Liberté, raison et conscience

Liberté, raison et conscience

A) Définition de la liberté.

1) Définition initiale.

Nous partons de la définition commune: être libre, c'est "faire ce que l'on veut" : ne serait donc libre que celui qui peut faire tout ce qu'il veut, et qui n'est jamais obligé ou contraint de faire ce qu'il ne veut pas.

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2) Critique.

Nous montrons que cette définition rencontre de sérieuses difficultés : puis-je me considérer comme "non libre" parce que je ne peux pas être immortel ? parce que je ne peux pas remonter dans le temps ? parce que je ne peux pas m'envoler ? etc. La liberté n'aurait alors pas de sens pour l'homme : seul (un) Dieu pourrait être libre. Par ailleurs, cette caractérisation passe sous silence une distinction très importante : celle qui distingue la volonté et le désir. Je peux vouloir arrêter de boire (de l'alcool), de fumer, je peux vouloir être fidèle... sans cesser de désirer boire, fumer, ou sans cesser d'être tenté par l'infidélité. Il peut donc y avoir opposition entre volonté et désir. En quoi consiste alors la liberté ? Nous montrons que celui qui est incapable de résister à ses désirs pour suivre sa volonté n'est pas libre, il est dépendant, il est l'esclave de son désir, qu'il ne peut pas maîtriser, qui s'impose à lui et auquel il ne peut résister : il est donc soumis à ses désirs, c'est le contraire de la liberté. Au contraire, est libre, maître de lui-même celui qui sait résister à ses désirs pour accomplir sa volonté. La question est alors de savoir à quoi nouis obéissons quand nous suivons notre volonté. Nous avons montré que ce qui détermine la volonté, ce que je veux, ce sont les facultés qui me permettent de déterminer ce en quoi consiste "le meilleur choix" : le choix le plus intelligent, le plus pertinent, le plus stratégique, le plus efficace, le plus adapté. C'est la raison qui me permet de déterminer ce choix le plus "intelligent", e plus rationnel. Mais le choix le "meilleur", c'est aussi celui qui m'apparaît comme le plus juste, le plus légitime, leplus en accord avec mes valeurs : c'est alors la conscience (morale) qui entre en jeu.

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3) Rectification.

Nous pouvons donc préciser notre définition de la liberté : est libre celui qui peut agir conformément à sa volonté, c'est-à-dire conformément à sa raison et sa conscience. Est libre celui qui obéit à ces deux facultés qui font de lui un être humain. On comprend alors l'importance de la raison et de la conscience aux yeux du droit. Ce qui fait de moi un sujet de droit, un être qui a des droits et des devoirs, c'est que je suis un être responsable de mes actes ; or ce qui fait que je suis responsable de mes actes, c'est que je suis libre ; or ce qui fait que je suis libre, c'est que je suis "doté de raison et de conscience", comme le proclame la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (ONU, 1948). Ne peut donc être considéré comme un sujet de droit, libre et responsable, qu'un être doté de raison et de conscience. Ceci apparaît notamment dans la question de la responsabilité pénale : le seul critère que reconnaît le droit français pour déclarer un être pénalement responsable de ses actes (et pouvant donc pêtre puni s'il transgresse la loi), c'est le "discernement", qui regroupe la raison (capacité d'analyser la situation, d'anticiper les conséquences d'un acte, etc.) et la conscience (capacité à différencier le bien du mal, le permis de l'interdit, etc.) Les animaux (pas de discernement) ne sont pas pénalement responsables ; et un être humain devient pénalement responsable à partir du moment où on lui reconnaît un discernement : seul peut être déclaré pénalement irresponsable celui dont le discernement était aboli au moment des faits. La liberté étant la capacité à suivre la raison et la conscience, ne peut être considéré comme libre, et donc responsable, que celui qui est doté de ces deux facultés.

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4) Raison ou conscience ? Les enjeux d'un débat.

