creation

  • Réponse à l'une d'entre vous

    Bonjour,

    L'une d'entre vous m'a demandé ce matin si le principal objectif de la philosophie consistait à nous apprendre que nous n'étions rien. De fait, nous croiserons au cours de l'année les affirmations selon lesquelles nous ne sommes pas libres, que l'existence n'a pas d'autre sens que celui qu'on lui donne, que les valeurs morales ne reposent sur rien, qu'il n'y a rien après la mort, que le progrès est une illusion, que la raison échoue face aux questions les plus fondamentales, qu'il n'existe aucune vérité absolue (même en mathématiques), que notre conscience n'est qu'une surface déterminée par des forces qui nous échappent, que tout système politique vise nécessairement à établir une forme de domination de l'homme sur l'homme et que, par ailleurs, Dieu est mort. 

    De ce point de vue, j'avoue que ce n'est pas une discipline qui a de quoi nous rendre guillerets. Cela dit, de nombreux philosophes (Nietzsche, par exemple) nous ont enseigné que la véritable philosophie commençait une fois que ce travail de démolition avait été effectué. Une fois reconnue l'évidence de toutes ces thèses, une fois libérés des illusions qui les contredisent, que faisons-nous ? On peut déjà supposer qu'il y a deux possibilités : soit on devient nihiliste et l'on passe le restant de ses jours à ruminer une sombre lucidité, voire à colporter la "mauvaise nouvelle" en évangélistes dépressifs. Soit on retrouve la force de l'enfant qui sait faire de la vie un jeu, et qui sait inventer perpétuellement de nouvelles règles sans se cacher que c'est lui qui les invente. Face au néant ou à l'absurdité, on n'a que deux possibilités : le désespoir, ou la création... Après tout, ne faut-il pas d'abord reconnaître que la vie "n'a" pas de sens en elle-même pour pouvoir chercher à lui en donner un... le nôtre ?

    Et, puisque nous traitons actuellement du matérialisme, voici quelques lignes d'un philosophe dit "matérialiste" du XVIII° siècle : Helvétius (en fait, les thèses de cet auteur sont beaucoup plus proches de ce que nous appellerons le déterminisme social : pour Helvétius, l'homme est avant tout le produit de son éducation.)

    "Veut-on élever un magnifique monument ? il faut avant d'en jeter les fondements faire choix de la place, abattre les masures qui la couvrent, en enlever les décombres. Tel est l'ouvrage de la philosophie. Qu'on ne l'accuse plus de rien édifier." 

    Et Helvétius poursuit en note :

    On a dit longtemps des philosophes qu'ils détruisaient tout, qu'ils n'édifiaient rien : on ne leur fera plus ce reproche. Au reste, ces Hercule modernes n'eussent-ils étouffé que des erreurs monstrueuses, ils eussent encore bien mérité de l'humanité. L'accusation portée contre eux à cet égard est l'effet d'un besoin qu'en général les hommes ont de croire, soit des vérités, soit des mensonges. C'est dans la première jeunesse qu'on leur fait contracter ce besoin, qui devient ensuite en eux une faculté toujours avide de pâture. Un philosophe brise-t-il une erreur, on est toujours prêt à lui dire : par quelle autre la remplacerez-vous ? Il me semble entendre un malade demander à son médecin : "Monsieur, lorsque vous m'aurez guéri de la fièvre, quelle autre incommodité y substituerez-vous ?"

                   Helvétius, De l'homme (Section X, chapitre X), 1772.