Proposition 4, discussion
Comme support de discussion du texte de Kant, nous prendrons appui sur la question suivante : l'égoïsme est-il le moteur du progrès social ?
Pour changer un peu, nous allons soutenir une réponse affirmative à cette question, qui paraît pourtant paradoxale. Noua sllons essayer d'indiquer pourquoi on peut avancer que :
a) L'égoïsme individuel, la recherche par chacun de son intérêt, est le moteur du développement collectif des sociétés humaines
b) c'est la rivalité, la concurrence entre les individus qui pousse chacun à exploiter pleinement ses capacités
Ces deux thèses peuvent sember étranges, mais elles se situent pourtant au coeur de la pensée économique classique, telle qu'elle s'élabore, par exemple, chez Adam Smith. Pour Adam Smith, c'est bien la recherche par chacun de son intérêt personnel (ce que les économistes appelleront ensuite : la maximisation de son utilité) qui est le moteur des échanges économiques. La logique de l'échange social économique, ce n'est ni la charité, ni la générosité : c'est l'égoïsme.
Pour reprendre un exemple d'Adam Smith, lorsque je vais voir mon boulanger, ce que je vise avant tout, c'est mon intérêt, c'est-à-dire le fait d'obtenir le meilleur pain au meilleur prix. Et lui voit, lui aussi, son intérêt de commerçant.
Mais il y a plus. Qu'est-ce qui fait que le boulanger va "donner le meilleur de lui-même" ? C'est qu'il est en situation de concurrence avec les autres boulangers. Si un autre boulanger vend un pain de meilleur raport qualité-prix, mon boulanger sait que je risque fort de cesser de me rendre chez lui. Par conséquent, le jeu entre mon égoïsme et son égoïsme le pousse à vendre le meilleur pain possible au meilleur prix possible. La concurrence entre les boulangers pousse donc les boulangers à donner le meilleur d'eux-mêmes, ce qui est une bonne chose pour moi, pour le secteur boulangerie, et pour l'ensemble des consommateurs..
Mais plus encore : que va-t-il se passer du fait de la concurrence entre les boulangers ? Le jeu de la concurrence va conduire tout naturellement, et sans que personne ne le recherche explicitement, au fait que les meilleurs boulangers, les plus compétents (les plus doués et les plus travailleurs), vont prospérer. Alors que les moins compétents (les moins doués et les moins travailleurs) vont faire faillite. En d'autres termes, le jeu de la concurrence va faire en sorte que le secteur "boulangerie" ne soit occupé que par les professionnels les plus compétents, les autres étant réorientés vers des secteurs dans lesquels ils seront plus "compétitifs".
Bref, le jeu de la concurrence nous rapproche naturellement de la "justice" au sens que Platon donnait à ce terme : pour Platon, une Cité juste est celle dans laquelle chacun occupe la place qui lui convient-revient, le poste social qui correspond à sa nature, à sa compétence, à son domaine d'excellence. L'égoïsme des clients, articulé à celui des consommateurs, conduit à une situation dans laquelle les boulazngeries sont occupées par les boulangers les plus travailleurs et compétents, qui donnent le meilleur d'eux-mêmes pour proposer le meilleur pain aiu meilleur prix : de quel meilleur système peut-on rêver ? N'est-ce pas optimal pour le Bien commun ?
On voit ainsi comment la logique de l'échange économique, telle qu'elle se construit avec Adam Smith, radicalise dans le champ économique les idées de Kant : l'égoïsme des individus et la concurrence entre individus sont les moteurs du développement économique et social des sociétés humaines.
L'égoïsme n'a donc rien d'un "problème" social : c'est une solution.
Et un autre économiste, Mandeville, ira plus loin qu'Adam Smith dans cette valorisation des tendances "peu sympathiques par elles-mêmes" de l'être humain. Selon la thèse indiquée par Mandeville dans sa "fable des abeilles", ce n'est pas seulement l'égoïsme humain qui conduit à l'instauration des sociétés les plus développées, les plus civilisées : ce sont bien toutes les tendances détestables de l'être humain : sa méchanceté, sa rapacité, sa violence mêmes sont des atouts pour la société. Les vertus humaines peuvent être économiquement néfastes : mais les vices humains sont des moteurs du développement économique et social.
Attention : ces idées ne sont pas énoncées par Kant lui-même : elles appartiennent à un champ théorique qui lui succédera (Kant parle très, très peu d'économie). Mais on voit comment, de l'insociable sociabilité, on peut passer sans heurts aux thèses fondamentales du libéralisme économique (voire du néolibéralisme). En effet :
a) dans la mesure où le jeu de l'égoïsme et de la concurrence mène spontanément au développement socio-économique optimal des sociétés humaines,
alors
b) l'Etat n'a guère besoin d'intervenir dans la sphère des échanges économiques ; car l'individu n'a pas besoin d'incitations fiscales ou de sanctions pénales pour laisser libre cours à son égoïsme naturel ! Ce à quoi l'Etat devra avant veiller, dans l'optique qui est la nôtre ici, c'est à un bon fonctionnement du mécanisme de la concurrence. Par exemple, il devra veiller à ce que ne se forment pas de "monopoles", qui détruisent le jeu de la concurrence et donc nuisent à l'optimisation du marché (un monopoleur peut vendre un moins bon pain à un moins bon prix, puisque de toutes façons je suis obligé d'aller chez lui...) C'est en maintenant les individus dans une situation de concurrence perpétuelle qu'on les pousse à donner le meilleur d'eux-mêmes, etc. Tels sont bien les principes du libéralisme, voire du néolibéralisme.
Il y a incontestablement des choses intéressantes dans cet argumentaire, et qu'il est important de connaître pour comprendre pourquoi l'Union Européenne a pu inscrire dans sa Constitution le principe de concurrence "libre et non faussée". Des choses intéressantes, donc... mais aussi discutables. La position que nous venons de défendre pose incontestablement un certain nombre de problèmes.
Pour mardi prochain, vous devez m'en indiquer (au moins) deux, en m'indiquant à chaque fois clairement où est le problème (en quoi quelque chose "pose problème"), et en mobilisant un exemple pour l'illustrer. Les travaux sont à renvoyer sur mon adresse mail habituelle (pgarandel@gmail.com)
Une affiche du CCFD pour la souveraineté alimentaire
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