Sujet corrigé n° 2 : morale et politique

Bonjour,

Pour celles et ceux qui souhaitent se préparer aux exercices de philosophie l'année prochaine, je vous propose aujourd'hui de réfléchir à un sujet difficile, mais assez incontournable. Il s'agit de la question de savoir si on peut considérer que certaines morales sont meilleures que d'autres.

C'est par excellence une questions piège ; le genre de questions auxquelles un homme politique doit toujours évitrer de répondre. Le problème est en effet que, quelle que soit la réponse que l'on donne, on semble confronté à des conséquences qu'il est très difficile d'assumer.

Supposons en effet que l'on réponde :

"non, toutes les morales sont respectables, nous ne devons pas considérer que notre morale est supérieure à celle des autres, et surtout pas la leur imposer."

Dans ce cas, vous devrez admettre que notre morale actuelle, fondée sur le respect de la dignité, de la liberté, de ce que nous considérons comme les "droits fondamentaux" des individus, n'est pas supérieure à celle d'Hitler, par exemple. Et que donc, il n'était pas du tout légitime de combattre le nazisme puisque, en fin de compte, la morale nazie a la même valeur que la nôtre, et est tout aussi respectable.

On voit assez vite que si notre homme politique dit ce genre de choses, son avenir risque d'être compromis.

Mais supposons maintenant qu'il réponde l'inverse :

non, toutes les morales n'ont pas la même valeur, il y a des morales supérieures à d'autres.

Bien évidemment, il faudra préciser ce que sont ces morales "supérieures", et selon quel critère. Or bien évidemment, la seule réponse possible est que la morale supérieure est la nôtre ; sinon... pourquoi l'adopterions-nous ? Il est impossible d'adopter une morale sans considérer que c'est la bonne : dire "le viol est immoral", c'est dire "nous avons raison de considérer que le viol est immoral, et ceux qui considèrent que le viol est une bonne chose se trompent".

A la rigueur, nous pourrons joindre aux "bonnes morales", en plus de la nôtre, toutes celles qui... sont d'accord avec elle, pour l'essentiel.  Ainsi, toutes les morales qui respectent la dignité, la liberté, l'égalité en droits de tous les hommes sont de "bonnes" morales, alors que celles qui ne les respectent pas sont des "mauvaises" morales.

Donc c'est simple : sont bonnes les morales qui s'accordent avec... la nôtre.

Cette affirmation non plus ne semble pas soutenable. D'abord parce que cela conduit à revenir à l'impérialisme colonial : les peuples qui ont des morales différentes des nôtres sont dans l'erreur, ils commettent des actes qui, en fait, sont immoraux : ils sont donc méchants (être méchant, c'est commettre des actes immoraux) : il faut donc les empêcher de suivre leur morale, et les contraindre à respecter la nôtre. Il y a des Africains qui commettent des actes qui nous choquent (on peut penser à l'excision) : c'est parce qu'ils ont des valeurs encore barbares, archaïques, il faut donc les éduquer pour leur faire comprendre que la bonne morale, c'est la nôtre

Si vous n'avez pas une sensation désagréable en affirmant qu'il y a des Africains qui ont encore une morale (de) barbare, et qu'il faut vite les éduquer pour leur enseigner la bonne morale, c'est-à-dire la nôtre... il faut aller revoir vos cours sur la colonisation.

On pourrait être tenté de répondre : non, leur morale (qui justifie, par exemple, l'excision) est une mauvaise morale, mais cela ne nous autorise pas à les juger ou les contraindre. Mais cela ne va pas non plus. Pour ce qui est de ne pas juger, c'est impossible. Celui qui admet les principes fondamentaux de la morale occidentale actuelle ne peut pas dire : oui, l'excision est un acte de torture, non, rien ne peut le justifier, oui, l'excision doit être combattue, c'est un acte barbare.... mais je ne juge pas. Cela ne veut rien dire. Dire : ceci est bien / ceci est mal, c'est déjà louer celui qui fait ce qui est bien, et blâmer celui qui fait ce qui est mal. Dire : ceci est un a cte barbare, ce n'est pas "s'abstenir de juger" celui qui le fait.

Et pour ce qui est de ne pas intervenir... il serait assez difficile de dire que vous condamnez le viol, par exemple, en assumant le fait que vous n'interviendrez pas si vous voyez une femme se faire violer devant vous.

Mais ce n'est pas tout.

Car quel critère va-t-on pouvoir utiliser pour dire ce que sont les "bonnes" morales ? Cela semble simple : une "bone" morale, c'est une morale qui respecte la liberté, l'égalité, etc. Donc : une bonne morale, c'est une morale qui respecte les principes... de notre morale. Mais pourquoi celle-là ? Un nazi pourrait tenir le même raisonnement : une "bonne" morale, c'est celle qui permet de sauvegarder la pureté de la race aryenne, etc. Et, pour prendre un autre exemple : un Inquisiteur du Moyen-Âge pourrait vous dire qu'une bonne morale, c'est très simple : c'est une morale qui respecte les commandements de la religion chrétienne, etc.

La question est alors : comment prouver que nos principes moraux... sont les bons ? Comment "démontrer" qu'il est meilleur de respecter la liberté, par exemple, que les commandements divins ou la pureté de la race aryenne ? Les calculs mathématiques ne serviront à rien, les expériences en laboratoire non plus... La science ne servira à rien. Reste notre intime conviction... mais pourquoi serait-elle meilleure, supérieure à celle de nos adversaires ?

Donc, à la question : "toutes les morales se valent-elles", toute réponse semble aboutir à des problèmes insurmontables, voire à des propositions scandaleuses. Et pourtant, il est assez difficile de dire que "ce n'est pas important", ou que "la question ne se pose pas"... parce qu'elle se pose tous les jours, qu'elle est impliquée dans la plupart des massacres humains, et que c'est d'elle que dépend la légitimité de nos "droits de l'homme".

Pour le moment, n'essayez pas de construire un devoir. Essayez de vous approprier les questionnements ci-dessus, en voyant ce que vous pourriez essayer de leur répondre.

Si quelqu'un vous dit que non, toute les morales sont également respectables, et que "notre" morale n'a, en soi, pas plus de valeur que la morale nazie, que répondrez-vous ?

Et si quelqu'un vous demande sur quoi vous vous fondez pour estimer que votre morale est supérieure à celle des autres, que pourrez-vous répondre ? Il va de soi que si vous énoncez simplement vos valeurs fondamentales (notre morale respecte la liberté et l'égalité, etc.), il peut en faire autant, et cela ne vous avancera pas beaucoup.

Et si quelqu'un vous demande si un individu a le droit d'utiliser la violence pour imposer à un autre individu le respect de sa morale à lui, que répondrez-vous ? A-t-on le droit de recourir aux armes pour empêcher quelqu'un de suivre sa morale, et le contraindre à respecter la nôtre ?

Si on répond "oui", de quel droit blâmerons-nous, par exemple, l'Inquisiteur du Moyen-Âge qui brûle les hérétiques ?

Et si on répond "non", comment allons-nous justifier le recours aux armes pour combattre, par exemple, le nazisme, ou le terrorisme ?

Il est  vraiment important que vous vous "enlisiez" un peu dans ces questions. Si vous n'avez pas l'impression de vous enfermer dans des cercles vicieux, c'est que vous n'avez pas assez réfléchi :-)

Je vous laisse donc un temps de réflexion, sur lequel nous prendrons ensuite appui pour essayer de construire une réponse argumentée face à ce sujet. Encore une fois, si vous continuez à faire de la philo l'année prochaine... vous y serez confrontés.

Bon travail !