La croyance en la liberté comme obligation morale

La croyance en la liberté est donc dépourvue [cf. pages précédentes] de fondements rationnels, elle semble contredire ce que disent les sciences [idem].

Et pourtant... pourtant, il semble (presque?) impossible de vivre sans admettre que la liberté existe. Pour le montrer, nous avons pris appui sur deux domaines : le domaine de la morale, et celui de la croyance religieuse.

Dans le domaine de la morale, il semble impossible de renoncer à la croyance en la liberté dans la mesure où tout discours moral, tout jugement moral apparaît totalement absurde, infondé, si l'on n'admet pas que l'homme est libre. Dès que j'affirme "il faut faire ceci", "il ne faut pas faire cela", "ceci est un devoir", etc. bref dès que je formule une norme morale, il faut que j'admette que les hommes sont libres. Car a quoi servirait de dire aux hommes ce qu'ils doivent faire, ce qu'ils devraient faire, si de toutes façons ils ne peuvent pas faire autre chose ce qu'ils font ? Enoncer une norme morale n'a de sens que si l'on s'adresse à quelqu'un qui peut choisir ses actes.

  De même, dès que je formule un jugement moral, une louange ou un blâme : je suppose que l'individu est libre. Car il n'y a aucun sens à blâmer un individu qui ne pouvait pas agir autrement qu'il ne l'a fait. Un individu qui n'est pas libre est un individu qui n'est pas responsable de ses actes : or comment louer ou blâmer un individu qui n'est pas responsable de ce qu'il fait ? C'est d'ailleurs la conclusion à laquelle aboutissaient certains lombrosiens : puisque l'homme est déterminé par un corps qu'il n'a pas choisi, il ne peut être considéré comme responsable de ses actes : il n'y a donc aucun sens à "lui en vouloir" (mais on le tue quand même).

Dès que j'utilise le mot "choix", je présuppose la croyance en la liberté : car il n'y a pas de "choix" pour un individu qui est déterminé : il 'choisira'... ce qu'il est déterminé à choisir : autant dire qu'il ne "choisit" rien du tout.

Ce qui vaut pour la morale vaut en réalité pour la plupart de nos jugements et de nos interactions avec autrui. Selon la formule du philosophe britannique Peter Strawson, la croyance en la liberté est un présupposé implicite de la plupart de nos jugements (et de nos comportements). Même si cette présupposition n'est pas toujours clairement formulée, consciente (elle est "implicite"), c'est elle qui permet de considérer que nos comportements ont un sens. Si nous ne croyions pas en la liberté, toutes nos louanges, tous nos blâmes, tous nos "choix", tous nos discours moraux... seraient absurdes, ou illusoires.

Le second domaine dans lequel la croyance en la liberté semble nécessaire est le domaine religieux. Nous nous en tiendrons ici au cadre des religions monothéistes, et plus particulièrement au christianisme et à l'Islam (sous leur forme "classique"). Que se passe-t-il en effet pour la croyance religieuse si l'on adopte une posture déterministe ?

Le premier problème, c'est que si les pensées et les comportements de l'homme sont déterminés par des processus physico-chimiques, ou par des mécanismes sociaux, ou par un instinct biologique (etc.), cela vaut aussi pour la croyance religieuse. En d'autres termes, pour ceux qui adoptent un déterminisme matérialiste, social, biologique ou psychologique, on doit dire que si les hommes croient en Dieu, ce n'est pas parce que Dieu existe, mais parce qu'ils sont (matériellement, socialement, biologiquement, psychologiquement) déterminés à le faire !

 

Illustrons ce point important, en commençant par le déterminisme psychologique tel que le conçoit ici le père de la psychanalyse : Sigmund Freud (médecin autrichien du XIX°-XX° siècle). Pour Freud, l'explication principale de la croyance religieuse, ce n'est pas l'existence de Prophètes qui auraient révélé la parole de Dieu. Pour Freud, on comprend très bien le déploiement de la croyance religieuse si on la rapporte à des processus psychiques inconscients. [Ma présentation est un brin simplifiée, mais j'y reviendrai dans le cours sur la religion]. D'un point de vue psychanalytique, la croyance religieuse doit en effet être interprétée à la lumière de ce qui sépare le monde de l'enfant du monde de l'adulte. On pourrait dire que, pour le jeune enfant, "Dieu", ce sont ses parents, dans la mesure où :

