Liberté et risque
Pour traiter le sujet ("Une liberté sans risque est-elle possible ?"), vous trouverez ci-dessous quelques ressources.
Je rappelle que :
1. La problématisation du sujet dans l'introduction doit bien opposer deux réponses à la question posée.
2. Le plan, en revanche, n'est pas du tout obligé de consacrer une partie à chacun des membres de l'opposition : il n'est pas nécessaire, par exemple, de consacrer toute une partie à l'affirmation selon laquelle une liberté sans risque serait possible. Ceci risque en effet de vous conduire à une contradiction flagrante (et diffficile à surmonter dans une prise de position cohérente) si vous montrez ensuite... le contraire.
3. La plan doit en tout cas éviter de se limiter à un oui / non, qui ne vous permettra pas de prendre position face au sujet.
4. La notion de risque est essentielle pour ce sujet : elle doit faire l'objet d'une analyse approfondie.
4. Si vous décidez de montrer que la liberté implique forcément un ensemble de risques (qu'il faut alors préciser : ne vous limitez pas à un seul risque), les questions que vous pouvez ensuite poser pour poursuivre le raisonnement sont diverses. Je vous indique quelques pistes :
a. si la liberté reste toujours dangereuse, faut-il alors la préferer à la sécurité, à l'absence de ridsques ? Pourquoi ? L'absence de liberté implique-t-elle l'absence de risque ? Est-il raisonnable de renoncer à la liberté pour gagner la "sécurité" ? De ce point de vue, le texte de Tocqueville peut vous aider à construire votre argumentaire : renoncer à la liberté pour la sécurité, est-ce un bon calcul ?
b. comme toujours lorsque l'on parle de liberté, la question du droit peut être posée. Comment l'Etat, la loi, le droit peuvent-ils chercher à faire en sorte que la liberté soit préservée... tout en limitant les risques qu'elle comporte ? Est-on obligé de choisir entre société "libertaire" (notion à interroger) et Etat "sécuritaire" ? (idem)
c. si la liberté est dangereuse, s'oppose-t-elle au bonheur ? les risques auxquels nous expose la liberté s'opposent-ils au bonheur... ou en font-ils partie ?
d. Il y a plusieurs éléments du cours qui peuvent être mobilisés ; il y en a notamment dans le cours que nous avons consacré au déterminisme social, il y en a également dans le texte de Nietzsche, etc.
Voici quelques textes que vous pouvez mobiliser (attention : le but n'est pas de les mobiliser tous... servez-vous de ceux qui vous aident à construire votre raisonnement). Ils ne sont pas classés selon un "plan" quelconque, mais uniquement par ordre chronologique. A vous de les utiliser à l'endroit approprié de votre raisonnement.
1. Thomas Hobbes (pour Hobbes, c'est bien pour assurer leur sécurité que les hommes acceptent de renoncer à leur liberté)
La cause finale, le but, le dessein que poursuivirent les hommes, eux qui par nature aiment la liberté et l’empire exercé sur autrui, lorsqu’ils se sont imposés ces restrictions au sein desquelles on les voit vivre dans les Républiques, c’est le souci de pourvoir à leur propre préservation et de vivre plus heureusement par ce moyen : autrement dit, de s’arracher à ce misérable état de guerre qui est, je l’ai montré, la conséquence nécessaire des passions naturelles des hommes, quand il n’existe pas de pouvoir visible pour les tenir en respect, et de les lier, par la crainte des châtiments, tant à l’exécution de leurs conventions qu’à l’observation des lois de la nature. […] D’elles-mêmes en effet, en l’absence d’un pouvoir qui les fasse observer par l’effroi qu’il inspire, les lois de la nature (comme la justice,, l’équité, la modération, la pitié, et d’une façon générale, faire aux autres ce que nous voudrions qu’on nous fît) sont contraires à nos passions naturelles, qui nous portent à la partialité, à l’orgueil, à la vengeance, et aux autres conduites de ce genre. Et les conventions, sans le glaive, ne sont que des paroles, dénuées de la force d’assurer aux gens la moindre sécurité.
Hobbes, Léviathan, 1651.
