Dissertation : introduction

Pour bien comprendre ce que doit être une introduction de philo, il faut se demander à quoi elle sert.  Or l'introduction a deux fonctions principales :

     a) mettre en lumière le problème que pose le sujet (ce en quoi la question du sujet pose problème)

 

     b) indiquer la manière dont vous allez procéder pour résoudre ce problème (pour lui apporter votre solution)

On voit donc que le coeur d'une introduction, c'est la problématisation (étape a), et que son point d'aboutissement, c'est l'annonce du plan (étape b). Une introduction qui ne pose pas un problème clair ou qui ne dit pas clairement comment on compte s'y prendre pour le résoudre... n'est tout simplement pas une introduction. 

[Remarque :dans cette fiche méthode, je prends volontairement appui sur d'autres exemples que ceux que nous avons vu en cours : le but est de vous faire saisir l'idée.]

Qu'en est-il alors de la fameuse étape "préparatoire" de l'introduction, intitulée "approche du sujet" ?

Etape 0 : l'approche du sujet

Comme son nom l'indique, le but de "l'approche du sujet", c'est d'approcher le sujet : c'est-à-dire de nous amener à la question qui vous est posée dans l'intitulé. En gros, le but est de montrer que "la question se pose", qu'elle a un intérêt, une pertinence, une actualité. Il y a donc deux possibilités :

     a) soit vous voyez effectivement une raison pour laquelle la question se pose ; par exemple, un débat d'actualité, un phénomène contemporain, une événement journalistique, un débat politique, voire même un scandale médiatique conduisent naturellement à la question ; on peut aussi partir de ce qu'évoque spontanément l'un des termes du sujet, surtout s'il évoque des choses contradictoires. Dans ce cas, il est tout à fait justifié de prendre appui sur ce débat ou cet événement pour introduire le sujet. Par exemple, en 2009, certains des élèves du lycée Aiguerande avaient eu à traiter le sujet suivant : "la croyance religieuse est-elle compatible avec la connaissance scientifique ?". Or en 2009, on fêtait le bicentenaire de la naissance de Darwin (1809) ; à cette occasion, avait resurgi en pleine lumière le sempiternel débat (notamment aux Etats-Unis) entre les chrétiens créationnistes et les tenants de la théorie de l'évolution. Ce débat constituait un très bon point d'appui pour indiquer que la question du sujet "se posait" bel et bien : peut-on être à la fois croyant et scientifique ? Est-il contradictoire d'être à la fois croyant et défenseur d'une approche rationnelle des phénomènes ? La question se posait.

 

     b) soit vous ne voyez pas de raison particulière de poser cette question. Après avoir cherché dans l'actualité ou votre mémoire, rien ne vous vient. Le fait de vouloir à tout prix placer une "approche du sujet" va alors vous conduire, 

           _ soit à des généralités totalement sans intérêt, du type "de tout temps, les hommes se sont posé la question de savoir si..." Cette formule vaut pour n'importe quel sujet, ne nous apporte rien quant à sa pertinence, ne nous dit rien de ce en quoi elle pourrait poser problème, bref : on ferait mieux de s'en passer.

          _ soit à des mauvaises raisons de se poser la question ; c'est le cas lorsque ce que vous mobilisez repose sur des considérations qui, elles-mêmes, supposent que l'on admette la validité de thèses qu'aucun correcteur n'est prêt à admettre sans de plus amples justifications, ou qui sont tout simplement absurdes. Par exemple, l'un de vos camarades avait pris appui sur l'idée selon laquelle "la croyance religieuse menait nécessairement au fanatisme" : c'est un énoncé que seule la bienveillance d'un correcteur peut éviter de considérer comme une ineptie pure et simple (et comme une atteinte à la liberté de conscience).

          _ soit à un sujet qui, en réalité, n'est pas celui qui vous est proposé. Losrque l'on veut à tout prix plaquer une question sur une autre question, il arrive souvent que la véritable question passe à la trappe. Par exemple, un élève était parti sur la question de savoir si la science pouvait tout démontrer. Ce n'est pas à proprement parler hors-sujet, car cette question peut être pertinente si elle est correctement insérée dans le raisonnement général. Mais ce n'est pas la question du sujet : l'y réduire, c'est oublier plusieurs enjeux majeurs.

Par conséquent, si vous vous trouvez dans le cas (b), ce qui peut tout à fait arriver, le mieux est sans doute... de ne pas tenter d'approche du sujet. Si vous ne voyez pas de raisons de poser la question, le mieux est encore d'être sincère et de faire appel à ce que tout le monde sait déjà : si vous vous apprêtez à résoudre ce sujet, c'est parce que c'est le sujet qui vous a été proposé ! Ce qui signifie : passer directement à l'étape 2 : la problématisation.

Etape 1 : la problématisation

Le but est de trouver la "problématique", c'est-à-dire de déterminer, non plus pourquoi la question se pose, mais quel est le problème que pose le sujet ; bref, en quoi le sujet "pose problème".

