Plaisir, désir, besoin

Nous cherchons ici à différencier plaisir et bonheur, d’une part, et désir et besoin d’autre part.

Concernant le plaisir, nous avons choisi une définition "indirecte" (chercher à définir le plaisir en lui-même est sans doute infaisable)  : le plaisir est la sensation qui découle de la réalisation d’un désir, le désir étant lui-même défini comme une force psychique qui nous pousse vers un objet ou un comportement. Le bonheur s’oppose au plaisir dans la mesure où il ne suffit pas d’avoir réalisé un désir pour être heureux. Si le jour des résultats du bac vous avez la satisfaction de voir votre nom inscrit sur la liste des candidats reçus (réalisation d’un désir), vous serez "contents", "joyeux" de voir votre nom : ça vous fera "plaisir". Mais si le même jour on vous a subtilisé votre mobylette, que votre compagnon (ou votre compagne) vous quitte et que, par aiilleurs, vos parents divorcent, cela ne suffira peut-être pas à faire vous quelqu’un "d’heureux". Pour passer du plaisir au bonheur, il faut donc généraliser notre définition du plaisir et dire que le bonheur est l’état de celui dont tous les désirs sont satisfaits ; est heureux celui qui ne souffre plus d’aucun manque ou frustration (désir insatisfait), ni d’aucune angoisse (peur qu’un désir se trouve insatisfait). On rejoint ainsi la doctrine épicurienne du bonheur, selon laquelle le bonheur est un état de "plénitude", où ne subsiste aucun trouble de l’âme ni du corps.

 

La seconde distinction est celle qui distingue désir et besoin. Le désir, nous l’avons vu, est une force psychique qui nous pousse vers un objet, l’objet du désir (nous verrons dans le cours sur l’inconscient que nous pouvons parfois nous tromper d’objet, et que ce que nous convoitons n’est pas le véritable "objet du désir".) Qu’est-ce en revanche qu’un besoin ? Nous avons remarqué que l’homme n’est pas le seul être à avoir des besoins. Un être vivant a des besoins : il a besoin de se nourrir, de respirer, etc. : il a besoin de ce qui lui permet de rester en vie. Une machine peut avoir des besoins (et ce n’est pas un abus de langage) : ma voiture a besoin d’essence pour fonctionner, et si elle est en panne, elle a besoin d’être réparée ; mon stylo a besoin d’encre, etc.

Si l’on s’arrête sur ces deux exemples, nous avons déjà notre définition. Car qu’est-ce que la fonction d’un objet technique (outil, machine, instrument) ? C’est tout simplement ce qui la définit. Un marteau, c’est un objet avec lequel on peut marteler ; une machine à laver, c’est une machine qui lave ; une machine à écrire, c’est une machine qui permet d’écrire ; une automobile, c’est un véhicule qui s’automeut, etc. Et je rappelle à celle et ceux d’entre vous qui n’en connaissaient pas l’existence qu’il existe bien, mais si, des machines à repasser ! On les appelle parfois "presses à repasser". En voilà une, pour votre culture personnelle.

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  Bref : la fonction d’un objet technique, c’est sa définition. En disant, donc, que les besoins d’une machine correspondent à ce qui lui permet de fonctionner, nous avons donc tout simplement dit ceci : les besoins d’un objet technique, c’est ce qui lui permet de rester conforme à sa définition, à sa nature, à son essence. (Pour user d’une formule mnémotechnique : l’essence, c’est ce qui permet à une voiture de rester conforme à son essence.)

Cela vaut aussi pour les êtres vivants : nous avons dit que les besoins d’un être vivant correspondaient à ce qui lui était nécessaire pour rester en vie. On peut donc dire que les besoins d’un être vivant, c’est ce qui est nécessaire à un être vivant pour rester conforme à sa définition, à sa nature, à son essence.

Voici donc notre définition générale du besoin : est un besoin pour une chose ce qui permet à cette chose de rester conforme à sa définition, à sa nature, à son essence. Autrement dit : est un besoin pour une chose ce qui lui permet de rester cette chose qu’elle est. Autrement dit encore : est un besoin pour une chose ce qui lui est nécessaire pour "persévérer dans son être" ; ça, c’est une formule de Spinoza, philosophe néerlandais du XVII° siècle.

Il ne faut donc pas confondre désir et besoin (même si on peut, avec Epicure, de rabattre les premiers sur les seconds) ; un désir n’est pas nécesssairement un besoin, et il n’est pas sûr que tout besoin soit nécessairement désiré.

La question est alors de savoir ce que sont les besoins de l’homme ; et la réponse est évidemment que les besoins humains correspondent à ce qui est nécessaire à un être humain pour rester un être humain : pour rester conforme à sa définition d’être humain, pour ne pas perdre son humanité. Enoncer les besoins humains, c’est donc déjà se donner une définition de l’homme. Chaque caractérisation des besoins de l’homme correspond à une certaine conception de ce qui fait "l’humanité" de l’homme. Par exemple, en reprenant notre définition, on peut dire que, chez Rousseau, la liberté est un besoin (que les hommes la désirent ou non), dans la mesure où renoncer à sa liberté, c’est renoncer à ce qui fait de nous un homme, renoncer à notre humanité.

Commentaires

  • Pascal G
    • 1. Pascal G Le 13/12/2017
    Hello Miss Marple,
    Je suis généralement assez lent pour réagir aux commentaires déposés sur le site... mais 5 ans, c'est pas mal. Je prends donc connaissance d'une trace ancienne d'une ancienne voix.
    Elégie d'une égérie...
  • Marie-Morgane
    • 2. Marie-Morgane Le 07/12/2012
    Cher Monsieur Garandel,

    j'ai lu avec attention votre définition du bonheur, qui m'a semblé beaucoup plus accessible que ce à quoi je m'attendais, ayant moi-même poursuivi le bonheur depuis pas mal de temps déjà. Mais je dois dire que je suis outrée: pourriez-vous me dire pourquoi pratiquer la technique de la douche écossaise sur vos lecteurs? Qu'avons-nous fait pour mériter cela? Pourquoi faudrait-il que mes parents divorcent le jour du bac? Et que l'on me vole mon scooter ce jour là précisément? Ne pouvez-vous pas nous laisser rêver un peu?
    Bref, laissez mon scooter en paix, Monsieur Garandel, et je laisserai votre site internet tranquille!

    Bien à vous,

    Miss Marple