2. Jean-Jacques Rousseau (selon lequel le fait de renoncer à la libefrté au nom de la sécurité est absurde)
"Si un particulier, dit Grotius, peut aliéner sa liberté et se rendre esclave d’un maître, pourquoi tout un peuple ne pourrait-il pas aliéner la sienne et se rendre sujet d’un roi ? Il y a là bien des mots équivoques qui auraient besoin d’explication, mais tenons-nous en à celui d’aliéner. Aliéner c’est donner ou vendre. Or un homme qui se fait esclave d’un autre ne se donne pas, il se vend, tout au moins pour sa subsistance : mais un peuple, pourquoi se vend-il ? Bien loin qu’un roi fournisse à ses sujets leur subsistance il ne tire la sienne que d’eux, et selon Rabelais un roi ne vit pas de peu. […]
On dira que le despote assure à ses sujets la tranquillité civile. Soit ; mais qu’y gagnent-ils, si les guerres que son ambition leur attire, si son insatiable avidité, si les vexations de son ministère les désolent plus que ne le feraient leurs dissensions ? Qu’y gagnent-ils, si cette tranquillité même est une de leurs misères ? On vit tranquille aussi dans les cachots ; en est-ce assez pour s’y trouver bien ?" (Rousseau, Le contrat social (I,4), 1762)
"Renoncer à sa liberté c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs. Il n’y a nul dédommagement possible pour quiconque renonce à tout. Une telle renonciation est incompatible avec la nature de l’homme, et c’est ôter toute moralité à ses actions que d’ôter toute liberté à sa volonté." Rousseau, Le contrat social (I, 4), 1762
3. Nietzsche
« On se rend maintenant bien compte, à l’aspect du travail — c'est-à-dire ce dur labeur du matin au soir — que c’est là la meilleure police, qu’elle tient chacun en bride et qu’elle sait très bien entraver le développement de l’intelligence, des désirs, du goût de l’indépendance. Car le travail use la force nerveuse, dans des proportions extraordinaires, et le soustrait à la réflexion, à la méditation, aux rêves, aux soucis, à l’amour et à la haine (…). Ainsi une société, où l’on travaille sans cesse durement, jouira d’une plus grande sécurité : et c’est la sécurité que l’on adore maintenant comme divinité suprême. » (Nietzsche, Aurore, 1881)
"– le secret pour moissonner l’existence la plus féconde et la plus grande jouissance de la vie, c’est de vivre dangereusement ! Construisez vos villes près du Vésuve ! Envoyez vos vaisseaux dans les mers inexplorées ! Vivez en guerres avec vos semblables et avec vous-mêmes ! Soyez brigands et conquérants, tant que vous ne pouvez pas être dominateurs et possesseurs, vous qui cherchez la connaissance ! Bientôt le temps passera où vous vous satisferez de vivre cachés dans les forêts comme des cerfs effarouchés ! Enfin la connaissance finira par étendre la main vers ce qui lui appartient de droit : – elle voudra dominer et posséder, et vous le voudrez avec elle !" (Nietzsche, Le Gai savoir §283)
4. Alexis de Tocqueville
« Il y a, en effet, un passage très périlleux dans la vie des peuples démocratiques.
Lorsque le goût des jouissances matérielles se développe chez un [peuple] plus rapidement que les lumières et que les habitudes de la liberté, il vient un moment où les hommes sont emportés et comme hors d'eux-mêmes, à la vue de ces biens nouveaux qu'ils sont prêts à saisir. […] Il n'est pas besoin d'arracher à de tels citoyens les droits qu'ils possèdent ; ils les laissent volontiers échapper eux-mêmes. L'exercice de leurs devoirs politiques leur paraît un contretemps fâcheux qui les distrait de leurs affaires. S'agit-il de choisir leurs représentants, de prêter main-forte à l'autorité, de traiter en commun la chose commune, le temps leur manque ; ils ne sauraient dissiper ce temps si précieux en travaux inutiles. […] Ces gens-là croient suivre la doctrine de l'intérêt, mais ils ne s'en font qu'une idée grossière, et, pour mieux veiller à ce qu'ils nomment leurs affaires, ils négligent la principale qui est de rester maîtres d'eux-mêmes. […] Si, à ce moment critique, un ambitieux habile vient à s'emparer du pouvoir, il trouve que la voie à toutes les usurpations est ouverte.