     a) il est dans une relation de dépendance totale envers eux (ce sont eux qui satisfont ses besoins, qu'il est incapable de satisfaire par lui-même)

     b) ils sont tout-puissants : pour l'enfant en bas âge, il n'y a rien que ses parents ne puissent pas faire (ce pourquoi il peut d'ailleurs apprendre à leur en vouloir : lorsque ses parents ne satisfont pas ses désirs, ce n'est pas parce qu'ils ne le peuvent pas, c'est (donc) parce qu'ils ne le veulent pas.)

     c) ils sont les auteurs de la Loi : pour l'enfant en bas âge, ce sont ses parents (et notamment le Père... nous sommes au XIX°) qui énonce ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire. Pour un enfant en bas âge, la raison pour laquelle il ne faut pas faire quelque chose, c'est d'abord parce que ses parents le lui ont interdit. Les parents ne peuvent pas énoncer une loi illégitime.

     c) ils sont bienveillants : ils veulent son bien, ils le protègent, etc.

On pourrait donc dire que la position de l'enfant est une position de soumission bienheureuse : il est totalement dépendant d'entités toutes puissantes qui énoncent la Loi et qui veillent sur lui.

 

Genèse, une toile de Siudmak

 Malheureusement (ou heureusement), les parents vont mourir. Cette mort n'est pas une mort physiologique (en général, elle vient plus tard), c'est une mort psychologique ; et celui qui met les parents à mort, ce n'est pas le vieillissement cellulaire... c'est l'enfant lui-même. La mort psychologique désigne d'abord le fait que l'enfant va commencer à refuser sa dépendance totale à l'égard de ses parents ; par la même occasion, il va peu à peu leur contester le droit d'être les seuls détenteurs de la Loi. L'adolescence constitue ici un point d'aboutissement, puisqu'elle coïncide généralement avec la prétention à devenir pour soi-même l'auteur de sa propre loi : ce que signifie, étymologiquement : "autonomie" (autos : soi-même / nomos : la loi en grec) ; être auto-nome, c'est se donner à soi-même sa propre loi. Entre temps, l'enfant aura peu à peu compris et admis que ses parents... ne sont pas omnipotents. Qu'ils sont des êtres faillibles, parfois injustes, souvent incohérents ; bref : imparfaits. Enfin, la bienveillance elle-même tombera, en ce sens que la formule "c'est pour ton bien (tu me remercieras plus tard)" va devenir progressivement insupportable, ceci étant lié à l'autonomie. En accédant à la liberté, l'enfant accède aussi à la possibilité de déterminer par lui-même ce qui est bien pour lui. La bienveillance apparaît alors moins comme un élément rassurant que comme un déni de son autonomie ("je suis assez grand(e) pour...", etc.)

Bref : l'enfant va progressivement... dé-déifier ses parents. Il va les tuer en tant que Dieu, pour les ramener à leur simple humanité. C'est d'abord en ce sens qu'il faut entendre la célèbre formule de Freud portant sur le "meurtre du Père" par l'enfant. 

Eh oui... le meurtre du père est souvent le prix de la liberté !

[Digression : on pourrait noter que l'amour (pour les parents) change alors de sens : il ne s'agit plus de cet amour d' "admiration" des premiers âges, mais de cet amour d'humain à humain par lequel on peut aimer l'autre, aussi, pour ses faiblesses et ses imperfections. (L'enfant en bas âge ne peut pas aimer ses parents pour leurs imperfections : il n'en ont pas.) Et, sans tomber dans la psychologie de bas étage, on pourrait admettre que, lorsque les adolescents se montrent (parfois) ouvertement cruels, voire injustes, envers leurs parents, ils ont sans doute deux raisons (opposées) de l'être. L'adolescent achève le processus de dé-déification des parents : il y gagne son autonomie, sa liberté ; mais il y perd aussi toute sa sécurité. Il n'est plus, désormais, protégé par des entités omnipotentes et bienveillantes : il est en danger. On pourrait donc dire que l'adolescent en veut toujours deux fois à ses parents : d'une part de vouloir le protéger (c'est un déni d'autonomie), d'autre part d'être incapables de le faire (ce qui le met en danger). Mettre les parents à mort, ce n'est pas seulement culpabilisant : c'est aussi... angoissant.]

