Méthodologie du développement

 

Nous avons exposé les consignes méthodologiques concernant le développement. Elles ne sont pas nombreuses, mais c'est sur le respect de ces consignes (= sur la rigueur de votre argumentation) que vous serez d'abord évalués le jour du baccalauréat. De même que pour l'introduction, ces consignes ne sont pas des caractéristiques arbitraires du développement : si on les pose, c'est que le raisonnement a besoin de les suivre pour pouvoir jouer son rôle : justifier votre prise de position.

Les définitions

Le travail de définition des termes du sujet est la première tâche du philosophe : on ne peut pas raisonner sur quelque chose tant que l'on ne sait pas clairement de quoi l'on parle. Un mathématicien qui chercherait à démontrer le théorème de Pythagore sans savoir clairement ce qu'il entend par "triangle rectangle" ne serait pas sérieux : c'est la même chose en philosophie.

Il est donc fortement recommandé de commencer votre développement par une élaboration des définitions. Généralement, un sujet de philo se compose :

     a) d'une notion du programme (liberté, bonheur, art, justice...)

     b) d'une formule qui vient interroger cette notion : c'est l'angle d'attaque.

La notion du programme, c'est le "thème" du sujet : ce dont il parle, ce sur quoi il porte. En revanche, la formule interrogative, c'est ce qui fait du sujet CE sujet, et pas un autre. Se focaliser sur la notion du programme en oubliant le reste, c'est donc se condamner au hors-sujet. C'est en clarifiant le sens de la formule interrogative que l'on clarifie le sens du sujet.

En ce qui concerne la notion du programme, il s'agit de l'une des (rares) choses que je vous impose d'apprendre par coeur dans le cours. Il n'est pas si facile de se transformer en dictionnaire ; c'est encore plus difficile lorsqu'il s'agit de définir des termes comme "la conscience"... En règle générale, les notions du programme de philosophie sont précisément de celles qui donnent le plus de fil à retordre aux gens qui écrivent des dictionnaires. Nous construirons ensemble la définition de toutes les notions du programme : à vous de les apprendre.

Remarque : il se peut que le sujet mette en rapport deux notions du programme. Par exemple, "Suffit-il d'obéir au droit pour être juste" : il y a à la fois la notion de droit et la notion de justice, qui s'interrogent mutuellement. Seul celui qui peut définir clairement la nature du droit et celle de la justice peut raisonner sur ce sujet.

Deux questions :

Peut-on placer les définitions dans l'introduction ?

Oui, si cela vous permet de montrer en quoi le sujet pose problème. Mais il faut alors éviter d'écarter ces définitions du développement : vous devez vous servir des définitions dans votre raisonnement. Si les définitions ne jouent aucun rôle dans votre argumentation, si vous n'avez jamais besoin de les mobiliser, c'est que vous vous privez de l'un des outils principaux de l'argumentaire philosophique. Mieux vaut donc, même si vous les avez déjà indiquées ou amorcées en introduction, reprendre explicitement les définitions au début du développement.

Peut-on modifier une définition dans le cours du développement ?

Là, il faut faire très attention.

     a) Soit vous construisez votre argumentation en différenciant explicitement deux significations possibles d'un mot ou d'une expression : la réponse pouvant être différente pour chacun des sens. Dans ce cas, il faut le dire explicitement, et mobiliser cette distinction dans votre raisonnement. Par exemple, la formule "peut-on" a deux significations possibles : celle de la capacité / celle du droit. Différencier ces deux sens dans votre raisonnement est une bonne chose, mais il s'agit moins ici d'une modification de définition que d'une différenciation des acceptions.

     b) Soit vous modifiez votre définition parce que votre raisonnement vous conduit à inclure dans la définition quelque chose qui ne s'y trouvait pas au départ. Il s'agit moins ici d'une modification de la définition que d'un enrichissement, d'un approfondissement de la définition que vous avez donnée au départ. Là encore, aucun problème : le fait de faire évoluer la définition du fait du travail argumentatif est signe que votre raisonnement est fécond.

     c) Soit vous changez le sens d'un terme sans le dire d'une partie à l'autre, sans marquer la différence de sens. Il s'agit alors d'une faute logique : vous ne parlez tout simplement pas de la même chose d'une partie à l'autre. Il y a une formule pour désigner cette attitude : cela s'appelle "jouer sur les mots"... ce qu'il vaut mieux éviter ! Et ce, d'autant plus que vous risquez fortement d'aboutir à des contradictions : la partie I affirmera que "A est B", tandis que la partie II affirmera que "A n'est pas B", sans mettre en lumière que, ce qui casse la contradiction, c'est tout simplement qu'il ne s'agit pas du même A dans l'une et l'autre parties...

