'amour du prochain.

φ] Spinoza, Prince de la Philosophie, et le topic de la Nécessité ...

Pour Spinoza (philosophe du XVII° siècle), la Bible nous enseigne avant tout la justice et la charité

De sorte que, dans l'esprit de Galilée, de Kepler ou de Newton, la science ne remplace pas du tout la religion. Il faut plutôt opérer un "partage du travail" : d'un côté, la science doit découvrir les lois qui régissent la Nature ; de l'autre, l'étude de la Parole de Dieu doit nous enseigner ses commandements. Lois naturelles et commandements divins sont les unes et les autres des volontés divines ; mais ils ne se manifestent pas à nous de la même manière. L'étude des premières est l'oeuvre du scientifique ; celle des seconds est l'oeuvre du théologien. La première requiert la raison (car on ne peut découvrir les lois mathématiques qui régissent l'univers sans la raison) ; la seconde exige la foi (car on ne peut comprendre la Parole de Dieu sans la foi).

On voit donc que la mathématisation de l'Univers au XVII° siècle n'implique pas du tout un rejet de la religion ; Kepler, Galilée et Newton étaient incontestablement des croyants sincères, et rien n'indique que leurs découverts scientifiques aient jamais ébranlé leur foi. Au contraire, nous l'avons dit, la mise en lumière de la rationalité de l'Univers participait elle-même de la glorification du Créateur. Pourquoi, dans ce cas, y a-t-il eu conflit entre les scientifiques et l'Eglise ? Le procès de Galilée n'est-il pas la preuve que cette nouvelle manière de voir l'Univers, e regard scientifique porté sur l'Univers, entrait en conflit avec la vision religieuse ?

Pour le comprendre, il faut revenir sur ce en quoi a réellement consisté le procès de Galilée

Procès de Galilée devant l’Inquisition en 1633 - anonyme italien du XVIIe siècle

     c. Le procès de Galilée : un conflit entre science et religion en astronomie ?

La première chose à faire ici est de détruire quelques préjugés. Tout d'abord, l'Eglise n'a pas, pendant longtemps, émis d'objections aux théories héliocentriques. L'Eglise connaissait l'oeuvre de Copernic, et elle n'a jamais censuré Copernic, ni son oeuvre.... jusqu'à Galilée. Et si Giordano Bruno a été brûlé, ce n'est pas du tout (contrairement à un vieux mythe) parce qu'il défendait une conception héliocentrique de l'Univers : c'est parce qu'il était adepte d'une religion qui, aux yeux de l'Eglise, était bel et bien une hérésie.

Ensuite, il faut indiquer que l'Eglise du XVII° siècle admettait bien, de son côté, un "partage des tâches". Les théologiens avaient bien pour but de nous délivrer "la vérité", une vérité absolue qui, comme telle, pouvait bien entrer en conflit avec les apparences, avec la réalité telle que nous la percevons. Les scientifiques, eux, avaient pour but de construire des modèles théoriques, si possible mathématiques, permettant de rendre compte des apparences, des faits tels qu'ils nous apparaissent, et donc de les prévoir. Ce qui permettait ainsi, sur la base de ces modèles théoriques, de construire des techniques permettant d'agir sur ces phénomènes. Nous l'avons vu avec Ptolémée, le but de la science, ce n'était pas de nous délivrer une "vérité absolue", mais bien de construire des modèles mathématiques permettant de "sauver les phénomènes".

Cette démarche s'opposait-elle à la science ? Pas le moins du monde. En fait, on pourrait même affirmer que l'Eglise se montrait ici très "scientifique", au sens actuel. D'une part, cette optique laissait aux scientifiques une très grande marge de manoeuvre : tant qu'un scientifique ne prétendait pas faire autre chose que bricoler des systèmes théoriques permettant de rendre compte des phénomènes, il pouvait bien produire les théories qu'il voulait : il lui suffisait de préciser qu'il ne prétendait pas délivrer une "vérité absolue", mais bien des hypothèses. Et, de fait, tant que les scientifiques accepteront de proposer des hypothèses, visant à sauver les phénomènes, l'Eglise ne soulèvera aucune objection à l'égard de Copernic.

On peut même aller plus loin. Car l'Eglise, elle aussi, admettait dans une certaine mesure le "partage des tâches" que nous avons évoqué plus haut. Le but essentiel de la Bible, ce n'était pas de décrire les lois naturelles, de nous fournir un traité de physique mobilisable pour produire des machines et des armes. Ce que vise à nous enseigner la Parole de Dieu telle qu'elle nous est transmise par la Bible, ce ne sont pas les lois de l'optique ou de la mécanique : ce sont bien les commandements de Dieu, qui nous enseignent comment nous devons vivre.

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Un énonce qui n'a rien de scientifique...

