Séquence 7

Le "Bleu Klein" est une couleur "bleu outremer, extrêmement saturé ...

Un tableau entièrement bleu peut-il avoir une valeur artistique ?

Nous reprenons le cours de nos séquences, consacrées à l'analyse des textes qui constitueront la liste d'oral du baccalauréat, avec un nouveau texte sur l'art. Il s'agit cette fois d'un texte de David Hume, un philosophe écossais du XVIII° siècle, qui se demande s'il faut s"y connaître" en art pour pouvoir juger de la valeur d'une oeuvre. Ce texte aborde l'enjeu-clé du sujet classique de dissertation : "Faut-il être cultivé pour apprécier une oeuvre d'art ?". Pour ce sujet, il conviendrait d'abord d'analyser soigneusement le terme "apprécier", qui a deux sens en français.

    1 . "Apprécier" peut avoir un sens subjectif : il désigne alors le fait d'aimer quelque chose, d'y prendre plaisir, à titre personnel. Le jugement est alors subjectif (ce n'est pas parce que, moi, j'apprécie quelqu'un ou quelque chose que tout le monde doit en faire autant).

     2. "Apprécier", cela peut aussi vouloir dire formuler un jugement objectif (ou qui, du moins, tend vers l'objectivité), comme c'est le cas de "l'appréciation" qu'un correcteur écrit sur une copie. Le but du correcteur n'est évidemment pas de faire part d'un sentiment de plaisir ou de déplaisir personnel, mais bien d'évaluer la valeur correcte du devoir, en se référant à une grille de critères objectifs (problématisation, analyse des termes, usage de références, pertinence des exemples, etc.)

La question posée par le sujet est donc double :

     1. A-t-on besoin d'être "cultivé", de s'y connaître en art, d'avoir une bonne culture générale, pour aimer une oeuvre d'art, y prendre du plaisir, etc. ?

     2. A-t-on besoin d'être "cultivé", de s'y connaître en art, d'avoir une bonne culture générale, pour estimer la vraie valeur artistique d'une oeuvre, pour dire si, oui ou non, elle a une valeur en tant qu'oeuvre d'art ?

Les deux questions sont très différentes. Je peux très bien aimer, à titre personnel, prendre plaisir à écouter un titre musical, sans pour autant affirmer que le titre en question a une grande valeur artistique. On peut aimer Alain Souchon, sans pour autant considérer que c'est un sommet de la musique. Inversement, je peux très bien reconnaître la valeur artistique d'une oeuvre, sans pour autant y prendre plaisir : on peut très bien reconnaître que "Les demoiselles d'Avignon" (Picasso) ont une vraie valeur dans l'histoire de l'art, sans pour autant avoir envie de l'accrocher dans son salon.

Ces deux questions posent par ailleurs un problème majeur concernant l'art. Il semble en effet que, sans culture, sans rien "y connaître" dans le domaine concerné, il soit assez difficile d'aimer une oeuvre très éloignée de notre univers culturel. Une pièce de théâtre "Nô" (théâtre japonais) apparaîtra généralement incompréhensible à un public qui n'est pas familiarisé avec les codes de l'oeuvre ; et si les "experts" ne nous avaient pas indiqué que "La Joconde" est un monument de l'histoire de la peinture, y aurait-il autant de monde pour se presser dans la salle du Louvre où elle est exposée ? Donc, apparemment, il faudrait bel et bien être "cultivé" pour apprécier une oeuvre à sa juste valeur.

Mais dans ce cas, ne fait-on pas de l'art un domaine parfaitement "élitiste", réservé à une élite cultivée ? Doit-on admettre qu'il faut séparer le domaine de l'art en deux :

     _ d'un côté des oeuvres avec une vraie valeur artistique, que seule une élite pourrait apprécier (dont ferait partie, par exemple, la "musique classique")

     _ et de l'autre un art de seconde zone, un art "pour les masses", un art de séries TV, de tubes radioponiques et de blockbusters, sans véritable valeur artistique mais qui plaît au plus grand nombre ?

https://img.aws.la-croix.com/2020/01/15/1301072017/rappeur-Soprano-ceremonie-NRJ-Music-Awards-Cannes-9-novembre-2019_0_729_486.jpg

Soprano : un sommet de la musique ?

