Révolution et humanisme
André Masson, "Armour", 1925
Révolution et humanisme
Le fondement de l'élan révolutionnaire n'est pas l'optimisme confiant mais la crise survenant de la conscience déchirée d'une situation désespérée. La passion révolutionnaire est une force qui échappe et s'oppose à tout déterminisme mécanique et causal. On ne doit chercher à échapper au désespoir ni par l'optimisme, ni par le piétisme : c'est justement dans le désespoir que s'enracinent les forces révolutionnaires en lesquelles peut vivre l'espérance. (« La critique sociale », texte 27)
L'élan révolutionnaire doit apprendre à mobiliser les aspirations sauvages instrumentalisées par le nationalisme (dans l'exaltation et le fanatisme), pour les mettre au service d'une lutte pour l'humanité qui, en tant que telle, surpasse infiniment l'intérêt mesquin du conservatisme social et des intérêts nationaux. (texte 36) L'amour fanatique de l'homme doit remplacer l'amour fanatique de la nation ou de son chef. (texte 37) Le Père, la Patrie et la Nation sont les figures tutélaires qui s'opposent à cet élan de fraternité et de solidarité universelle des hommes. (« La critique sociale », texte 38) De façon paradoxale, les masses n'ont ici accédé à une forme radicale de la solidarité que dans la boucherie inter-nationale ; mais de quel droit récuser la possibilité utopique d'une communion mystique des masses, au sein d'une transe universaliste qui les libérerait à la fois de l'absurdité nationaliste et des excitations morbides ? (« La critique sociale », texte 47)
Un élan révolutionnaire ne peut pas être brisé par la force, mais il ne peut pas non plus être institué par la raison. De façon paradoxale, c'est la même défiance que nourrissent les militants révolutionnaires à l'égard des masses et des intellectuels ; cette défiance s'ancre dans le souhait d'expurger la révolution de ses composantes passionnelles, exaltées et utopiques, que portent aussi bien les foules que les écrits des penseurs. (texte 39) C'est au contraire au renforcement de ces tendances au sein des foules que doit travailler l'ami de la révolution, par des paroles qui ne doivent pas chercher à convaincre, mais à exalter. (texte 40) Cette exaltation est aujourd'hui la seule arme capable de lutter contre le carnage qui s'annonce. (« La critique sociale », texte 41)
Le mouvement ouvrier ne pourra développer ses forces que s'il s'affranchit de tout réformisme parlementaire et prend conscience de sa puissance propre. (« La critique sociale », texte 46)
Bataille donne le nom de « mouvements organiques » les organisations qu émergent en période de crise au sein des espaces démocratiques ; ni mouvement insurrectionnel informe, ni parti politique, le mouvement organique ne se constitue qu'en réponse avec une conjoncture historique déterminée, qui trouve un écho dans les différentes classes. Le mouvement organique n'a pas de programme ou d'objectifs rationnels déterminés, ce qu'il vise exprime les aspirations temporaires d'un groupe historique consolidé par un contexte historique. Un mouvement organique reste largement imprévisible dans son devenir et, par là-même, dangereux : même là où il se rattache à des mouvements ouvriers ou antifascistes, il peut évaluer vers des positions hostiles aux ouvriers ou fascisantes. (« La critique sociale », texte 45)
En politique, jouer la vie contre la raison, c'est devenir l'esclave du passé ; et pourtant la vie exige à la fois de se libérer de la raison et du passé. La vie ne peut être portée par la politique que dans des circonstances définies et provisoires, elle porte loin au-delà. Loin au-delà des schématisations que la politique impose, là où la possibilité échappe à la logique. Déjà l'espérance cherche à s'affranchir de toutes les solutions politiques, pour retrouver l'extase au-delà des drapeaux. (texte 52)
L'ordre et la stabilité ne donnent en rien à une forme politique la capacité d'entraver le mouvement chaotique de l'histoire ou de satisfaire les exigences de la vie. La répression ne conduit au contraire qu'à la condensation de forces explosives dont le but, quand elles éclatent, n'est pas la décapitation de la structure sociale, mais bien l'hégémonie d'une forme nouvelle ; le seul aboutissement possible de l'élan révolutionnaire est donc la diffusion d'un « ordre » nouveau à l'échelle universelle. (texte 53)
La société qui permet l'épanouissement maximal de la vie est la société bi- ou polycéphale, qui maintient l'antagonisme entre les forces tout en les contraignant à l'expression la plus riche. (texte 54) C'est cette libération du temps redevenu Sujet que nous donne le spectacle de toutes les révolutions. (texte 55)
L'élément religieux de toute communauté véritable est ce qui la relie à l'épreuve extatique de la mort – et non à la production des moyens de subsistance. (texte 59) Seule une telle communauté, intrinsèquement acéphale et tragique, peut tenir en échec le fascisme, lequel représente la seule union alternative possible : la communion dans le chef. (texte 60). Cette vérité ne peut être enseignée ; elle ne peut être que portée par ceux qui font l'expérience de mystères déchirants que la masse tend justement à fuir. (texte 61)
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