Reste alors une question : ce qui est écrit dans la Bible est-il compatible avec ce que dit la science ? Là encore, il faut souligner la réponse que l'Eglise du XVII° siècle donnait en général à cette question. La Bible n'était pas du tout en conflit avec la science : au contraire, la religion chrétienne s'harmonisait à merveille avec la science... de son temps. Dans l'histoire de l'Eglise, le personnage-clé est ici Thomas d'Aquin, un théologien chrétien du XIII° siècle : celui-ci avait en effet montré que la foi chrétienne s'accordait parfaitement bien avec la science du Moyen-Âge, qui était issue d'Aristote. Au début du XVII° siècle, l'Eglise ne considère donc pas du tout qu'il y a conflit entre le discours religieux et le discours scientifique : au contraire, la vraie foi (chrétienne) s'harmonise parfaitement avec la science (d'Aristote). Par conséquent, remettre en cause Aristote (la physique médiévale), c'était remettre en cause ce bel édifice théologico-scientifique...

Etait-ce inenvisageable ? Non. Si l'on regarde attentivement les choses, on s'aperçoit que beaucoup de théologiens-scientifiques (notamment les Jésuites), passaient en fait leur temps à "adapter" les théories d'Aristote pour les mettre en accord avec les avancées de la science, sans remettre en cause la belle harmonie du christianisme et de la science.

Prenons un exemple dans la géographie (que l'on ne dissocie pas encore entièrement, au XVII° siècle, de l'astronomie). Chez Aristote (et donc dans toute la géographie médiévale), on trouve l'idée selon laquelle l'eau des sources des montagnes provient de la mer. Cela s'accorde très bien avec certains passages de la Bible, qui vont dans le même sens. Au XVII° siècle, on admet peu à peu qu'en réalité, l'eau des sources des montagnes vient principalement de la pluie (donc : du ciel), et non d'eaux sous-marines qui "remonteraient" au sein des montagnes, en perdant au passage leur caractère salé. Faut-il alors rejeter Aristote ? Faut-il contredire la Bible ? Pas du tout. En effet, si on admet que l'eau des montagnes vient de la pluie... d'où vient la pluie ? La pluie vient de l'évaporation de l'eau de mer, qui forme des nuages. Donc on peut bien dire, avec Aristote et la Bible, que l'eau des sources vient bien de la mer. CQFD.

  Le cycle de l'eau

Rien n'interdisait, donc, qu'une "adaptation" de ce genre se produise en ce qui concerne l'héliocentrisme. Il aurait seulement fallu

     (1) que les scientifiques admettent la séparation entre les théories scientifiques, hypothétiques par nature, et la "vérité absolue" qui revient aux théologiens

     (2) qu'il y ait des preuves solides de l'héliocentrisme. Revoir l'interprétation de la Bible, soit, mais encore faut-il qu'il y ait de solides raisons de le faire.

Seulement voilà : Galilée... n'a fait ni l'un ni l'autre.

     _ il a refusé catégoriquement de considérer sa théorie (héliocentrique) comme une hypothèse (ce qu'il aurait d'ailleurs bien dû faire, dans la mesure où son système est presque entièrement faux ; nous avons vu par exemple que, contre Kepler, dont il connaissait pourtant les travaux, il n'a jamais admis le caractère elliptique de l'orbite des planètes, préférant maintenir l'idée de "mouvement naturel circulaire", par ailleurs contraire au principe d'inertie). Galilée a prétendu faire des théories scientifiques des vérités absolues, et non des hypothèses provisoires (ce qui, remarquons-le, s'oppose radicalement à une conception actuelle de la science)

     _ il n'a jamais (contrairement à ses affirmations) donné de preuves de la vérité de l'héliocentrisme. Ce que lui-même considérait comme une "preuve" indubitable du mouvement de la terre (le phénomène des marées) est en fait une théorie très discutable (et d'ailleurs fausse).

Donc : Galilée prétendait imposer à l'Eglise l'idée selon laquelle celle-ci devait reconnaître une théorie scientifique comme une vérité absolue, alors même qu'il était incapable de la prouver !

Plus encore : dans la mesure où Galilée, lui aussi, affirmait l'accord de la religion chrétienne et de la science... il faisait de la science le critère permettant de déterminer si une lecture de la Bible était ou non correcte : une interprétation de la Bible qui entrait en conflit avec la science ne pouvait pas être vraie et, par conséquent, puisque la Bible disait la vérité, cette interprétation était nécessairement fausse. En d'autres termes : le théologien devait s'en remettre au scientifique pour savoir si son interprétation de la Bible était correcte ! Ce qui décidait en dernier ressort du vrai sens de la Bible, c'était la science. Le scientique n'était plus seulement l'interprète de la Nature, le gardien des lois naturelles ; c'était aussi le tuteur des interprètes de la Bible, le gardien du vrai sens des Ecritures...

Cela, l'Eglise ne pouvait pas l'accepter. Et, de fait, elle ne l'a pas accepté. Non seulement elle a condamné Galilée (qui a consenti à abjurer toutes ses erreurs), mais elle a aussi fait ce qu'elle n'avait jamais fait jusqu'à lui : condamner l'héliocentrisme. De sorte que l'on peut dire que, "grâce à" Galilée, la marche des sciences s'est trouvée durablement entravée par un interdit religieux que rien ne rendait nécessaire. Galilée, "martyr de la science"... ou victime de son orgueil ?

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Galilée instruisant Vincenzo Viviani (Tito Lessi, 1892)