Le dépassement du concept de religion

Le dépassement du concept de religion en philosophie de la religion

(1922)

 

Le but de Tillich dans ce texte est d'éclairer le rapport paradoxal que la philosophie de la religion entretient avec le concept de religion.

Philosophie de la religion et paradoxe

Tillich commence par indiquer en quoi tout énoncé portant sur l'inconditionné ne peut que prendre la forme du paradoxe (texte 1). Cette nature paradoxale n'entre cependant pas en contradiction avec la nature philosophique du discours théologique, laquelle repose sur l'exigence de rationalité qui fait que le discours peut être saisi en lui-même, dans son autonomie (texte 2). Ce caractère paradoxal du discours théologique est manifeste dans le concept de « religion », la religion elle-même étant précisément ce qui ne peut être que détruit par ce concept (en tant que « concept ») : ceci crée l'ambivalence nécessaire du concept de religion, selon qu'il est saisi en lui-même, ou subordonné au concept supérieur de l'inconditionné. (texte 3)

Critique du concept de religion

La première objection que l'on peut adresser au concept de religion est qu'il fonde la certitude religieuse sur la certitude préalable du moi, tel qu'il s'appréhende par lui-même indépendamment de toute référence à Dieu (texte 4) La seconde est qu'il rend Dieu relatif au monde, Dieu ne pouvant être atteint qu'à partir du monde (texte 5). Ceci subordonne la religion à la culture, puisque la religion devient alors une « fonction » de l'esprit humain (texte 6). Enfin, la révélation se trouve elle-même intégrée (et donc dissoute) dans l'histoire de la religion (texte 7).

Concept de religion et histoire

Pour Tillich, le rapport entre la religion et le concept de religion permet d'éclairer l'histoire de la philosophie de la religion depuis la Renaissance ; à une période rationnelle, correspondant à une domination inconsciente du concept de religion (textes 8.1 a, b, c et d) succède une période critique correspondant à sa domination consciente (textes 8.2 a, b, c, d et e), laquelle laisse place à une période intuitive (texte 8.3).

La dimension religieuse de la culture

Tillich cherche alors à déterminer une voie permettant de construire une philosophie de la religion qui dépasse le concept de religion. Après avoir rappelé en quoi cette philosophie devra nécessairement faire droit à l'exigence du paradoxe (texte 9), Tillich éclaire les deux orientations possibles de la conscience à partir de son rapport à l'inconditionné : elle peut se tourner vers elle-même, vers la forme et l'existence de la réalité objective – mais alors le rapport à Dieu sera perdu : elle ne pourra plus retrouver l’inconditionné en le reconstruisant à partir d'elle-même et du monde ; elle pourra certes bâtir des religions, mais elle ne pourra trouver à la fin ce Dieu qui ne peut être posé qu'au départ (texte 10) A cette orientation s'oppose celle qui s'attache à saisir le « moment d'inconditionnalité » présent dans toute réalité conditionnée, ce que Tillich nomme son contenu (Gehalt) de réalité (texte 11). Dans cette perspective, la religion n'apparaît plus comme une partie de la culture : c'est la culture elle-même qui, dans sa totalité (mais non « en tant que » totalité : la religion n'est pas la synthèse de la culture) est saisie comme expression de l'inconditionné (texte 12).

Les concepts de la philosophie de la religion comme concepts paradoxaux

La philosophie de la religion ne peut pas, encore une fois, se passer de concepts (sans quoi elle ne serait plus philosophie) ; et dans la mesure où elle ne constitue pas un domaine spécifique de la culture, elle ne peut pas renvoyer à une somme de réalités (actes, objets) spécifiquement « religieux » : elle doit découvrir la dimension religieuse de la réalité. Elle doit donc à la fois affirmer et nier l'autonomie des formes de la réalité. Là encore, c'est par le paradoxe qu'elle y parvient. Les « concepts » de la philosophie de la religion sont tous des concepts paradoxaux : inspiration, mystère, grâce et Royaume : autant de concepts qui perdent leur sens dès qu'ils sont objectivés. (texte 13).

Philosophie de la religion et relativisme

Tillich tire alors la conséquence relativiste de la critique du concept de religion : toute religion, en tant que religion (et donc objectivation de l'inconditionné), est relative ; en tant qu'elle est une expression de l'inconditionné, elle est fondée dans l'absolu. Aucune religion déterminée ne peut donc être posée comme religion absolue, mais toute religion tire sa validité de sa référence à un inconditionné qui tout à la fois la fonde et la détruit : c'est ce double mouvement qui fait que toute religion vivante porte en elle une protestation contre sa propre religiosité (texte 14). Mais cette dialectique interne de la religion se retrouve au sein même de ces trois formes de « protestation » que sont la mystique, la prédestination et la grâce, qui, tout en constituant une forme d'expression pour l'élément absolu de toute religion, deviennent elles-mêmes relatives en devenant religieuses (textes 15 a, b et c).

La philosophie de la religion comme praxis religieuse

La religion absolue ne peut donc jamais être un fait objectif, mais seulement une irruption vivante de l'inconditionné, que la religion en tant que forme peut occulter en se tournant vers elle-même (texte 16). La tâche du théologien est alors de chercher à préparer la voie à l'état de conscience au sein duquel cette prétention à l'autonomie se trouve brisée ; il ne peut évidemment par lui-même faire surgir l'inconditionné, mais il peut accompagner un mouvement qui, pour Tillich, est irrépressible – ce qui annonce le concept théologico-historique du Kairos (texte 17). Cette démarche implique, pour le théologien, de mettre en œuvre une méthode spécifique, que Tillich appelle « critique-intuitive » (texte 18), laquelle est à son tour corrélée à une philosophie de l'histoire fondée sur un mouvement dialectique qui articule théonomie, hétéronomie et autonomie (texte 19). La philosophie de la religion est elle-même impliquée dans cette dialectique : en tant que philosophie, elle repose sur les formes issue du moment « autonomique », mais en tant que philosophie de la religion, elle ne peut recevoir son contenu que du moment « théonomique » ; c'est ce contenu qui la contraint à s'affranchir du concept de religion, pour faire de Dieu non un point d'aboutissement de sa démarche, mais bien son origine (texte 20).

 

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