Or qu'est-ce qu'un "problème" ? Un problème, c'est une question à laquelle il est impossible de trouver une réponse simple et immédiate. Si l'on se demande en quelle salle a lieu le cours de philo, la réponse est simple et ne souffre pas de contestation : on consulte l'emploi du temps, et on obtient la réponse : salle S102. Pour problématiser un sujet de philo, le plus simple est donc de montrer que toute tentative visant à lui apporter une réponse simple et immédiate... échoue. Pour ce faire, je vous propose de suivre les étapes suivantes :

     a) proposer une réponse simple à la question, accompagnée de sa justification. Le plus simple est de partir de la réponse qui semble la plus évidente, celle qui vient d'abord à l'esprit (mais ce n'est pas une obligation). Attention : il ne suffit pas de répondre "oui", ou "non", il faut encore expliquer pourquoi il semble bien que oui, ou non. Si l'on pouvait s'arrêter là, la question du sujet serait une simple question, et non un problème. mais précisément ce n'est pas le cas, comme va le montrer votre étape suivante.

     b) proposer une contre-réponse, accompagnée de sa justification. Il peut s'agir, soit d'une réponse opposée, également justifiée, soit d'une critique de la justification que vous avez apportée à la réponse initiale (l'argument n'est pas valable). La première solution est généralement la plus simple : vous montrez que l'on peut aussi soutenir une réponse qui contredit la précédente, et que cette réponse semble tout aussi justifiée.

A l'issue de ce travail, vous avez montré que la question du sujet "pose problème" : il est impossible de lui apporter une réponse simple et immédiate ; apparemment, on peut lui apporter deux réponses contradictoires et également justifiées. Reste alors à poser clairement le problème qu'il faut résoudre, le paradoxe à éclaircir, le point dont émerge la contradiction. C'est ce que fait l'étape suivante.

     c) formuler clairement le problème à résoudre. Ce que doit faire apparaître l'étape précédente, c'est ce qui "fait problème" dans le sujet ; ce qui, dans la question, fait surgir la contradiction ; c'est donc aussi ce qu'il faut élucider pour fixer à chaque réponse son domaine de validité

Par exemple : quand est-ce que la réponse initiale / la contre-réponse est  vraie ? A quelles conditions l'est-elle ? Quelles exigences doivent-elles être satisfaites pour qu'elle le soit ? etc.  A chaque fois que la problématisation aboutit à un "parfois oui, parfois non", ou à un "cela peut... mais cela peut aussi être le contraire", etc. il sera pertinent de se demander : quand oui (et pourquoi), quand non (et pourquoi) et, si l'un des cas est meilleur que l'autre, comment faire pour que ce cas se réalise. 

 

Cette étape (c) est sans doute la plus délicate d'une introduction. Car sans problème clair à résoudre, on voit mal comment on pourrait apporter une solution convaincante. Et si le problème-clé n'est pas identifié, on risque fort de s'orienter vers un traitement partiel du sujet, voire... vers un hors-sujet.

Etape 2 : l'annonce du plan

Vous avez posé le problème : il reste maintenant à le résoudre. Pour ce faire, vous allez procéder par étapes ; le but est que chaque étape corresponde à l'un des enjeux du sujet, que chaque étape apporte donc un élément de réponse précis, justifié et illustré au sujet.

     a) Il peut s'agir d'un découpage du sujet en fonction de ses domaines d'application ; par exemple, à une question commençant par "peut-on..." il est généralement légitime de différencier un questionnement portant sur la capacité (en suis-je capable, est-ce possible ?) et un questionnement portant sur la légitimité (en ai-je le droit, est-ce légitime ?). De même, pour un sujet débutant par "doit-on...", il est souvent pertinent de différencier la question de la nécessité (puis-je faire autrement ? En ai-je besoin ?), et la question de l'obligation (ai-je le droit de faire autrement ? est-ce un devoir ?)

Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore Superdupont (créature de Gotlib)

     b) Il peut également s'agir d'un découpage fondé sur les différents sens de l'un des termes du sujet, ou d'une distinction conceptuelle. Par exemple, pour répondre à la question de savoir si la technique permet à l'homme de triompher de la nature, il peut être pertinent de distinguer la maîtrise et la domination exercée sur la nature la nature. Que l'homme acquière une maîtrise de la nature par ses connaissances et ses dispositifs techniques se défend ; en revanche, le fantasme d'une domination de la nature par l'homme semble devoir être abandonné.

     c) il peut s'agir d'un questionnement échelonné, ou chaque réponse partielle pose une nouvelle question. Par exemple, l'un des sujets les plus classiques sur la notion d'inconscient est celui qui demande si l'hypothèse de l'inconscient remet en cause l'idée de liberté. On peut d'abord montrer en quoi, effectivement, le fait de reconnaître l'idée freudienne d'inconscient contredit l'affirmation selon laquelle les hommes sont aussi libres qu'ils le croient. Mais cette thèse pose une nouvelle question : peut-on apprendre à se libérer, même partiellement, de l'influence qu'exerce sur nous l'inconscient ? Le fait même de reconnaître l'existence, en nous, de processus inconscients n'est-il pas le préalable nécessaire à un processus de libération à leur égard ?