Pour Freud, c'est précisément à cette angoisse que répond (inconsciemment) la croyance religieuse. Dans la mesure où la place de l'être omnipotent, auteur de la Loi et bienveillant, laissée vide par les parents... va être remplie par un nouvel objet. Ce nouvel objet, cet être qui est à la fois tout-puissant, qui énonce la Loi et qui est bienveillant... c'est Dieu.  En ce sens, la raison fondamentale de la croyance religieuse, ce sur quoi elle repose, ce n'est pas l'existence de Dieu ; c'est le besoin de restaurer cette relation primordiale aux "dieux" de l'enfance que sont les parents et qui sont morts -- du moins en tant que divinités. Si les parents étaient les dieux de l'enfant... les dieux seront les parents de l'adulte ! La croyance en Dieu permet de réinstituer la croyance en un être qui est à la fois tout puissant et bienveillant, c'est-à-dire de restaurer la situation de sécurité originelle. Pour Freud, l'invention de ce "Père divin" qu'est Dieu, est une réponse à l'angoisse suscitée par le meurtre du Père humain.

Et, en ce sens, il s'agit bien, fondamentalement... d'une illusion. On comprend donc les relations compliquées que les institutions chrétiennes ont entretenues avec la psychanalyse...

 

Freud démontrant que la boîte "Dieu" est vide.

Voilà pour le déterminisme psychologique. Qu'en est-il du déterminisme social ? L'un des penseurs qui ont affirmé avec le plus de véhémence que les pensées et les actes de l'individu étaient principalement déterminés par la structure de la société à laquelle il appartenait (et notamment sa structure économique, comme nous le verrons par la suite), c'est Karl Marx, philosophe allemand du XIX° siècle. Or, pour Karl Marx, ce qui "explique" le déploiement de la croyance religieuse (chrétienne) en Occident, c'est d'abord le fait qu'elle répond à une loi sociale, selon laquelle les croyances fondamentales d'une société correspondent toujours à ce qui est nécessaire au maintien (et au renforcement) de la domination exercée par l'une des classes de la société. Pour utiliser une formule sur laquelle nous reviendrons bientôt, pour Marx, l'idéologie dominante, c'est toujours l'idéologie de la classe dominante. Par conséquent, pour Marx, la puissance de la religion chrétienne en Occident doit d'abord être comprise à partir du rôle qu'elle joue dans le maintien de la domination des dominants.

En quoi la religion chrétienne permet-elle aux dominants de maintenir leur domination ? D'une part, elle peut apporter une justification, une légitimation de cette domination. Si l'on prend l'exemple de la "monarchie de droit divin", on voit que, dans cette forme de domination politique, la domination du Roi est cautionnée par Dieu lui-même. Dieu est juste, et il a confié le pouvoir à ce monarque. Donc il est juste que le monarque détienne ce pouvoir. Par ailleurs, si le monarque est monarque "de droit divin", remettre en cause son autorité, c'est remettre en cause un décret de Dieu : la révolte contre la domination exercée par le droit est donc une révolte... contre Dieu.

Jacob luttant contre l'Ange de Dieu (toile de Gustave Doré)

Par ailleurs, il serait bien étrange de se révolter, même si la domination s'exerce de façon injuste. Car tout ce qui se produit ici-bas sera "rétribué" dans l'au-delà. Il se peut que le monarque abuse de son pouvoir en ce monde : mais il serait vain d'essayer de le châtier : Dieu pourvoira à ce châtiment par les flammes éternelles. En revanche, celui qui est opprimé ici-bas sera le premier à entrer au Paradis au jour du Jugement Dernier. "Les premiers seront les derniers", nous dit la Bible. Réjouissons-nous donc d'être opprimés en ce monde : c'est le meilleur signe que nous sommes promis aux délices éternels dans l'au-delà. En ce sens, la religion chrétienne (du mois sous la forme qu'elle prend à travers les institutions ecclésiastiques majoritaires en Occident) légitime aussi la soumission à l'ordre injuste. En ce sens, elle est bien "l'opium du peuple", un instrument qui permet de faire en sorte que les opprimés supportent les souffrances de l'oppression.