Pour éviter ce genre d'erreur, la meilleure stratégie est d'adopter une méthode qu'adorent les philosophes : la distinction conceptuelle. Il s'agit de préciser le sens de l'un des termes du sujet en le distinguant d'un autre terme, qui est un peu différent, mais pour lequel la réponse (au sujet) peut être différente. Par exemple, il peut être intéressant, lorsque l'on voit le terme "d'obéissance" apparaître dans un sujet, de distinguer soigneusement l'obéissance de la soumission. Ce sont deux termes proches, mais qui divergent sur un point très important (la raison de l'obéissance)... qui est généralement décisif dans un raisonnement philosophique.

 

La construction des paragraphes

Un paragraphe, c'est une unité d'argumentation. Chaque paragraphe doit aboutir à la démonstration d'une affirmation claire. Parler de "paragraphe" ne signifie donc pas que vous n'avez pas le droit de revenir à la ligne (vous le pouvez) : cela signifie simplement que vous devez construire des "modules" argumentatifs qui obéissent tous à la structure argumentative suivante :

     a) Thèse. C'est l'affirmation que le paragraphe va démontrer. Il faut toujours préciser où vous voulez en venir, dès le départ : il est beaucoup plus facile pour un lecteur de comprendre ce que prouve votre argument quand il sait déjà ce qu'il est censé prouver. Un mathématicien ne découvre pas à la fin de sa démonstration le théorème qu'il voulait démontrer. Une thèse doit impérativement être précise : une thèse vague, floue est difficile à prouver, et vous orientera vers un raisonnement fondé sur de simples exemples, ce qu'il faut à tout prix éviter. Par exemple, une thèse comprenant la formule "dans certains cas" a toutes les chances d'être "démontrée" par une liste de "cas" dans lesquelles la thèse est valide. Or une liste d'exemples n'est jamais une preuve : ce n'est pas parce que le théorème de Pythagore vaut pour les triangles X, Y et Z qu'il est vrai en général.

     b) Justification. C'est le moment-clé de l'argumentation : c'est là que vous donnez le ou les arguments qui permettent de prouver lma validité de votre thèse. Vous devez donnez les raisons pour lesquelles la thèse est vraie. Dans la mesure où c'est le moment clé (de même que la démonstration est le moment-clé en mathématiques), il ne faut pas hésiter à développer votre argument. Une dissertation de philo n'est pas une dissertation de français : tant pis s'il y a des répétitions, le but est qu'à l'issue de votre travail la thèse soit justifiée.

Remarque : justifier une thèse, montrer qu'elle est vraie, ce n'est pas faire soigneusement abstraction de toutes les objections qu'on pourrait lui faire. Au contraire. Plutôt que de construire votre raisonnement en "'listant" dans une première partie tous les arguments "pour" et dans une deuxième partie tous les éléments "contre" (plan à éviter... et qui vous conduira à de magnifiques contradictions), il est préférable d'envisager ces objections dans votre travail de justification. C'est souvent la réfutation des arguments adverses qui vous permettra d'approfondir votre réflexion, ou de montrer quand / à quelles conditions / dans quel domaine / pour quel sens du terme (etc.) vous avez raison, et quand / à quelles conditions / dans quel domaine / dans quel sens du terme (etc.) l'objection est valable. Oublier les objections à la thèse, c'est souvent se condamner à enchaîner les évidences... à évacuer tous les problèmes !

     c) Illustration. C'est le moment où vous allez décrire un cas, une situation dans laquelle votre thèse est valide. De même qu'en mathématiques, on ne comprend réellement quelque chose que lorsque l'on applique, sur des cas précis, la formule générale. Une bonne illustration n'a pas seulement pour caractéristique d'illustrer la thèse (tiens, ça marche !) ; elle doit surtout illustrer l'argument : en effet, dans ce cas précis, la thèse marche, et elle marche pour les raisons que nous avons données dans notre justification.

Je prends un exemple. Supposons le sujet : "Suffit-il d'appliquer la loi pour être juste ?"

Supposons que, dans votre développement, vous souteniez la thèse suivante : [Th] "Pour appliquer correctement la loi, il faut d'abord interpréter la loi". On pourrait proposer l'argument suivant : [Arg] ce qui est important dans la loi, ce n'est pas ce qu'elle dit, pris à la lettre, mais ce qu'elle veut dire, ce que le législateur voulait dire lorsqu'il a rédigé cette loi. Si l'on ne comprend pas l'intention du législateur, le but qu'il poursuivait en rédigeant sa loi, la "raison d'être" de la loi, on a toutes les chances de l'appliquer de travers. Que prendre alors comme exemple ? Je mobilise ici mon exemple préféré : [Ex] la consigne du règlement intérieur qui dit : "les élèves n'ont pas le droit de prendre l'ascenseur". Si on applique cette loi sans se demander pourquoi elle a été formulée, on va aussi interdire aux élèves en fauteuil roulant de se rendre dans les salles de cours. En revanche, si on interroge le sens de la loi, si on se demande ce que voulait dire celui qui l'a rédigée, si l'on interroge le but qu'il poursuivait (garantir la sécurité des élèves dans l'établissement), il est évident que l'on va trouver la "bonne" application de la règle. Appliquer correctement cette consigne du règlement, ce n'est pas la suivre aveuglément : c'est l'interpréter pour retrouver son sens véritable, et agir conformément à ce sens. En l'occurrence, le professeur ne va pas interdire à l'élève qui se déplace en fauteuil roulant de prendre l'ascenseur ; au mieux, il va l'accompagner...

