Fascisme et démocratie
Georges Bataille, dessin sans titre pour Soleil Vitré
Fascisme, démocratie : dialectique de l'homogénéité
L'incapacité de la société homogène à trouver son sens en elle-même la conduit à se soumettre à une puissance impérative hétérogène ; la société homogène peut assurer son être, mais elle ne peut tirer son devoir-être que d'une instance hétérogène. En retour, les forces destructrices, sadiques de cette puissance se tournent toujours contre les forces opposées à l'homogénéité : les sociétés étrangères, les classes misérables. Le souverain incarne l'unification de la multiplicité dans la singularité exclusive de tout impératif alternatif : les « autres » pouvoirs (religieux et militaires) sont en réalité des composantes du pouvoir royal, qui les concentre. Cette analyse éclaire le fascisme en tant qu'union du militaire et du religieux dans une souveraineté s'exprimant par l'oppression. (« La critique sociale », texte 28)
Ce qui fonde la noblesse de la caste militaire n'est pas son importance sociale (liée au monopole des armes) mais son organisation interne, fondée sur la discipline et la hiérarchie. Cette structure suppose une homogénéisation-par-hétérogénéité qui la rend efficace : les soldats doivent s'intégrer au corps d'armée par une commune adhésion au chef, dont la gloire (qu'ils font leur) permet de transfigurer l'horreur de la boucherie en héroïsme. L'armée repose sur la négation des individus par le chef, qui les annule dans sa personne de même qu'il annule la boucherie dans sa gloire. (« La critique sociale », texte 29).
Le pouvoir politique ne résulte pas de la puissance militaire ; la force armée n'est rien sans l'aura du chef, laquelle a à son tour besoin d'une caution religieuse. (« La critique sociale », texte 30)
Le pouvoir fasciste apparaît comme une concentration achevée des éléments religieux et militaires. A cette condensation du pouvoir répond aussi bien l'individualité du chef que l'unification du corps social (ce qui l'oppose au socialisme, reposant sur l'antagonisme des classes) (texte 31) Le fascisme représente en outre la réunion des éléments hétérogènes avec les éléments homogènes, de la souveraineté avec l’État. Ceci n'implique pas leur fusion, puisque Mussolini maintient la souveraineté de l'entité « peuple », « nation », qui n'existe cependant qu'en tant qu'idée incarnée dans et par son chef. (« La critique sociale », texte 32)
La dialectique illustrée par le fascisme est la suivante : un antagonisme interne à l'homogénéité produit une polarisation sur une force hétérogène qui arbitre (de façon coercitive) les antagonismes, d'une façon qui reste conforme à la catégorie sociale dominante. La différence avec la société capitaliste classique (libérale) est que l'intérêt n'est plus, ici, celui de chaque entreprise (maintenue dans sa liberté pour permettre le jeu de la concurrence), mais celui d'un ensemble (capitaliste) dont l'intérêt contredit cette liberté (ainsi qu'en avaient pris conscience certains capitalistes allemands, contrairement à leurs homologues italiens) (« La critique sociale », texte 33)
La révolution n'est pas possible dans une société démocratique, dans la mesure où l'instance impérative hétérogène, atrophiée, ne peut plus coaliser contre elles les forces subversives (qui peuvent au contraire tenter d'y accroître leur emprise.) Par ailleurs, le processus ne peut aboutir qu'au renforcement de la puissance des éléments dissociés de l'homogénéité (bourgeois, petits bourgeois) sur les éléments qui n'y ont jamais été intégrés (prolétariat). Aucune révolution calquée sur le modèle des révolutions classiques (qui focalise les forces hétérogènes sur la contestation de l'autorité centrale) n'est possible en démocratie. (« La critique sociale », texte 34) C'est faute de l'avoir admis que le mouvement ouvrier a abouti, par deux fois, au désastre. (textes 35, 44) Il faut interroger les conditions de possibilité d'une révolution dans une société acéphale. (texte 42) Alors que c'est l'autorité qui devient insupportable en régime autocratique, c'est bien l'absence d'autorité qui est dénoncée dans les régimes parlementaires, dont la contestation tend donc vers un renforcement des instances impératives (texte 43).
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