Idéalisme et logocratie
André Masson, Georges Bataille : le mort
Idéalisme et logocratie
Le rejet de la dépense productive rejoint le geste global par lequel Bataille récuse le principe de rationalisation de l'existence humaine. Suivant en cela la voie tracée par son maître Chestov, il refuse toute dictature de l'Idée, de la « Raison », sur la vie humaine. Toute connaissance objective, désintéressée, ne peut reposer que sur une rationalisation abusive du réel, dont elle partage le caractère illusoire. Le réel ne se laisse pas connaître comme un objet docile à la raison, il ne peut se donner que dans expérience au sein de laquelle le sujet se risque lui-même.
Il n'y a donc de réalisme véritable qu'en tant qu'anti-idéalisme. La force des volcans terrestres s'oppose à la clarté rationnelle des astres ; elle ne vise pas la construction, l'équilibre et la pérennité, mais la dépense chaotique et absurde : elle est « scandale et terreur ». (« Anus Solaire », texte 4)
Le pouvoir de l'idée sur l'homme est un pouvoir despotique, une logocratie qui soumet l'homme au joug des institutions (notamment politiques). La mise en échec de l'idée par les œuvres d'art (comme celles de Picasso) est l'expression du non serviam opposé par l'être sauvage de l'homme à sa domestication, qui se libère également dans ces grandes « fêtes » que sont les irruptions de démence collective. (« Documents », texte 15)
La signification d'un mot n'est pas donnée par ses propriétés caractéristiques, mais par le travail qu'il accomplit, son rôle et ses effets. (texte 16) Ainsi, le terme « informe » a pour rôle de rejeter, de disqualifier tout ce qui ne se soumet pas à une forme rationnelle ; la philosophie apparaît alors comme une démarche visant à réduire (comme on réduit en esclavage) le réel à ce qui accède à la dignité d'un concept défini. (« Documents », texte 17)
La connaissance ne peut se rapporter à l'univers que comme à un spectacle qui lui reste extérieur, dont elle ne partage ni le mouvement, ni l'ivresse, étant établie sur un sol fixe. Et en cela, toute connaissance est illusoire. (texte 72) Cette erreur trouve son aboutissement lorsque l'homme prête au principe du monde sa propre immobilité, remplaçant la prodigalité cosmique par l'Idée du Bien. (texte 73)
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