 

Il ne s'agit là que de quelques possibilités. Il n'y a pas, en philosophie, de "listes de plan" possibles, puisqu'il y a autant de méthodes de résolution que d'appropriation du sujet par celui qui le traite. Et il n'y a a fortiori pas de "plan obligatoire", et certainement pas le fameux plan thèse / antithèse / synthèse. Ce que l'on entend généralement par ce plan (dit "dialectique"), c'est le schéma suivant :

           I) Oui

          II) Non

          III) Dépassement de la contradiction.

Nous verrons que, face à certains sujets, ce plan peut être intéressant. Mais en règle générale, sa caractéristique principale est qu'il est extrêmement dangereux, car il revient à suspendre entièrement la valeur de votre raisonnement à sa partie la plus difficile : la troisième. Car si la troisième est ratée, si vous ne parvenez pas à démontrer que, en réalité, la contradiction à laquelle semblait nous conduire les deux premières n'en est pas une, tout ce que vous aurez produit, c'est une contradiction. Or il n'y a pas besoin d'être en terminale pour savoir que la contradiction est la pire des fautes que vous puissiez commettre dans un raisonnement ! Imaginez la tête de votre professeur de maths si vous lui annoncez que

          I) Oui, le théorème de Pythagore est vrai, mais en fait

          II) Non, le théorème de Pythagore n'est pas vrai.

Par conséquent, la pire des annonces du plan que vous puissiez rédiger, c'est la suivante : "dans une première partie, nous démontrerons que... et dans une deuxième, nous démontrerons le contraire" ! Cela revient à dire à votre correcteur : préparez-vous, je m'en vais de ce pas me contredire. La conséquence de cette approche est simple : au lieu d'aboutir à une réponse claire et précise au sujet, vous aboutissez à deux thèses contradictoires : laquelle choisir ? Vous vous condamnez dès le  départ à une conclusion qui devra choisir l'une des quatre (épouvantables) stratégies suivantes, qui décrivent assez bien ce qu'il faut à tout prix éviter le jour du bac : 

     a) "ça dépend : dans certains cas oui, mais dans certains cas non". Cette conclusion revient à évacuer ce que, précisément, il fallait établir : quand / à quelles conditions / dans quel sens du terme / dans quel domaine (etc.) oui, et pourquoi ? Et quand / à quelles conditions / dans quel domaine / dans quel sens du terme (etc.) non, et pourquoi. En règle générale, la formule "dans certains cas" n'a rien à faire dans une dissertation de philosophie. Ce que l'on veut savoir, c'est quand et pourquoi.

     b) "je pense que oui" : on retrouve ici l'opinion personnelle, sans justification. Vous affirmez au correcteur que, vous, personnellement, vous pencheriez plutôt pour oui, ou pour non, mais sans donner les raisons de ce choix. Or c'est justement ce travail de justification qu'il fallait effectuer.

     c) "c'est à chacun de voir, chacun son opinion à ce sujet". C'est probablement le pire des points d'aboutissement possibles pour une dissertation. ce que vous demande votre correcteur, c'est une prise de position justifiée et illustrée ; vous lui annoncez ici clairement que vous refusez de prendre position. Lui refusera de vous accorder des points.

     d) "il faut trouver un juste milieu : ni trop, ni trop peu" ; "il faut trouver le bon équilibre", "il faut savoir fixer des limites", etc. C'est la tentation la plus fréquente dans les copies de bac. A proprement parler, ce ne sont pas de mauvaises réponses : ce ne sont pas des réponses du tout. Puisque ces énoncés sont strictement circulaires : "pas trop" est une formule circulaire, puisque, par définition, trop, c'est ce qu'il ne faut pas faire (de même que "pas assez"). "Il faut fixer des limites" n'a aucun sens tant que l'on ne dit pas de quelles limites il s'agit et pourquoi. "Le bon équilibre", c'est toujours ce que l'on doit trouver : sinon ce ne serait pas un "bon" équilibre... reste à savoir en quoi il consiste, comment on le trouve, et pourquoi il s'agit bien du "bon" équilibre. Par ailleurs, il faut oublier que la raison n'est pas nécessairement du côté du "milieu" ; en politique, ce n'est pas nécessairement parce que vous êtes centristes que vous avez nécessairement raison !

La solution la plus simple, concernant l'annonce du plan, peut donc être d'annoncer clairement les questions auxquelles vous allez chercher à répondre, ou d'énoncer les thèses que vous allez défendre (= les réponses à ces questions). Ce type d'annonce suffit à distinguer les principales étapes du raisonnement, ce qui est le principal but de l'annonce. Votre correcteur doit savoir où vous allez, quel chemin vous comptez emprunter pour traiter le sujet.