Voyage terrestre, voyage céleste

Albator - le corsaire de l'espace : Le coin du cinéphile

Voyages célestes, voyages terrestres : l'astronomie comme voyage

Nous cherchons donc à mettre en lumière l'articulation entre les transformations qui s'opèrent dans le champ scientifique du fait de la Révolution astronomique, et les transformations qui s'opèrent dans le domaine littéraire.

Cette articulation semble plus facile à effectuer dans l'un des autres domaines que vous étudiez cette année en HLP : la découverte d'autres mondes et d'autres sociétés. Si cette découverte est liée aux domaines politico-militaire (conquête), religieux (conversion des indigènes) et commercial, elle est intrinsèquement liée au domaine littéraire, du fait de la manière dont cette rencontre a d'abord été décrite, représentée, racontée : les récits de voyage. C'est d'abord et avant tout par des productions littéraires, voire romanesques, que les explorateurs ont décrit leurs découvertes : il n'est donc pas très difficile d'articuler cette « révolution » que constitue la rencontre d'autres cultures, à des processus qui s'opèrent dans le champ littéraire. Que les explorateurs aient interprété leurs expéditions dans les termes du récit d'aventures, et que les écrivains se soient emparés de leurs expéditions pour nourrir leur imaginaire romanesque (notamment par le recours à « l'exotisme ») ou leurs argumentaires philosophiques (le « bon sauvage »), c'est tout à fait clair.

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Une figure éminente (et éminemment romanesque) de l'explorateur-écrivain : Cortès

Mais la chose semble plus difficile à faire en ce qui concerne la Révolution astronomique : car ce n'est pas, semble-t-il, sous la forme de « récits » que les astronomes élaborent leurs théories, et les équations mathématiques sont rarement une source d'inspiration pour les poètes...

Poèmes mathématiques - Lutin Bazar

Il y a évidemment des exceptions...

Pour construire cette articulation, le plus simple est peut-être de partir du lien qui existe entre la Révolution astronomique et la découverte de nouveaux mondes et de nouvelles sociétés. Car ce lien, lui, est évident. D'une part, l'astronomie joue un rôle-clé dans la navigation (les astres sont les points de repère du navigateur lorsqu'il perd de vue la terre) ; mais d'autre part, plusieurs découvertes astronomiques ont, dès l'origine, étaient pensées et exprimées en analogie avec les découvertes des explorateurs. Ce que les astronomes ont « découvert » à travers leur télescope, n'étaient-ce pas « de nouveaux mondes » ? Le télescope n'a-t-il pas permis d'observer de près ce qui, auparavant, était si éloigné que nous en ignorions l'existence, jouant ainsi le rôle d'un navire céleste, d'un vaisseau... spatial ?

Cette analogie s'est opérée dès l'origine, et c'est à travers elle que nous allons trouver notre premier « bouclage » de la Révolution astronomique et du champ littéraire. Les 4 Lunes de Jupiter « découvertes » par Galilée sont bien de nouvelles terres, de nouveaux mondes, dont on va très vite imaginer les occupants éventuels.

L'ancêtre du "martien" : le Lunien (ou Sélénite)

Prenons un premier exemple. Louys le Roy (en latin : Ludovicus Regius) est une figure assez représentative de ce que pouvait être l'une des branches de l'humanisme de la Renaissance : car le propre de cet humanisme est précisément de chercher à réunir l'ensemble des domaines de la culture, c'est-à-dire l'ensemble des espaces dans lesquels s'exprime et se développe ce qui fait l'humanité de l'homme. Louys le Roy s'est donc à la fois intéressé à la rhétorique et la philosophie antiques (il a traduit entre autres des dialogues de Platon, des discours de Démosthène, des traités d'Aristote), au domaine politique (« De l'origine et de l'excellence de l'art politique », 1577), mais aussi aux domaines littéraires ou religieux. Et Louys le Roy articule explicitement la découverte de nouvelles terres et de nouvelles sociétés par les explorateurs, et les découvertes astronomiques.

Je dy nouvelles terres, nouvelles mœurs, nouvelles formes d’hommes, mœurs, lois coutumes. : nouvelles herbes, arbres, racines, gommes, liqueurs, fruicts : nouvelles maladies et nouveaux remedes : nouveaux chemins du ciel et de l’Ocean non essayez auparavant, nouvelles estoilles veues.

                                          Loys le Roy, De la vicissitude ou variété des choses en l’univers, 1575.

Dans les deux cas, il s'agit bien de « découvertes » : de nouvelles choses sont vues dont on ignorait l'existence, de nouveaux pans de la réalité s'offrent à notre regard. Et les secondes sont tout aussi « incroyables » que les premières, elles heurtent tout autant ce qui semblait « possible ». Imaginer des hommes qui peuplent la Lune, ce n'est pas plus invraisemblable que ne l'était le fait d'imaginer des hommes vivants aux Antipodes ; de même, si le continent africain ne ressemble pas, après exploration, à ce que l'on aurait pu supposer, la lunette de Galilée nous donne une image très différente du Soleil et de la Lune.

