Séquence 10

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Bonjour,

Pour cette nouvelle séquence, nous abordons une notion nouvelle, que l'on peut rattacher à la notion plus vaste de "religion" : il s'agit de la notion de croyance. Nous allons aborder cette notion en posant d'emblée l'une des questions "polémiques" qui s'y rattachent :

Peut-il y avoir conflit entre une connaissance rationnelle, scientifique, et une croyance religieuse ? Peut-il y avoir conflit entre raison et foi, entre science et religion ?

Ce qui est intéressant ici, c'est que cette question est souvent posée, aujourd'hui, comme si la réponse allait de soi : bien sûr qu'il peut y avoir conflit ! Et l'on cite alors des exemples comme la théore darwinienne de l'évolution. On voit aussi apparaître des exemples plus historiques : ainsi, face à la question de savoir si c'est la terre qui tourne autour du soleil, ou si c'est l'inverse, on rappellera que Galilée a été condamné par l'Eglise, et que Giordano Bruno a été brûlé.

Donc, le conflit entre science (moderne) et religion semble établi. Mais, à bien y réféchir, les exemples que nous venons de citer posent problème : car aucun des penseurs de la "révolution copernicienne" n'a douté le moins du monde de l'existence de Dieu ; tous ont été de fervents croyants, et tous (Copernic, Kepler, Galilée, Newton...) ont affirmé leur foi dans la vérité du christianisme, en donnant même à Dieu une place centrale dans leur vision de l'univers...

Il semble donc que, pour eux (que l'on cite généralement pour illustrer le conflit entre science et religion), il n'y avait justement PAS, et IL NE POUVAIT PAS Y AVOIR de conflit entre la foi chrétienne et la science... !

Pour aborder cette question, nous aurions pu prendre appui sur des textes de philosophes chrétiens. Mais comme leur réponse à la question n'est pas vraiment différente de celle que l'on trouve dans le (seul) auteur musulman de notre programme, nous allons prendre appui sur lui : il s'agit d'AVERROËS, un (très) grand philosophe, juriste, théologien et médecin du 12e siècle. Pour Averroës, le conflit entre la raison et la foi, entre la science et la religion, entre ce que la raison démontre et ce que dicte la foi, est tout simplement IMPOSSIBLE. Pour une raison simple : ce qui est démontré par la raison est nécessairement vrai, et ce que dicte la foi (c'est-à-dire : ce que disent les textes révélés : la Bible pour les chrétiens, le Coran pour les musulmans) est nécessairement vrai aussi (Dieu ne se trompe pas, et ne nous ment pas). Or comme la vérité ne peut pas contredire la vérité, il ne peut pas y avoir de désaccord entre les deux.

Mais Averroës va plus loin : loin de nous détourner de Dieu, la science nous y ramène. Plus on fait des sciences, plus on étudie l'univers... et plus on est conduit à admettre le fait que cet univers a été créé par un "Artisan", c'est-à-dire par Dieu.

Et inversement, la religion, loin de nous détourner de la science, nous y ramène : car pour approfondir notre connaissance du Créateur, quoi de mieux que d'utiliser la faculté qu'il nous a donnée pour étudier sa Création ?

C'est sur cette double articulation que nous allons nous pencher, à l'aide du texte qui suit.

Attention : dans ce texte, "la philosophie" désigne avant tout la science (l'étude rationnelle du monde), comme c'est souvent le cas jusqu'au 17e siècle. Il s'agit donc bien dans ce texte de savoir pourquoi la science est un devoir religieux, et en quoi la science nous ramène vers Dieu. Et la "Révélation" désigne la Parole de Dieu telle qu'elle nous a été transmise par les prophètes ; il s'agit donc de la Bible pour un penseur chrétien, et du Coran pour un musulman (comme Averroës).

Si la philosophie consiste bien dans le fait d'étudier les choses à l'aide de la raison, et de les étudier dans la mesure où elles prouvent l'existence de l'Artisan, (…) – car de fait, c'est uniquement dans la mesure où on les a étudiées par la raison et que l'on sait comment elles sont constituées que les choses du monde prouvent l'existence de l'Artisan ; et si, d'autre part, la connaissance de l'Artisan s'améliore autant que notre connaissance des choses ; et si, enfin, la Révélation recommande bien aux hommes de réfléchir sur les choses et les y encourage, alors il est évident que l'activité désignée sous le nom de philosophie est, en vertu de la Loi révélée, soit obligatoire, soit recommandée. (…) Puisque donc la Révélation est vraie, et qu'elle exige que nous fassions usage de la raison pour connaître la vérité, alors nous, Musulmans, nous savons avec certitude que l'étude rationnelle des choses n'entrera jamais en contradiction avec les enseignements apportés par le Texte révélé : car la vérité ne peut être contraire à la vérité, mais s’accorde avec elle et témoigne en sa faveur.

Pour étudier ce texte, il faut se poser les questions suivantes :

1. En quoi, d'après le texte, l'étude scientifique du monde peut-elle être considérée comme un devoir religireux ?

2. En quoi le fait d'étudier scientifiquement le monde nous amène-t-il (le texte le dit, mais il n'explique pas pourquoi) à reconnaître que ce monde a été créé par un Dieu (intelligent) ?

3. Peut-il y avoir, d'après l'auteur, un conflit entre ce que la raison démontre, et ce que dit la Révélation (le Coran) ? Pourquoi ?

Pour information, je vous donne ci-dessous les lignes qui suivent le texte : ce qu'elles disent est en tout point conforme avec ce que disait, par exemple, Galilée (à condition de remplacer, éidemment, le Coran par la Bible).

S’il en est ainsi, et que l’examen rationnel aboutit à une connaissance quelconque à propos d’une chose, alors il y a deux possibilités : soit sur cette chose le Texte révélé se tait, soit il énonce une connaissance à son sujet. Dans le premier cas, il n’y a même pas lieu à contradiction […]. Dans le second, de deux choses l’une : soit le sens littéral de l’énoncé est en accord avec le résultat de la démonstration, soit il le contredit. S’il y a accord, il n’y a rien à en dire ; s’il y a contradiction, alors il faut interpréter le sens littéral.  

(Averroës, Discours décisif sur l’accord de la religion avec la philosophie, 1179)

N'hésitez pas à poser des questions si certains aspects du texte vous laissent perplexes. Cette question du rapport entre science et religion a toujours été importante, et elle l'est d'autant plus losrque l'on a tendance à réduire la religion au fanatisme...