Nous avons dit que le,droit français, qui insistait sur le fait que tous les hommes sont dotés de raison et de conscience, les réunissait ensuite sous le terme de discernement. Pourtant, la question de savoir à quelle faculté on doit accorder la primauté a des enjeux imortants. Nous avons montré que cette distinction n'était pas réellement opérée chez les philosophes grecs de l'Antiquité (comme Socrate, Platon, Aristote). Les Grecs de l'Antiquité n'ont pas réellement de mot pour désigner ce que nous nommons "conscience morale". S'il s'agit de la conscience comme sentiment (bonne conscience, mauvaise conscience), les Grecs le traduisent dans les termes du regard social : honneur, honte. S'il s'agit de la capacité à différencier le bien du mal, le juste de l'injuste, les philosophes grecs attribuent ce pouvoir à la raison. Pour Socrate ou Platon, c'est par l'usage de la raison que je peux savoir ce qui est légitime ou non. Bien raisonner, c'est savoir ce qui est juste ; et donc agir de façon rationnelle, c'est nécessairement être juste. C'est ce qui fait dire à Socrate (selon Platon) que "nul n'est méchant volontairement". Cela ne veut évidemment pas dire que personne ne fait du mal à autrui sans l'avoir voulu, ou que si je fais du mal, c'est que "je ne l'ai pas fait exprès"'. Cela veut dire que si j'ai fait le mal, c'est que j'ai cru qu'il était bien (pour moi, ou pour les autres) de le faire ; mais justement, j'ai mal raisonné. Si j'avais bien raisonné, je n'aurais pas commis une injustice.

Nous avons illustré ce point important avec le procès de Socrate, tel qu'il nous est restitué par Platon dans son texte, L'apologie de Socrate. Les Grecs ont condamné Socrate à mort, et c'est une injustice. Etait-ce par méchanceté ? "pour faire le mal"? Non. C'est qu'ils ont mal raisonné. Ils ont cru agir dans leur intérêt, en supprimant un personnage qui les gênait en leur rappelant leur ignorance et leur manque de sagesse. Mais justement, ils ont mal réffléchi ; s'ils avaient mieux raisonné, ils se seraient rendu compte que :

1. Il n'est pas dans notre intérêt de faire taire celui qui émet des critiques, qui nous appelle à la sagesse et à la vertu. Car notre âme est notre bien le plus précieux ; et nous n'avons donc rien de plus important à faire que de nous consacrer au bien de notre âme, et donc d'éviter de la corrompre par l'ignorance et l'injustice. Supprimer celui qui nous exorte à prendre soin de notre âme en cherchant la vérité et en pratiquant la justice, c'est donc se priver d'un allié précieux.

2. Les Athéniens ont cru qu'en suprimant Socrate, ils feraient taire ses critiques. Mais c'est un très mauvais raisonnement : c'est justement en mettant Socrate à mort que les Athéniens feront surgir les critiques de toute part ; la preuve en est que, 25 siècles après, nous le leur reprochons encore !

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(David, La mort de Socrate)

Si donc les Athéniens ont commis une injustice, c'est parce qu'ils ont mal réfléchi ; s'ils avaient mieux écouté leur raison, ils auraient vu qu'il n'était absolument pas dans leur intérêt de faire mourir Socrate.

Il y a donc, pour Socrate et Platon, un lien nécesaire entre raison et justice : celui qui raisonne juste agit justement. Le sage est celui qui, étant pleinement rationnel, est toujours raisonnable.

Cette idée jalonne toute l'histoire de la pensée occidentale ; on la retrouve dans l'Humanisme de la Renaissance (pour Erasme, celui qui raisonne bien, agit bien, et si leshommes sont méchants, c'est parce qu'ils sont fous), dans le rationalisme du XVII° siècle (pour Spinoza, la liberté consiste à suivre sa raison, et celui qui suit sa raison ne peut vouloir le mal), dans la philosophie des Lumières au XVIII° siècle (pour Kant, être libre c'est obéir à la raison, et celui qui obéit à la raison ne peut être immoral).