On voit donc comment la religion chrétienne, pour Marx, obéit tout à fait à la loi sociale selon laquelle les croyances dominantes au sein d'une société sont les croyances qui permettent à la classe dominante de maintenir sa domination, puisqu'elle légitime cette domination, fait de la révolte une faute morale et une absurdité du point de vue même de l'intérêt de l'opprimé. Pour Marx, donc, ce qui fonde la croyance religieuse (chrétienne, en Occident), ce n'est certes pas l'existence de Dieu ou de ses prophètes : c'est un mécanisme social. Cette fois encore, on peut donc dire que, d'un point de vue déterministe (social), la  croyance religieuse repose sur une illusion ; et cette fois, il s'agit d'une illusion... dangereuse.

 

Fumeur d'opium au sud Viêt-Nam (ex-Cochinchine)

On comprend cette fois les rapports compliqués que les institutions chrétiennes ont entretenus avec le marxisme...

[Une remarque avant de poursuivre. Il faut toujours éviter de se montrer trop "dogmatique" lorsque l'on présente des explications rationnelles de la croyance religieuse. D'une part, la brève présentation que nous venons d'effectuer des théories de Freud et de Marx sont évidemment un peu simplificatrices : le but n'était pas de faire un cours sur la psychanalyse, sur le marxisme ou même sur la religion, mais de montrer comment toute approche déterministe tend à faire de la croyance religieuse une illusion. Nous aurons donc à revenir, dans la suite du cours, sur des présentations moins schématiques des argumentaires de Marx et de Freud. Par ailleurs, les approches de Freud et de Marx n'épuisent sans doute pas ce qu'il y aurait à dire de la religion ou de la foi. On pourrait ainsi remarquer que ce que dit Marx semble surtout valoir pour le discours des autorités religieuses chrétiennes. On pourrait dire que les institutions ecclésiastiques sont comme toutes les institutions : elles n'aiment pas le désordre ; encore moins les révolutions... Le discours des papes a rarement été différent de celui de Luther, le fondateur du protestantisme, lorsqu'il s'est trouvé confronté à la question de la révolte paysanne de 1525 ; son mot d'ordre aux princes fut en substance : écrasez-les. Si, donc, on réduit "la religion" au discours des autorités, la thèse de Marx trouve de nombreuses illustrations pour la confirmer.

En revanche, si l'on interroge tous les courants, toutes les mouvances qui, en marge des institutions officielles, voire contre elles, ont cherché à s'approprier la parole de Dieu, la thèse de Marx devient beaucoup plus délicate. On peut penser ici à des mouvances explicitement politiques, comme la "théologie de la libération" (vous pouvez consulter à ce sujet la jolie page wikipedia, légèrement orientée il est vrai : cliquez ici) ; dire que le christianisme du "prêtre-guérillero" Camilo Torres est un dispositif de légitimation de la domination de classe semble un peu étrange...

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Un tableau de Alfredo Rostgaard (1969), Christ Guerilla illustrant la phrase de Camilo Torres selon laquelle "si Jésus était vivant, il serait aujourd'hui guerillero".

De la même façon, on peut penser à d'autres mouvances, non politiques, mais qui, elles aussi, ont secoué le joug des dominations traditionnelles. On peut penser aux béguines, ces femmes chrétiennes du XIII° siècle qui, dans toute la vie du Rhin, se rassemblèrent pour vivre leur foi (sans être cloîtrées) en dehors de toute tutelle exercée par une autorité religieuse masculine, et allèrent même jusqu'à se mêler de théologie ! Ce sont ces béguines que plusieurs courants féministes contemporains saluent comme leurs prédécesseurs... ce qui, cette fois encore, ne semble pas très compatible avec l'approche marxiste telle que nous l'avons présentée.

Nul doute que nous trouverions chez Marx de quoi réduire la portée de ces objections. Retenons-en simplement qu'il est toujours trompeur de vouloir réduire "la" religion au discours de telle ou telle autorité religieuse ; il en va de la religion comme de la politique : il ne faut jamais réduire "la" politique à ce qu'en disent et manifestent les gouvernements !]

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On voit donc en quoi l'adoption d'une posture déterministe, en faisant de la croyance religieuse elle-même le résultat d'un processus (inconscient, social, etc.) vient entrer en conflit avec la croyance religieuse.