 

     d) Synthèse. C'est le moment où vous revenez au sujet. Le but est de montrer en quoi ce que vous venez de dire apporte un élément de réponse au sujet, d'établir "le rapport" entre votre démonstration et le problème global. C'est un très bon repère pour votre lecteur, et c'est votre meilleur garde-fou contre le hors-sujet. Si l'in fait l'effort de construire de bonnes synthèses, il est à peu près impossible de faire un hors-sujet ; en revanche, si l'on oublie les synthèses, on peut se laisser dériver vers des thèses qui répondent de moins en moins au problème général.

Voilà les quatre étapes dans la construction d'un paragraphe. Je vous recommande fortement de respecter cet ordre d'exposition dans votre travail rédigé. Dans le travail préparatoire, il est souvent judicieux de commencer par les exemples : c'est en prenant des cas où la thèse "marche", ou des cas où elle "ne marche pas", et en se demandant POURQUOI elle marche / ne marche pas, que l'on trouve l'argument.  Mais dans votre travail définitif, le fait de respecter l'ordre thèse / argument / exemple / synthèse vous empêchera de fusionner l'argument et l'exemple. Lorsque l'on commence par l'exemple, il arrive que l'argument que l'on donne ne soit en fait valable QUE pour l'exemple... voire que l'exemple se soit tout simplement substitué à l'argument.

Trois questions :

Combien faut-il de parties dans un développement ?

Le nombre qu'il faut pour soutenir votre thèse réponse. Si vous ne faites qu'une partie, cela veut dire que vous aurez traité tous les aspects du sujet en même temps... ce qui est risqué du point de vue de l'argumentation (il est par exemple assez dangereux de vouloir traiter en même temps la question de la capacité et celle du droit), et du point de vue de l'exposition (manque de clarté). Un plan en deux parties peut être excellent, si vous prenez bien garde à ne pas enchaîner un "oui" général puis un "non" général, ce qui revient tout simplement à exposer une contradiction sans prendre position. Un plan en trois parties est souvent pertinent, notamment dans la mesure où le fait de construire une "troisième" partie constitue souvent un gain de liberté. Une fois que vous avez traité deux enjeux fondamentaux du sujet, vous pouvez chercher à prolonger la réflexion en posant une question qui, sans être immédiatement celle du sujet, lui est directement corrélée ; vous pouvez également tenté de renverser le sujet, en retournant la question initiale : bref, vous pouvez vous amuser un peu. A partir de quatre parties, il vaut mieux se méfier ; trop de parties nuisent à la clarté et à l'unité du raisonnement : le but est bien de parvenir à une prise de position globale. Si vous multipliez les thèses, elles risquent de devenir incompatibles...

Combien faut-il de paragraphes par parties ?

Cela dépend des thèses que vous allez soutenir. Certaines thèses "massives" exigent qu'on leur consacre toute une partie, car elle constituent un élément de réponse majeur au sujet. Dans l'exemple précédent, le fait de dire qu'appliquer la loi, c'est l'interpréter et non la suivre à la lettre, peut remplir tout une partie. En revanche, une partie peut être axée sur une affirmation qui exige d'être décomposée en deux thèses. Dire que la liberté consiste à s'obéir à soi-même, c'est par exemple à la fois dire (thèse 1) que ce n'est pas obéir à ses désirs, mais qu'en revanche (thèse 2), c'est obéir à...

Que deviennent les transitions ?

Une transition, c'est ce qui manifeste le lien entre deux parties. Il est très difficile de donner des consignes méthodologiques pour construire de "bonnes" transitions : une bonne transition, c'est.... une transition, c'est-à-dire une phrase qui part de là où l'on vient d'arriver, et qui aboutit là où on redémarre. En règle générale, chaque partie traite un aspect majeur du sujet : le but est donc de montrer que, l'un des enjeux ayant été traité, il reste un autre enjeu : celui que l'on va aborder maintenant. Le plus simple est souvent de formuler clairement la question à laquelle votre partie suivante cherche à répondre : que reste-t-il à éclaircir ?