Ce double parallélisme est exprimé par l'écrivain anglais du tout début du XVII° siècle Francis Godwin, auteur de l'une des premières fictions romanesques fondée sur l'idée de Voyage sur la Lune (« The Man in the Moon », probablement écrit vers 1620) :

« Ce qui est véritable touchant les Antipodes, a esté autrefois un aussi grand Paradoxe que celuuy-cy ; Qu'il y a dans la Lune divers peuples qui l'habitent, et qui se gouvernent entr'eux d'une façon différente de la nostre. Mais après tout, ce sont choses dont les notions semblent avoir esté particulièrement réservées au Siecle où nous sommes. Car il est si clairvoyant, que nos Galileistes peuvent avec leurs lunettes remarquer des taches au corps du Soleil, et discerner des Montagnes dans le Globe de la Lune. »

Francis Godwin, L'homme dans la Lune.

Cette analogie entre l'astronome et l'explorateur devient rapidement une sorte de lieu commun dans les écrits portant sur la révolution astronomique. En Angleterre toujours, William Lower (astronome) écrira par exemple à son ami Thomas Harriott (mathématicien) que Galilée a accompli un exploit plus grand encore que celui de Magellan, qui, lui aussi, avait découvert un territoire inexploré. Et chez les astronomes eux-mêmes, le modèle du « récit de voyage », rédigé par les explorateurs, va servir de référence pour la description des découvertes spatiales : la navigation au sein de l'espace maritime devient l'image du voyage dans les cieux, et Kepler lui-même peut écrire à Galilée, dans sa Discussion avec le Messager Céleste :

Il n’est pas invraisemblable qu’il y ait des habitants non seulement sur la Lune mais encore sur Jupiter lui-même. (…). Pour les colons, il n’en manquera pas parmi notre espèce humaine, dès que l’on aura enseigné l’art de voler. Qui eût cru jadis que la navigation sur le plus vaste océan serait plus tranquille et plus sûre que sur le golfe si étroit de l’Adriatique, la mer Baltique ou la Manche ? Donne des navires, règle leur voile sur les brises célestes, il y aura des hommes pour ne pas être épouvantés même dans cette immensité. Et donc pour ceux qui tenteront ce voyage, comme s’ils devaient bientôt se présenter, fondons l’astronomie, moi de la Lune, toi, Galilée, de Jupiter.

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Un avatar récent d'un très vieux rêve : le navire spatial

Si les astres sont des terres célestes, si le ciel est la mer astrale, et si l'astronome est l'explorateur cosmique, il semble néanmoins subsister une différence de taille entre les deux : l'explorateur des Indes se meut effectivement sur l'océan qu'il parcourt, alors que l'astronome ne quitte pas son observatoire. Mais néanmoins tous les deux voyagent : car au navire de l'explorateur correspond l'instrument de l'astronome, qui lui permet d'aller « voir de près » ce qui restait invisible. Là encore, William Lower affirme qu'en braquant le tube optique de Hariott vers la Lune, il a vu des images comparables aux « descriptions des Côtes dans les livres de voyage hollandais ».

Avec son télescope, l'astronome s'élève vers les cieux : de sorte que son engin s'apparente aux machines volantes auxquelles on se plaît rêver (et qu'on s'acharne à essayer d'inventer) à l'âge classique, il gagne des ailes dont aucun animal ne dispose :

« Notre époque a produit une intelligence dont je ne saurais dire si elle était angélique ou humaine : celle du Hollandais qui avec deux petits miroirs optiques, comme avec deux ailes de verre, a permis au regard des hommes d'aller à travers un tube ouvert jusqu'à des régions que n'atteint aucun oiseau. »

Emmanuel Tesauro, La lunette d'Aristote, 1654

L'auteur de cette dernière citation est d'ailleurs très intéressant dans le cadre de notre programme. Outre le caractère assez paradoxal du titre de l’œuvre (la lunette astronomique, initialement apparue en Hollande, est précisément l'un des éléments permettant la remise en cause de l'astronomie aristotélicienne), l'auteur lui-même, est une figure assez représentative de l'articulation des différents champs de la culture, telle que nous cherchons à mettre en lumière. Car Emmanuel Tesauro ne parle pas seulement d'astronomie : c'est d'abord un prêtre catholique, mais aussi un écrivain, dramaturge et poète du XVII° siècle ; et « La lunette d'Aristote » ( Il cannocchiale aristotelico) en fait l'un des maîtres d'oeuvre du baroque européen. Il ne s'agit en rien, chez lui, d'une simple « juxtaposition » des champs culturels : le projet même de l’œuvre est justement de tirer les conséquences esthétiques du bouleversement global provoqué par les découvertes scientifiques de son siècle, notamment celles de Galilée. De sorte que, chez Tesauro, l'esthétique baroque apparaît elle-même solidaire de la Révolution astronomique...

