8. Texte de Kant
Bonjour,
Nous passons au texte 8 : le texte de Kant sur Etat, bonheur et liberté.
Voici le texte :
Le principe de liberté, sur lequel on doit prendre appui pour fonder une société politique juste, je l'exprime dans la formule suivante : personne ne peut me contraindre à être heureux d'une certaine manière (celle dont il conçoit le bien-être des autres hommes), mais il est permis à chacun de chercher le bonheur dans la voie qui lui semble, à lui, être la bonne, pourvu qu'il ne nuise pas à cette forme de liberté qui est compatible avec la liberté de chacun (autrement dit : qu'il ne nuise pas à ce même droit chez autrui). Un gouvernement qui serait fondé sur le principe selon lequel il doit « faire le bien » du peuple, comme doit le faire un père envers ses enfants, c'est-à-dire un gouvernement paternaliste, où par conséquent les hommes, comme des enfants mineurs incapables de savoir et de décider par eux-mêmes de ce qui est bon pour eux, sont obligés de se comporter de manière uniquement passive et obéissante ; un gouvernement, donc, selon lequel les hommes doivent attendre du chef de l’État qu'il leur dicte la marche à suivre pour être heureux (…) ; un tel gouvernement, dis-je, est la plus grande dictature que l'on puisse concevoir, qui supprime toute liberté des sujets.
KANT Théorie et pratique, II, 1
Pour l'explication de ce texte, il est nécessaire de revoir votre cours sur le rôle de l'Etat (Etat paternaliste / Etat républicain) : l'Etat doit-il chercher à faire le bonheur des individus ? La connaissance des propositions 5 à 7 de l'Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique est également très utile.
Le texte ne présente pas de difficultés particulières ; le but de Kant est de montrer que l'Etat ne doit pas prétendre faire le bonheur des individus (ce qui l'obligerait à imposer sa propre conception du bonheur à chacun), mais uniquement garantir leur liberté.
Les étapes du texte sont faciles à repérer :
1. Kant commence par énoncer que le principe fondamental, sur lequel repose la Constitution d'une société juste, est la garantie de la liberté de chacun. Cette liberté ne doit pas avoir d'autre limite... que la liberté elle-même, c'est-à-dire la liberté des autres. Donc : chacun doit être reconnu libre de faire ce qu'il veut, tant que ce qu'il veut ne porte pas atteinte à la liberté d'autrui.
2. Kant précise que cette garantie de la liberté implique la recherche du bonheur : chacun doit être laissé libre de chercher le bonheur comme il l'entend ; chacun peut avoir sa propre conception du bonheur, et sa propre idée des meilleurs moyens qui lui permettront de l'atteindre. L'Etat n'a pas à intervenir dans la recherche par chacun de son bonheur, et encore moins à imposer sa propre conception du bonheur à tous les individus. Encore une fois, la seule limite que l'Etat doit imposer, c'est le respect de la liberté des autres. Chacun doit donc avoir le même droit à poursuivre le bonheur comme il l'entend, tant qu'il n'empêche pas les autres d'en faire autant.
3. Kant procède alors à la critique de la conception "paternaliste" de l'Etat : un Etat qui prétendrait "faire le bien" des individus, comme un père doit le faire pour ses enfants, est un Etat tyrannique. Un Etat paternaliste chercherait en effet à faire le bien des individus, en leur imposant, par exemple, de faire ce que, selon lui, ils doivent faire pour être heureux ou ce que, selon lui, ils doivent faire pour garantir leur Salut (il doit alors veiller à ce qu'ils adoptent la "bonne" religion, qu'ils adoptent la "bonne" morale, etc.) Cet Etat viole, pour Kant, le respect de la liberté. Chaque homme étant doté de raison et de conscience, il est capable de déterminer par lui-même ce qui est bien (ce qui est bon pour lui, mais aussi ce qui est "le bien" en général) : aucun Etat n'a le droit de lui imposer sa propre conception du bonheur ou de la morale. Un Etat paternaliste n'est donc pas seulement un Etat "dictatorial" (qui impose la volonté du Souverain), c'est le pire des Etats dictatoriaux, puisqu'il viole la liberté qu'il devrait garantir. Si l'Etat imposait le respect de règles dictées par la raison (ce qui caractérise en fait le "despote éclaitré" cher aux Lumières, comme Voltaire), on pourrait discuter. Mais (comme nous l'avons explique dans le cours sur le bonheur), il n'y a pas de méthode rationnelle permettant d'aboutir au bonheur avec certitude, selon Kant. Donc en imposant une conception du bonheur, l'Etat ne fait qu'imposer un idéal qui ne peut pas être démontré rationnellement.
Ce texte fonde donc la conception républicaine de l'Etat : le but de l'Etat n'est pas de "veiller au bien" de ses sujets, mais de garantir à chaque individu la jouissance de son droit fondamental à la liberté. C'est ce but de l'Etat qui sera proclamé par la Déclaration des drloits de l'homme et du citoyen : l'Etat (n')est institué (que) pour garantir à chaque individu la jouissance de ses droits naturels, dont le premier est la liberté.
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