NRJ Music Awards 2018 : Artiste masculin francophone de l'année.

NRJ Music Awards 2017 : Artiste masculin francophone de l'année.

NRJ Music Awards 2016 : Artiste masculin francophone de l'année.

C'est dans ce cadre qu'il faut aborder ce texte de Hume ci-dessous, que j'accompagne de questions préparatoires. Comme d'habitude, je vous recommande de répondre à ces questions à l'oral ; ceux d'entre vous qui les réaliseraient par écrit peuvent bien spur les envoyer. Pour information, les textes que nous étudions actuellement serviront de support aux exercices d'évaluation qui auront lieu (si les cours reprennent à la date prévue) au mois de juin.

Ainsi, bien que les principes du goût soient universels, et presque, sinon entièrement, les mêmes chez tous les hommes, cependant bien peu d'hommes sont qualifiés pour donner leur jugement sur une œuvre d'art, ou pour établir leur propre sentiment comme étant la norme de la beauté. Quand le critique est dépourvu de délicatesse, il juge sans aucune distinction, et n'est affecté que par les qualités les plus grossières et les plus tangibles de l'objet - les traits fins passent inaperçus et échappent à sa considération. (...) Là où il n'a eu recours à aucune comparaison, les beautés les plus frivoles, qui sont telles qu'elles méritent plutôt le nom de défauts, sont l'objet de son admiration. Là où l'influence du préjugé l'emporte sur lui, tous ses sentiments naturels sont pervertis. Un sens fort, uni à un sentiment délicat, amélioré par la pratique, rendu parfait par la comparaison, et clarifié de tout préjugé, peut seul conférer à un critique ce caractère estimable. Et les verdicts réunis de tels hommes, où qu'on puisse les trouver, constituent la véritable norme du goût et de la beauté.

(David Hume, De la norme du goût, 1757)

1. (phrase 1) D'après le texte, tout le monde est à peu près d'accord sur les grands critères qui permettent de dire si, oui ou non, une oeuvre a de la valeur (artistique). Sur quels critères tout le monde est-il d'accord pour évaluer la valeur d'une oeuvre d'art ? Que doit avoir (ou faire) une oeuvre pour pouvoir être considérée comme une "belle" oeuvre, un oeuvre ayant une valeur ? Cherchez des critères que tout le monde (ou presque) accepte.

2. (phrase 2) En quoi faut-il être "délicat" pour pouvoir juger de la valeur d'une oeuvre ? Qu'est-ce qui fait que, sans délicatesse, on manque les choses qui ont le plus de valeur dans l'oeuvre ? Essayez de trouver des exemples précis.

3. (phrase 3) Pourquoi faut-il pouvoir comparer l'oeuvre à d'autres oeuvres pour pouvoir juger sa valeur ? Pourquoi faurt-il "sy connaître" dans le domaine de l'oeuvre pour pouvoir dire si cette oeuvre-là a une valeur particulière ? Pourquoi, sans cette culture, risque-t-on de trouver "belles" des oeuvres qui sont en fait des ramassis de clichés ?

4. (phrases 4) De quels "préjugés" faut-il s'être débarrassé pour pouvoir juger la valeur d'une oeuvre ? Quels préjugés peuvent fausser notre regard sur une oeuvre d'art, nous empêcher de l'apprécier à sa juste valeur ?

5. (phrases 5 et 6) En quel sens peut-on dire qu'il y a une beauté "objective" d'une oeuvre d'art, et que seuls les experts peuvent l'évaluer ?