Frontispice de l'édition de 1670 de la "Lunette d'Aristote"

Pour cette année, nous n'irons pas jusque là. Nous explorerons plutôt les liens qui unissent la révolution astronomique et la Science Fiction, ainsi que la poésie anglaise, de John Donne ou de Milton. Mais cette piste de réflexion est une illustration intéressante des liens qui unit la révolution astronomique et la réforme littéraire.

Pour terminer cette première approche de la dimension littéraire de la Révolution astronomique, qui l'articule aux récits de voyage des explorateurs, les « nouveaux mondes » célestes devenant des répondants des nouveaux mondes terrestres, Galilée un nouveau Colomb, la lunette un navire spatial, nous prendrons appui sur une illustration visuelle : il s'agit du frontispice de l'édition de 1640 du Discours sur un nouveau monde de John Wilkins.

Cet ouvrage, initialement paru en 1638, traite de la pluralité des mondes, et plus précisément de la découverte d'un nouveau monde : la Lune, dont Wilkins cherche à mettre en lumière les ressemblances avec la terre, en s'appuyant sur le modèle copernicien et les observations de Galilée. De cette ressemblance, Wilkins déduit que la Lune est peut-être habitée, comme la Terre, par des habitants qu'il appelle : les Sélénites. Cette appellation l'inscrit dans une longue tradition qui remonte à Lucien de Samosate (II° siècle) , référence originaire de tous ceux qui imagineront voyages sur la Lune et rencontre avec ses habitants. Séléné est en effet le nom de la déesse grecque de la Lune.

Voici le frontispice :Wilkins, Frontispice

Dans cette image, nous trouvons tous les éléments de l'analogie qui s'opère entre les nouveaux mondes célestes et les nouveaux mondes terrestres, et plus généralement entre l'astronomie et la géographie (les deux domaines n'étaient d'ailleurs pas clairement dissociés au XVII° siècle). Entres autres, l'entrelacement des deux espaces sur une même « carte », qui indique que la Lune elle-même est une Terre, ou dans un autre registre le fait que l'espace céleste soit lui-même traversé par des traits horizontaux qui, selon les conventions de l'époque, caractérisent l'espace maritime.

Et ce qui apparaît clairement, c'est que cette analogie entre monde terrestre et monde céleste repose entièrement sur des éléments issus de la révolution astronomique : le Soleil, au centre, proclame qu'il est l'unique source de chaleur et de mouvement des planètes (« omnibus do lucem, calorem, motum »), l'infinité (ou l'indéfinité) de l'Univers est figuré par le fait que les étoiles se situent au-delà de la sphère englobante, l'orbite lunaire est raccordée à la terre comme celle de la terre est raccordée aub Soleil, et les Pères de la révolution astronomique sont tous trois représentés : Copernic, Galilée (muni de sa lunette) et Kepler.

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Dès l'origine, la révolution astronomique, la (re)découverte de l'Univers qu'elle implique, le fait qu'elle nous fasse voir « toutes choses nouvelles » (elle nous fait à la fois voir de nouvelles choses, et voir des choses anciennes sous un nouveau jour), est décrite par analogie avec la découverte des nouveaux mondes terrestres, ce qui lui permet de reprendre à son compte les formes littéraires qui étaient liées aux récits de voyage. Et le voyage stellaire n'est pas moins riches de potentialités poétiques, dépaysantes et merveilleuses, que ne l'est le voyage de l'explorateur...

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Il est d'ailleurs un dernier élément du voyage que l'astronomie va intégrer. C'est que tout voyage permettant la découverte de l'ailleurs est en puissance un voyage par lequel l'homme s'achemine vers la (re)découverte lui-même. L'homme se voit lui-même dans le miroir de l'autre, il contemple sa nature véritable ou au contraire ses propres vices, etc. En quittant ce qui lui est familier, en faisant de son voyage une expérience, le voyageur part toujours en quête de sa propre nature, de sa propre identité (c'est le fondement de tout « voyage initiatique »). Or le voyage cosmique assume lui aussi cette dimension spirituelle : si l'homme peut contempler la sagesse de Dieu dans l'Univers, qui est sa Création, il peut par là même y retrouver sa propre image, lui qui a a été créé à l'image de Dieu. Nous l'avons vu : même s'il se trouve expulsé du centre « géographique » de l'Univers, l'homme de la révolution astronomique en reste indubitablement le centre métaphysique : en scrutant l'univers, c'est donc encore vers lui-même que l'homme s'achemine, vers son propre centre : vers ce qui fait sa nature, son essence, son humanité. Nous aurons à développer cette idée quand nous examinerons le rôle que joue le voyage astronomique dans les Entretiens de Fontenelle, qui associent l'ascension vers les cieux à une ascension spirituelle.

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Une très vieille idée fusionnant le voyage cosmique et le voyage spirituel : le voyage astral