Pourtant, dans la pensée des Lumières, on voit surgir une opposition. Le terrain de cette opposition, c'est avant tout l'Histoire. Car si l'on admet que l'homme, en devant plus rationnel, devient nécessairelent meilleur (du point de vue de la justice, de la morale), alors il semble que l'on puisse considérer l'Histoire comme un vaste processus au cours duquel l'Homme est devenu meilleur : l'Histoire est un progrès, au cours duquel l'homme passe d'un état primitif, barbare, à l'état de culture, de civilisation, où il est à la fois plus savant et plus juste. Il y a incontestablement eu un progrès de la raison dans le domaine du savoir : les connaissances humaines sont devenues de plus en plus rationnelles, pour enfin devenir scientifiques. Il y a incontestablement eu un progrès de la rationalité dans le domaine de la technique : les techniques humaines sont devenues de moins en moins magiques, empiriques, intuitives, pour devenir scientifiques avec les technologies (une technologie, c'est une technique fondée sur un savoir scientifique).

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Mais lors, si l'on admet l'équation rationalité - justice, il faut admettre que l'homme, en devenant ainsi plus savant, plus rationnel, est nécessairement devenu plus juste, plus moral, meilleur.Il faudrait donc adjoindre au progrès scientifique, au progrès technique, un progrès éthique (social, politique, moral).

Or c'est justement cela que Rousseau remet en cause. Pour Rousseau, l'homme est incontestablement devenu plus savant, meilleur technicien, etc. Le progrès scientifique et etchnique, en tant que progrès de la rationalité, est indéniable. Mais l'homme n'est pas devenu meilleur pour autant. Il faut donc différencier radicalement le progrès de la raison (dans ses applications scientifiques et techniques) et le progrès de la justice et de la morale. Qu'est-ce à dire ? La justice et la morale ne seraient-elles donc pas fondées sur la raison ?

Pour Rousseau, non. La faculté humaine qui nous permet de différencier le bien du mal, et qui nous commande choisir le bien et de rejeter le mal, ce n'est pas la raison, c'est la conscience. On peut donc très bien concevoir un progrès de la raison (de la science, de la technique, etc.), et une régression dans le domaine moral ! Plus encore, en devenant plus savant (grâce à la science) et plus puissant (grâce à la technique), l'homme pourrait commettre le mal de façon beaucoup plus efficace ! En disant  cela, Rousseau renoue d'une part avec la vieille formule de Rabelais (Science sans conscience n'est que ruine de l'âme), et d'autre part annonce le constat traumatisant du XX° siècle : la science et la technique peuvent se mettre au service de la barbarie morale et politique. L'homme est incontestablement devenu plus savant au cours de l'Histoire ; mais il n'est pas devenu meilleur : c'est ce qui explique que le XX° siècle soit le plus meurtrier de toute l'Histoire de l'humanité (alors qu'il devrait, selon la thèse du progrès, être le plus juste !)

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Pour Rousseau, la raison est la faculté qui nous permet de connaître et de mettre en oeuvre les moyens les plus efficaces (les plus rationnels) d'atteindre un but, un objectif, une fin ; mais elle ne peut pas nous dire quelle fin nous devons poursuivre. Si bien que la raison peut très bien nous dire comment atteindre efficacement un but horrible : c'est ce qu'illustrera au XX° siècle la "solution finale" nazie, processus horriblement rationnel, fondé sur la science et la technique les plus modernes. Ce n'est donc pas la raison qui doit commander chez l'homme, et il ne suffit pas d'être rationnel pour être juste. La raison doit être soumise à la tutelle de la conscience.

On peut donc dire que, pour Rousseau, la véritable liberté consiste bien à suivre les facultés qui font de nous un être humain ; mais la faculté ultime est la conscience. Je suis libre quand j'agis conformément à ma volonté, quand ma volonté est éclairée par ma raison, qui doit être dirigée par la conscience. Pour Rousseau, être libre, c'est suivre sa conscience. Ce n'est qu'à cette condition que l'on peut rétablir l'équation de la liberté et de la vertu : celui qui sera pleinement libre suivra toujours sa conscience, et celui qui suit toujours sa conscience ne sera jamais immoral.

Si l'on ajoute à cela que la conscience, pour Rousseau, est un sentiment, on comorend ce qui fait le charme de Rousseau aux yeux des romantiques ; quoi de plus romantique que l'idée selon laquelle la raison devrait être soumise à la tutelle d'un sentiment ?

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