Kant, position du problème
La première "oeuvre suivie" dont nous allons nous occuper cette année est l'oeuvre de Kant intitulée "Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique".
Nous avons rappelé, avant l'interruption, quelques considérations générales portant sur Kant (considérations qu'il faut avoir en tête le jour d'une épreuve orale, et qu'il faut mobiliser dans votre paragraphe intrductif permettant de présenter l'auteur, l'oeuvre et le texte).
1. Pour commencer, Kant est un philosophe allemand des Lumières (le nom du courant allemand des Lumières est : Aufklärung). Or le principe fondamental de tous les penseurs des Lumières est que l'homme, pour fonder ses jugements et ses actions, doit faire usage de ses facultés naturelles : en premier lieu sa raison, et sa conscience.
2. Nous avons déjà vu en cours ce que permettait la raison dans le domaine de la morale : la raison, grâce à la "loi morale", nous indique ce qui est Bien, et nous commande de le faire. Pour être moral, il suffit de suivre sa raison, laquelle nous commande de : "toujours agir conformément à des maximes qui peuvent être établies en lois universelles". Pour savoir si une action est morale ou non, il suffit de raisonner : soit elle est universalisable, soit elle ne l'est pas. Si elle ne l'est pas (par exemple : le viol ne peut pas être universalisé... sans que l'on aboutisse à une contradiction : un viol réciproque s'autodétruit), c'est qu'elle est immorale.
3. Nous avons également vu que la liberté, pour Kant (qui, de ce point de vue, s'inscrit dans la lignée qui va de Platon à Spinoza), la liberté consiste à suivre sa raison. Être libre, c'est agir conformément, no à ce que me dictent mes désirs ou une autorité extérieure, mais bien conformément à ce que ma raison me dit être "le meilleur choix", le choix le plus raisonnable. En ce qui concerne la liberté, nous avons déjà indiqué le point de convergence / divergence entre kant et Rousseau : tous deux s'accordent sur le fait que la liberté consiste, pour m'homme, à suivre ses faculéts naturelles. Mais alors que pour Kant, il s'agit d'abord de suivre sa raison, pour Rousseau il s'agit de suivre sa raison... quand celle-ci est éclairée et guidée par sa conscience (morale).
4. Nous avons enfin indiqué, dans le cours sur le bonheur, ce qu'il en était de la raison : malgré sa puissance, la raison est incapable (contrairement à ce que voulait Epicure) de nous donner une méthode claire, permettant à tout individu d'atteindre le bonheur avec certitude. La principale raison en est, nous l'avons vu, qu'il nous est impossible de savoir ce que sont les désirs dont la réalisation nous rendrait plus heureux. Ici (et, chez Kant, c'est assez rare), il faut renoncer à s'en remettre à la simple raison, et prendre appui sur l'expérience, qui, quant à elle, peut seulement nous indiquer ce qui, le plus souvent, chez la plupart des gens, peut favoriser... le bien-être (avoir une alimentation équilibrée, etc.) On est donc oin d'une méthode rationnelle permettant d'atteindre le bonheur avec certitude.
5. La question est donc de savoir ce qu'il en est de la raison dans le domaine de la connaissance, et notamment dans le domaine des sciences. Si la question-clé dans le domaine moral était : "Que dois-je faire ?" (Kant a répondu dans son oeuvre intitulée : "Critique de la raison pratique"), il s'agit maintenant de demancer : "Que puis-je connaître ?". Kant a cherché à répondre à cette question dans l'oeuvre intitulée : "Critique de la raison pure". Et il est parvenu aux résultats suivants :
a. Dans le domaine des mathématiques, la raison (sans prendre appui sur des observations) peut aboutir à des jugements certains ; comme ces jugements n'ont pas besoin de recourir à l'expérience pour être vérifiés, Kant les appelle : jugement a priori. Il faut faire attention à cette formule en philosophie. Quand un philosophe dit : "a priori", cela ne veut pas dire (comme c'est généralement le cas dans le langage courant) : "normalement, il est probable que...". Pour un philosophe "a priori" signifie que ce que l'on affirme est absolument certain, indépendamment de toute expérience : on n'a pas besoin de faire des observations "pour vérifier", on est absolument certain avant même d'avoir observé quoi que ce soit. Par exemple, le théorème de Pythagore, une fois qu'on l'a démontré, est vrai a priori : nul besoin de "vérifier sur la figure", c'est spur et certain.
b. Dans le domaines des sciences de la nature, la raison ne peut pas aboutir à des conaissances certaines sans prendre appui sur l'expérience, sur des observations. Cela ne signifie pas que la conaissance se limite à un "empilement" d'observations. cela signifie seulement (d'une façon assez proche de ce que nous avons développé avec Claude Bernard) que la raison et l'observation doivent collaborer dans le domaine scientifique.
c. Se pose alors la question-clé : qu'en est-il de la connaissance rationnelle dans ces autres domaines, que l'on appelle pas encore, au XVIII° siècle, les "sciences humaines", mais qui correspondent néanmoins aux domaines liés à la présence et à l'action de l'Homme ? Et en particulier, qu'en est-il de l'Histoire ? L'histoire est-elle une "science" ? est-il possible de mettre en oeuvre une démarche de connaissance (d'explication, de compréhension) rationnelle dans le domaine historique ? L'histoire est-elle "rationalisable" ?
C'est la question à laquelle Kant cherche à répondre dans l'oeuvre qui nous occupe.
Quel est le problème ? Il est assez simple. Pour qu'un ensemble de faits soient "rationalisables", que la raison puisse les expliquer et les comprendre, il n'y a que deux possibilités.
a. soit ces faits sont régis par des lois, que l'on peut mettre en lumière et que l'on peut mobiliser pour décrire, comprendre et prévoir les phénomènes. C'est notamment le cas dans les sciences de la nature. Le but du scientifique, c'est de mettre en lumière les lois qui régissent le comportement des éléments (atomes, champs, corps, etc.) pour pouvoir en faire la théorie et élaborer des techniques permettant d'agir sur eux. Bien sûr, cela n'est possible que parce que ces éléments obéissent, de fait, à des lois ; si leur comportement était purement chaotique, aléatoire, il serait parfaitement impossible d'en faire la théorie. On ne pourrait ni expliquer, ni prévoir quoi que ce soit.
b. soit les éléments que l'on étudie sont raisonnables : c'est-à-dire qu'ils sont dotés de raison, et décident de suivre les recommandations de leur raison. Il devient alors possible de décrire, d'expliquer et de comprendre leur comportement à l'aide de la raison. Il est clair que le comportement d'un individu totalement rationnel... n'a rien de mystérieux aux yeux de la raison.
Donc :
_ soit les éléments sont déterminés par des lois et des mécanismes fixes (que la raison peut retrouver)
_ soit ils sont dictés par la raison (et la raison peut donc les expliquer).
Face à des éléments dont le comportement est "totalement déterminé" (corps solide) ou "totalement libre" (sage absolu), il y a place pour une connaissance rationnelle. Et l'on voit alors le problème qui se pose, et que va poser le texte 1 : l'homme, lui, n'est ni une chose déterminée, ni un sage absolu. Il n'est pas mécaniquement déterminé par des lois naturelles (comme les atomes), il ne se décide pas seulement en fonction de considérations rationelles (comme le "sage absolu").
Mais alors.... comment expliquer, comprendre et prévoir ce qu'il fait à l'aide de la raison ?
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