Qu'il veille quelque temps à ce que tous les intérêts matériels prospèrent, on le tiendra aisément quitte du reste. Qu'il garantisse surtout le bon ordre. Les hommes qui ont la passion des jouissances matérielles découvrent d'ordinaire comment les agitations de la liberté troublent le bien-être, avant que d'apercevoir comment la liberté sert à se le procurer ; et, au moindre bruit des passions publiques qui pénètrent au milieu des petites jouissances de leur vie privée, ils s'éveillent et s'inquiètent ; pendant longtemps la peur de l'anarchie les tient sans cesse en suspens et toujours prêts à se jeter hors de la liberté au premier désordre.
Je conviendrai sans peine que la paix publique est un grand bien ; mais je ne veux pas oublier cependant que c'est à travers le bon ordre que tous les peuples sont arrivés à la tyrannie. Il ne s'ensuit pas assurément que les peuples doivent mépriser la paix publique ; mais il ne faut pas qu'elle leur suffise. Une nation qui ne demande à son gouvernement que le maintien de l'ordre est déjà esclave au fond du cœur ; elle est esclave de son bien-être, et l'homme qui doit l'enchaîner peut paraître. » Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, II, chapitre 14, 1840.
5. Pour prendre appui sur des problèmes contemporains (notamment dans les exemples), vous pouvez vous référer au problème du rapport engtre terrorisme et liberté. Est-ce la liberté qui conduit au terrorisme... ou la violation des libertés ? De ce point de vue, le texte suivant de Geneviève Sevrin est assez éclairant.
« Sécurité et droits humains ne sont pas incompatibles. Au contraire, ils sont indissociables. Dans une société où les gens sont à l’abri des agressions et des attentats, d’où qu’ils viennent, les droits à la vie et à l’intégrité physique et mentale sont respectés. Le droit de ne pas être soumis à la torture ou à d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants est au cœur d’une société sûre et démocratique. […]
Les gouvernements ont le devoir de prendre toutes les mesures acceptables pour empêcher que des attentats terroristes ne soient commis sur leur territoire, et pour traduire en justice les personnes soupçonnées d’avoir perpétré ou planifié de tels actes. Ils ne doivent toutefois pas répondre à la terreur par la terreur, c'est-à-dire utiliser les mêmes armes que les terroristes, se rabaisser à leur niveau et instiller encore plus de peur dans les esprits des citoyens. Cette peur ne participe qu’à alimenter les clivages, les antagonismes, les discriminations. Elle contribue à justifier et à légitimer une répression massive et transnationale, au nom de la sécurité et d’une « guerre globale contre la terreur. »
Les droits humains et les libertés fondamentales ne sont pas un luxe réservé aux périodes fastes. Ils doivent être respectés en permanence, y compris en période de danger et d’insécurité. Les règles claires et consensuelles, définies par la communauté internationale dans le cadre de traités relatifs aux droits humains, doivent être respectées plus que jamais lors des conflits, lors des situations d’urgence ou des crises, car c’est justement dans ces moments-là que l’on cherche à justifier, au nom de la « nécessité », les violations les plus atroces. Le respect des droits humains ne compromet pas la sécurité, il y conduit.
Face à la menace terroriste, notre meilleure défense est le respect de nos droits. »
Geneviève SEVRIN, Présidente d’Amnesty International France Juillet 2007, Préface à l’ouvrage de Colombe Camus, La guerre contre le terrorisme, dérives sécuritaires et dilemme démocratique.
Pour les illustrations littéraires ou cinématographiques, vous pouvez (par exemple) mobiliser des sources comme :
"Le meilleur des mondes" (Huxley)
"Un bonheur insoutenable" (Ira Levin)
"1984" (George Orwell)
"V pour Vendetta" (la BD, ou le film)
"Matrix" (le premier de la trilogie)
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