Mais il y a un autre type de raisons à ce conflit. En effet, si l'homme n'est pas libre, alors :

     a) l'idée d'une "rétribution" dans l'au-delà, d'une récompense ou d'un châtiment divins devient absurde... ou horrible. Si l'homme n'est pas libre, alors il devient totalement irresponsable de ce qu'il fait. Si l'homme commet le mal parce qu'il lui est impossible de ne pas le commettre (du fait, par exemple, de la nature de son cerveau, qu'il n'a pas choisie), alors il est absolument scandaleux de le condamner aux tourments éternels ! Et on ne voit pas non plus pourquoi on pourrait "récompenser" un individu qui a bien agi puisque, de toutes façons, il ne pouvait pas faire autrement. Le refus de la liberté vient donc priver l'idée de "Jugement dernier" de toute légitimité. Soit cette idée est fausse, soit Dieu est un être cruel, qui condamne à l'Enfer des êtres qui ne sont pas responsables de ce qu'ils font.

Vision de l'Enfer (détail) de Jérôme Bosch, peintre allemand de la fin du XV° siècle

     b) puisque l'homme n'est pas responsable du mal qu'il commet... qui est responsable du mal sur terre ? La réponse semble évidente : c'est celui qui a créé l'homme et le monde, et qui les a créés de telle façon que l'homme, dans le monde, ne pouvait pas ne pas commettre le mal qu'il commet. Que l'homme soit déterminé par la nature de son cerveau ou par des processus inconscients n'a ici pas d'importance ; ce qui est important, c'est que, créé comme il l'a été, dans le monde tel qu'il est, l'homme commet nécessairement le mal. Le responsable du mal produit par l'homme dans le monde devient donc le responsable de la création du monde et de l'homme : Dieu. Seule la liberté humaine peut faire endosser à l'homme la responsabilité du mal qu'il commet. Si l'homme n'est pas libre, la responsabilité du mal incombe... au Créateur.

Si l'on couple les deux idées, on voit donc que la négation de la liberté conduit, si l'on admet les dogmes de la foi chrétienne, à admettre que Dieu a librement créé un être qui ne peut pas ne pas faire le mal, et qui le punit ensuite d'un châtiment infini. Ce qui ne correspond pas tout à fait à l'idée que l'on pourrait se faire d'un Dieu qui nous aime d'un amour infini...

En résumé, la croyance religieuse semble doublement incompatible avec l'adoption d'un point de vue déterministe ; si elle-même est déterminée par des processus psychiques, sociaux, matériels, etc., alors la foi des croyants cesse d'être le signe de l'existence de Dieu pour devenir le produit d'une illusion. Et par ailleurs, si l'homme n'est pas libre, l'existence du mal dans le monde nous conduit à faire de Dieu un être foncièrement méchant (qui commet le mal) et cruel (puisqu'il punit des êtres irresponsables).

Concluons pour aujourd'hui.

     1) La croyance en la liberté nous est apparue comme une croyance en faveur de laquelle on ne pouvait apporter aucune preuve rationnelle, et qui semblait contredite par les progrès des sciences, dont le déterminisme méthodologique s'est avéré efficace pour comprendre le monde

     2) La croyance en la liberté nous est apparue comme une croyance inévitable, aussi bien pour sauver nos pratiques et nos jugements moraux, que pour maintenir une légitimité de la croyance religieuse.

D'un point de vue rationnel et scientifique, tout nous invite à ne pas croire en l'existence de la liberté humaine ; mais nous ne pouvons pas ne pas y croire. Quel type de croyance est donc la croyance en la liberté ?

"Ne pas pouvoir ne pas croire en une chose, même si elle s'oppose au témoignage de la raison" : c'est exactement ce qui définit l'acte de foi. La croyance en la liberté est probablement l'exemple le plus universel d'acte de foi. Ainsi, à tous ceux auxquels la foi religieuse semblerait incongrue, incompréhensible, voire franchement archaïque, à tous ceux qui seraient tentés de dire aux adeptes d'une religion :

      "Comment, vous croyez en Dieu ?"

N'oubliez pas que l'adepte en question pourrait vous rétorquer :

     "Et alors ? Vous croyez bien en la liberté..."